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Croire ou ne pas croire à la voyance : enjeux de savoir, enjeux de pouvoir

Croire ou ne pas croire à la voyance : enjeux de savoir, enjeux de pouvoir

L’article qui suit est tiré d’un ouvrage paru fin 2004 « Le mythe : pratiques, récits, théories , vol 3 : voyance et divination ». Paul-Louis Rabeyron y réfléchit, à partir de différents discours se tenant sur la voyance, à la place qui est laissée dans notre culture (particulièrement en France) à l’étude des phénomènes dits paranormaux.
Les notes situées en fin d’article sont à lire avec attention et on pourra consulter également l’abondante bibliographie proposée.

Quatrième de couverture :

Cet ouvrage regroupe diverses contributions présentées lors des tables rondes « voyance et divination » et « chamanisme » du Colloque international sur le mythe organisé par l’Unité de recherches « psychanalyse et pratiques sociales » (CNRS-Université de Picardie (Amiens) et de Paris 7).

Le mythe est une des questions majeures de l’anthropologie et de la psychanalyse, il était donc naturel, pour une équipe qui travaille sur les relations entre anthropologie et psychanalyse, de réfléchir sur cette question.

Nous avons choisi de la décliner suivants différents axes. Le troisième, présenté dans ce volume, s’interroge sur la voyance et la divination. Ce livre présente pour la première fois des discours habituellement cantonnés dans des univers séparés. Une partie des auteurs étudient les pratiques divinatoires, notamment dans leur rapport à la rationalité et à l’écriture, mais certains se posent aussi la question de la réalité de ces pratiques. En effet, tant que les pratiques divinatoires restent confinées dans le domaine du sens et de la culture, elles sont acceptables pour notre rationalité. Mais le problème se complique si, comme l’affirment les métapsychistes, elles sautent la barrière du sens, pour affecter l’image du monde construite par la science.

Cet ouvrage regroupe des contributions de psychanalystes, d’anthropologues, de philosophes, et de praticiens du mythe.

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« La condition de compatibilité qui exige que les nouvelles hypothèses s’accordent avec les théories admises est déraisonnable en ce qu’elle protège la théorie ancienne, et non la meilleure. Des hypothèses qui contredisent des théories bien confirmées nous fournissent des indications qu’on ne peut obtenir d’aucune autre façon. La prolifération des théories est bénéfique à la science, tandis que l’uniformité affaiblit son pouvoir critique. L’uniformité met en danger le libre développement de l’individu. »

« Il n’existe pas une seule théorie intéressante qui soit en accord avec tous les faits connus dans son domaine »

Paul Feyerabend

1. Petit parcours personnel dans le monde des idéologies : de la médecine à la voyance

Depuis plusieurs années j’essaie de réfléchir à des questions d’anthropologie et d’épistémologie médicale. N’étant ni anthropologue, ni philosophe, je crois néanmoins légitime, en tant que médecin et psychiatre, de m‘autoriser à quelques réflexions concernant une compréhension globale de l’homme et de ce qui sous-tend les théories qui veulent le décrire (Rabeyron, 1983, 1985, 1993 ; Laplantine et Rabeyron, 1987). C’est ce même souci de globalité qui m’a conduit à m’intéresser également à des questions d’anthropologie et d’épistémologie du paranormal (Rabeyron, 1985, 2001, 2003).

J’ai eu l’occasion d’étudier différentes théories et pratiques médicales cohabitant dans la France de la fin du vingtième siècle, et celles-ci sont devenues pour moi comme un terrain, au sens ethnologique du terme. Etant l’un des acteurs de ce terrain, je suis quotidiennement amené – par surcroît, puisque mon travail est avant tout celui d’un médecin – à recueillir des témoignages de patients et d’autres soignants sur la façon dont ils se représentent thérapie et soin. Pour peu que l’on permette aux uns et autres de s’exprimer à ce propos, on découvre la grande diversité des représentations de nos contemporains qui, pour être soumis régulièrement au discours triomphant d’un certain scientisme, sont tout autant influencés par d’autres modes de pensée de nature psychologiques, spiritualistes ou ésotériques, composantes majeures des nébuleuses que sont les médecines alternatives et la sensibilité new age (Laplantine et Rabeyron, 1987 ; Wallon, Rabeyron, Mesmin, 2000).

L’idéologie et la croyance sont des concepts dont j’ai très vite mesuré la prégnance au sein des différents « mondes thérapeutiques » que j’ai pu rencontrés, mondes dans lesquels il faut inclure, bien entendu, ce que les ethnologues dénomment le système bio-médical. Ces univers théoriques, volontiers idéalisés, sont susceptibles de servir d’assises rassurantes, mais aussi de boucliers défensifs lorsque d’autres façons d’envisager le réel se font un peu trop pressantes. Au-delà des aspects purement cognitifs et conscients (représentations et données épistémologiques), on peut s’intéresser aux soubassements affectifs et inconscients des certitudes théoriques. La psychanalyse et l’ensemble des modes de tentative de compréhension de l’intrapsychique et de l’interactionnel sont des outils d’analyse appréciables de cette problématique. Cependant, les querelles intestines au sein de la galaxie des « psys » montrent aussi que, si les théories dites psychistes peuvent être utiles à une compréhension de certains enjeux, elles ne peuvent elles-mêmes être exclues de la question idéologique, celle-ci parcourant leur histoire par le biais de conflits parfois violents (Roudinesco, 1982, 1986).

Ce qui est vrai pour la Médecine l’est aussi pour l’ensemble du champ des savoirs. Dans une société où le discours politique lui-même veut se fonder sur des données issues d’expertise à prétention scientifique et où la norme tire ses sources d’un usage particulier de la rationalité, la prétention au « tout comprendre » est devenue galopante. L’un des effets de cette tendance consiste à évacuer la croyance, en tant que « position croyante », du discours des élites, pour ne plus la cantonner qu’au « pauvre monde » (la France d’en bas ?) qu’il faut avant tout éduquer et initier aux découvertes de la science. Les clercs ne s’appuieraient, quant à eux, que sur des données scientifiques devenues référence ultime de la rationalité. Dans ce mouvement, rationalité et scientificité tendent à se confondre.
Nos sociétés modernes sont issues d’un religieux fondé sur le mystère qui, s’il a sans doute pu avoir d’autres inconvénients, avait au moins pour avantage de relier (re-ligere) les hommes par ce qui leur est de plus commun : la question existentielle. Quelle surprise de me trouver là et qui est à mon origine ? Progressivement les réponses de la science sont venues faire plein là ou le vide centrait le questionnement. Mais comme la science ne répond pas à tout, d’autres tendent aussi à s’emparer des questions restant sans réponses, malgré les efforts déployés par les scientifiques pour reléguer les « pourquoi ? » au marge des « comment ? » (Debray, 2001).

Evidemment, tout scientifique saura pointer, pour peu qu’il y soit un peu aidé, les manques au sein de son propre savoir. Mais pour des raisons aussi complexes que multiples – et qu’il ne sera pas question de développer ici -, les assurances cognitives issues des dernières découvertes ont culturellement tendance à venir se présenter en terme de réponses toujours plus définitives (Lurçat, 2003 et Rey, 2003). Pourtant, par les nouveaux acquis qu’elles génèrent, ce sont, tout autant, les nouvelles questions qui les accompagnent qui pourraient – ou devraient, si l’on adopte une posture éthique – être placées au devant de la scène médiatique.

J’en arrive au thème du présent article et à son rapport avec les lignes précédentes. Tout d’abord, la voyance, fait partie de la liste élargie des « spécialités alternatives » vers lesquelles l’homme angoissé de notre temps est susceptible de se tourner. Dans mon parcours réflexif concernant les modes de recours aux différents soins et aides envisageables dans notre société, difficile de ne pas inclure la pratique des voyants. Cela ne peut être une surprise pour qui lit les ethnologues car, sur ce point, nous ne sommes pas une exception culturelle. Ensuite, les questions que posent la voyance interrogent fortement la vision que nos élites – plus particulièrement scientifiques – se font de ce qui doit être et ne pas être constitutif de l’humain. En l’occurrence, si la croyance en la voyance, vue comme une forme quasiment clinique des multiples aspects que le croire peut revêtir, peut alors être vu comme objet digne de science, il n’en n’est pas de même de la voyance en tant que réservoir de phénomène(s). La vision dominante n’y voit d’intérêt qu’en la réduisant aux formes d’un connu pychosociologique. Nous y reviendrons.
Qu’est-ce que croire ou ne pas croire en la voyance en un monde ou s’impose une certaine idée de la science? Quelles expériences fondent la possibilité même de croire en un si étrange phénomène (ou plutôt : en de si étranges phénomènes) ? N’y a-t-il, concernant cet objet culturel, qu’une forme de croyance, qui ne pourrait appartenir qu’au naïf, au « gogo » abusé par des charlatans sans scrupules (pour reprendre un vocabulaire cher aux croisés d’une rationalité bien pensante) ? Est-il pertinent d’ailleurs d’envisager les choses en terme de « croyance », pour la voyance comme d’ailleurs pour l’ensemble du champ du « paranormal » ? Voilà quelques unes des questions qui, à défaut de toutes trouver réponse dans les lignes qui vont suivre, vont contribuer à l’organisation de la suite de mon propos.

En 1985, j’ai eu la chance de participer à un ouvrage collectif, paru chez Payot et se voulant une étude anthropologique de la pratique d’un voyant lyonnais. Dans ce livre, intitulé Un voyant dans la ville, fruit d’une recherche conduite sous la direction de l’ethnologue François Laplantine, je tentais déjà de mener une réflexion sur les rapports entretenus par la science et la voyance (Laplantine, Rabeyron, 1985). J’essayais d’analyser les raisons (conscientes et inconscientes) susceptibles d’organiser les discours des « croyants » et des « incroyants ». L’ensemble de l’ouvrage peut être lu comme une invite à s’interroger sur la place que notre culture laisse à un certain nombre de phénomènes réputés marginaux et à ceux qui les vivent au quotidien, en l’occurrence un voyant et ses consultants. Ce livre peut aussi être considéré comme le premier d’une série qui a vu quelques auteurs, pour la plupart de formation universitaire, se confronter à la complexité du parapsychologique (1).

Il existe, en France, un discours académiquement correct sur la voyance et l’ensemble du champ du paranormal. Ce discours, susceptible d’être subdivisé en plusieurs tendances dont je vais envisager quelques unes des plus caractéristiques, ignore en grande partie les travaux que je viens d’évoquer. Dans la suite de cet article, je vais me centrer sur la problématique de la voyance. Mais il ne fait aucun doute que les mêmes élaborations pourraient tout autant s’appliquer à d’autres phénomènes dits paranormaux. Si le point de vue que je vais développer s’appuie sur la connaissance du dossier parapsychologique, nombreux sont ceux qui s’autorisent l’expression d’opinions en dehors d’une bonne connaissance de ce dossier. Ceci est difficilement imaginable dans d’autres disciplines scientifiques. Faire ce premier constat est déjà le début d’une analyse que je vais développer plus avant.

2. Définitions sommaires

Il me paraît indispensable de donner quelques définitions préalables, au risque sinon de ne pas être compris ou de l’être mal. L’absence de lexique commun en ces domaines controversés est très souvent la source de quiproquos, d’erreurs d’interprétations et de malentendus notoires.
Le Larousse définit la voyance comme étant « le don de ceux qui prétendent lire dans le passé et prédire l’avenir ». Je rajouterai volontiers à cette définition la notion de lecture à distance, car la voyance se présente comme une capacité à circuler assez librement dans le temps, mais aussi dans l’espace. Le voyant est, toujours pour suivre la définition du dictionnaire, « la personne qui fait métier du don de voyance ». Le Robert rajoute au Larousse un « par divers moyens » auquel il est difficile de ne pas souscrire, devant la diversité des pratiques et notamment des supports, c’est-à-dire des objets et dispositifs utilisés par les voyants dans l’exercice de leur art.
Si cette première approche définitionnelle convient assez bien pour calibrer une pratique sociale universelle, elle peut être complexifiée si l’on y adjoint les données de la métapsychique et de la plus moderne parapsychologie scientifique. La voyance peut alors devenir, d’une manière plus limitative ou plus élargie – selon qu’on en considère les soubassements phénoménologiques ou ses diverses modalités – l’expression des capacités dites extrasensorielles (ou psi réceptif) regroupant les catégories traditionnellement décrites par les parapsychologues depuis J.B. Rhine, à savoir : la télépathie, la clairvoyance et la précognition. Pour reconnaître la validité de cette classification, encore faut-il la connaître et admettre que les lieux de manifestation de ces « compétences » ne se limitent pas au cabinet de consultation du voyant professionnel. Cela implique, par un raisonnement qui ne fait que s’appuyer sur ce que l’on peut tirer de l’abondante littérature à disposition sur ce thème, que s’il existe des personnes qui font métier de la voyance, la perception supposée extrasensorielle n’est pas limitée à cette pratique.
On est aussi conduit à penser qu’en revanche, la consultation de voyance est imprégnée de bien d’autres éléments, renvoyant à du psychologique et du sociologique, encadrant en quelque sorte le parapsychologique. Si parfois les voyants voient, il leur arrive aussi assez souvent de ne rien voir ou de se tromper, pendant que d’autres, non voyants professionnels, voient parfois… La voyance, comme exercice régulier d’éventuelles compétences extrasensorielles, pose évidemment des problèmes éthiques sur lesquels je ne m’attarderai pas dans cet article (Rabeyron, 2001). Ce qui m’intéresse ici n’est pas de réfléchir – même si c’est fondamental au demeurant – à l’usage que font le voyant, comme celui qui le consulte, de ses supposées capacités parapsychologiques, mais à la façon dont notre culture se pose, ou ne se pose pas, la question d’une possible réalité de ces compétences.

3. Elites et voyance

A côté du psi : la « psi-neutralité »

Je ne sais quel serait en France le résultat d’un sondage portant sur la voyance au sein du monde universitaire et académique. On peut imaginer qu’il dégagerait une majorité de sceptiques, bien que les choses puissent peut-être apparaître plus complexes, si l’on s’en tient aux études sociologiques réalisées en ce domaine et montrant que la croyance au paranormal est élevé chez les étudiants et ceux qui ont fait des études supérieures (Boy et Michelat, 1993 : 208-215, Charpak et Broch, 2002 :188-195). Ce sont cependant ceux qui se revendiquent du courant sceptique qui se font le plus souvent entendre.

Le terme « sceptique » serait d’ailleurs à problématiser car, par des circonvolutions habiles, il peut être aisé de laisser planer un doute (sait-on jamais ?) sur la réalité de ce qui s’échange, par exemple, lors d’une consultation de voyance. Un certain discours anthropologique ou psychanalytique peut se montrer suffisamment alambiqué pour retenir, à défaut de se positionner ouvertement en faveur du phénomène parapsychologique, une perspicacité efficiente chez le voyant traditionnel. Cela rend ce dernier sympathique aux yeux du spécialiste en sciences humaines et quasiment assimilable à un collègue aux yeux du psy mâtiné d’anthropologie.
C’est sans doute dans cet espace qu’il faudrait localiser par exemple les élaborations d’un Tobie Nathan ou d’un François Roustang qui, pour tout déconstructeurs qu’ils se veuillent de la psychopathologie et des pratiques psychothérapiques et psychanalytiques classiques (Nathan, 1994, 2000, 2002 et Roustang 1990, 1994), ne se tiennent pas moins très à distance des concepts qui pourraient être importés de la parapsychologie. Prendre aux sérieux les allégations des métapsychistes auraient pour inconvénient de complexifier encore les questions qu’ils s’efforcent déjà de poser à la psychanalyse. Sans doute estiment-ils que leurs interrogations sont suffisamment embarrassantes. Nous verrons plus loin que le pas épistémologique qu’amène à franchir la prise au sérieux d’éléments paranormaux est autrement plus radicale que les « aménagements » théoriques que proposent ces deux auteurs, au-delà de l’aspect provocateur qu’ils donnent à leurs développements. En effet, ils continuent finalement de camper sur des positions relativement classiques, ce qui n’enlève rien à la pertinence que l’on peut, par ailleurs, reconnaître à nombre de leurs théorisations.
Ils ne font jamais que suivre les pas d’un Claude Lévi-Strauss et de son « efficacité symbolique » (Lévi-Strauss, 1958), prêt à élever les thérapeutes et devins traditionnels à l’égal des psychanalystes et psychothérapeutes occidentaux. Bien entendu, si dans les milieux thérapeutiques concernés, nombreux sont ceux qui reconnaissent volontiers cette parenté lorsque les dits praticiens traditionnels sont maintenus à une honnête distance temporelle ou spatiale (« La Pythie ou les « tristes tropiques », pour faire vite), les réactions ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’agit de se comparer aux « alternatifs » occidentaux. Autant est-on prêt à s’exalter devant les performances exotiques d’un chaman amérindien ou à s’attendrir à l’évocation des communications réputées télépathiques des aborigènes australiens, autant cherchera-t-on par tous les moyens à se démarquer des pratiques du voyant ou du guérisseur contemporain.
On évitera surtout de se poser la question de la réalité des phénomènes psi éventuellement concernés pour s’en tenir à ce que l’on apprend dans les facultés de sciences humaines, c’est-à-dire que l’efficacité naît des rapports complexes que les uns (les soignés, les demandeurs) entretiennent avec les autres (les soignants, les possesseurs de pouvoirs). C’est la place qui fait le don et peu importe finalement l’efficacité propre de la personne et de la technique employée. Peu importe, également, de savoir si le voyant voit vraiment quelque chose, par exemple. Cette position est évidemment porteuse d’une grande richesse heuristique, puisqu’elle permet de délimiter, ni plus ni moins, ce qui fonde une possible ethnologie de ces pratiques. Mais si l’on veut se situer dans une optique anthropologique plus large, c’est-à-dire une optique qui, dans la compréhension des phénomènes inter-humains, ne négligerait aucune de leurs composantes, alors on ne peut se satisfaire d’une description juste, mais partielle des phénomènes décrits. Aller plus loin – et donc faire de l’anthropologie totale – c’est suivre les pas d’un Ernesto De Martino (De Martino, 1999) ou plus près de nous d’un Bertrand Méheust (Méheust,1999). C’est aussi suivre ceux de Freud qui, malgré les risques que cela pouvait faire courir à la psychanalyse, a clairement exprimé, le temps passant et son œuvre s’installant, des positions favorables à l’existence de la télépathie (Moreau,1976).
Quels que soient finalement les concepts que l’on ira chercher pour contourner la difficulté épistémologique ( l’efficacité symbolique , mais aussi les êtres invisibles de Nathan, l’influence ou la disposition de Roustang, le transfert des psychanalystes orthodoxes, etc.), les risques théoriques de leur application au champ du paranormal sont la réduction et la généralisation. Car si ces concepts sont susceptibles d’être pertinents et utiles pour qui veut tenter de préciser ce qu’est une relation thérapeutique et ce qui s’y joue, ils peuvent aussi permettre d’éviter la confrontation avec certains éléments énigmatiques du réel, inclus parfois dans certaines thérapies et aides traditionnelles.

Contre le psi : « Le psi-négativisme »

Dans le monde des intellectuels, certains sont plus virulents et ne se contentent pas de contourner le débat. Le « psi-neutre », dont la position se résumerait à la formule suivante : « je ne me prononce pas de front sur la question », laisse parfois la place au « psi-négativiste ». Je ne crois pas le mot trop fort, puisqu’il s’agit de nier expériences et témoignages multiples. C’est sans doute refuser de lire et de rencontrer, c’est refuser la complexité du monde. C’est transformer en paradigme idéologisé, ce qui n’est qu’un abord pratique du réel : l’expérience reproductible. C’est finalement nier ce qui fait l’homme et la vie dans ce qu’ils ont de plus troublants, leur mystère et leur inconstance.
On peut comprendre les raisons psychologiques qui sous-tendent ce choix. L’angoisse existentielle peut trouver à être apaisée par les références rassurantes des données de la science galiléenne pour reprendre la description critique qu’en a fait le philosophe Michel Henry (Henry, 1987). Découper le monde en parties plus petites, jouer avec ces parties, vivre dans la conviction jubilatoire de les contrôler, voilà qui s’accommode assez mal de l’étude des fantasques phénomènes paranormaux. Faut-il pour autant reléguer ces derniers sans autre forme de procès aux rayons des farces et attrapes, des erreurs de jugements, des folies douces ou des dérives sectaires ? Certainement, si prenant le pari que dans le volumineux dossier des témoignages spontanés (le paranormal spontané) et de la parapsychologie expérimentale, il n’y a que trucages, délires, artefacts, coïncidences, erreurs d’interprétations ou manipulations. Certainement pas, si respectueux et curieux de la complexité et de la densité de ces recherches, on préfère la quête de la connaissance à l’arrêt du savoir sur des données assurées mais partielles.
Ceux qui expriment publiquement leurs points de vue anti-psi peuvent le faire parfois en partant de disciplines universitaires bien différentes. C’est le cas par exemple du psychanalyste Gérard Miller ou des physiciens Georges Charpak et Henri Broch. Cette manière de se positionner nécessite une certaine forme de courage ou d’inconscience, suivant le regard que l’on porte sur elle, tant il faut de l’un ou de l’autre pour ne pas craindre d’avancer des arguments issus avant tout de convictions personnelles mais faisant fi de nombre de travaux antérieurs réalisés sur la question. Traiter ainsi les données parapsychologiques omet un passage obligé – et convenu habituellement au sein de la communauté scientifique – qui inclut un minimum de revue bibliographique de la question traitée. C’est l’une des caractéristiques propres au mode de traitement, par une partie des élites, du thème qui nous occupe ici. La question est tout autant éthique que scientifique. Car au-delà de la question de l’ « existence » des phénomènes paranormaux, c’est avant tout celle du respect que l’on doit à des générations de chercheurs et à la controverse engagée. Les uns comme l’autre méritent mieux que la méconnaissance et le mépris.

Ainsi Gérard Miller défend-il une théorisation de la voyance exclusivement basée sur la manipulation et la naïveté. Acceptant de collaborer à un ouvrage collectif réalisé autour de la célèbre voyante Yaguel Didier (Alia et Didier,1995 : 101-127), Gérard Miller est d’ailleurs bien facile à suivre lorsqu’il énonce un certain nombre d’évidences psychosociologiques très générales (sur la crédulité, sur l’illusion, sur l’angoisse, etc.). Mais en réponse à une question de Josette Alia citant des consultants : « alors que je ne lui avais rien dit, la voyante a deviné tel ou tel aspect de ma vie », il soutient : «Ces témoignages, entendus mille fois, sont épuisants de sottise. A partir du moment où l’autre vous tend son oreille, vous donne son attention, vous ne mesurez plus à quel point ce qu’il vous dit peut faire écho en vous. Surtout quand il réfléchit à partir d’un nombre d’éléments aussi limités que les douze signes du zodiaque ! etc. » ? Mépris du témoignage et surtout mépris du phénomène, puisque dans un ouvrage consacré à Yaguel Didier, voyante travaillant essentiellement sans support, Gérard Miller répond en invoquant l’astrologie ! Faut-il n’avoir jamais entendu parler des voyants ou leurs consultants, faut-il n’avoir jamais ouvert un livre ou lu un article d’un spécialiste de la question, pour oser, d’une manière aussi péremptoire, aller à l’encontre de tant et tant de récits. D’ailleurs, pour Gérard Miller, les témoignages comme les expériences de laboratoire importent peu, puisqu’il se montrera capable, sur un plateau de télévision, invité à une émission littéraire animée par Patrick Poivre d’Arvor, Vol de nuit, de balayer l’ensemble des travaux de parapsychologie expérimentale auxquels faisait allusion Marie-Monique Robin, présente également sur le plateau. Scène surréaliste où cette journaliste et réalisatrice, lauréate du prix Albert Londres (2), et venant de terminer deux années de reportage et un ouvrage sur la parapsychologie, se voit renvoyer à ses études par quelqu’un qui, à l’évidence, n’a aucune conscience de négliger ainsi une controverse scientifique qui a tout de même déjà fait couler beaucoup d’encre. On se surprend à frémir en pensant à la façon dont la lecture particulière de quelques faits et témoignages a pu conduire certains auteurs à mettre parfois en doute des données historiques pourtant bien établies. Gérard Miller serait-il de ces psychanalystes pour qui la réalité ne serait finalement qu’assez annexe, la vérité étant à chercher avant tout du côté du fantasme et de la théorie…de l’analyste. Quelques générations d’enfants abusés et de femmes battues ont parfois fait les frais de positions théoriques qui, reléguant au second plan la réalité du trauma et son traitement juridique, ont privilégié l’exclusive d’une analyse désincarnée. Emporté par sa fougue à vouloir pourfendre les « alternatifs » qu’il abhorre, Gérard Miller ne se laisse-t-il pas entraîner loin des rives d’un rationalisme qu’il est pourtant le premier à revendiquer par ailleurs ?

Se voulant tout aussi rationalistes que le médiatique psychanalyste, adossés à des positions matérialiste et réaliste (tel que Bernard d’Espagnat peut définir ces positions répandues chez de nombreux physiciens) (d’Espagnat, 1979), Henri Broch et Georges Charpak sont les auteurs d’ un ouvrage qui a connu un très grand succès de librairie en 2002, intitulé Devenez sorciers, devenez savants (Charpak et Broch, 2002). Un livre, paru sous la plume de Bertrand Méheust, et dont je ne saurais trop conseiller la lecture (Méheust, 2004) analyse avec acuité les allégations de ces deux physiciens et de façon bien plus complète que je ne le ferai ici. Je vais me contenter de dégager quelques uns des éléments les plus caractéristiques de leur propos mettant en évidence des élaborations idéologiques. Le terme idéologique n’est pas à lire ici négativement, mais à comprendre comme une tentative d’organiser une vision du monde se voulant cohérente. Partant d’un univers intellectuel bien différent de celui de Gérard Miller, univers susceptibles pourtant de ne pas toujours cohabiter très sereinement (3), les deux co-auteurs du best-seller zététique (4) pratiquent des méthodes dont le but, en produisant un redoutable effet d’amalgame, est de réduire le complexe et le difficilement connaissable à l’identifiable et au connu. En nommant le mystère, il s’agit d’espérer le faire disparaître. L’éthique avouée de l’ouvrage (et d’autres d’Henri Broch, dont, à plus d’un égard, de très nombreuses parties du livre co-écrit avec Georges Charpak ne sont qu’une forme de reprise) (Broch, 1985 et 1994) se veut une invite à l’art du doute. Et il est d’ailleurs bien facile de suivre ces deux auteurs, comme on a pu suivre Gérard Miller, devant des exemples relevant avant tout du bon sens. Mais ce livre apparaît surtout comme voulant participer à l’éducation de masses supposées naïves car toujours suspectées de posséder une fâcheuse tendance à se représenter le monde autrement que scientifiquement. Ainsi, en quatrième de couverture de l’ouvrage, peut-on lire : « Nous ne prétendons nullement dans ce livre renverser le cours des choses. Nous espérons seulement, en proposant quelques expériences de sorcellerie banales, montrer comment un certain nombre de sorciers modernes abusent le pauvre monde ». Quelques ethnologues ont certainement dû s’y reprendre à plusieurs fois pour trouver dans l’ensemble de l’ouvrage une définition de la sorcellerie reconnue par les spécialistes, vérifiant au passage que de grandes connaissances en physique ne rendent pas omniscient dans le champ des sciences humaines. La fibre pédagogique se révèle sans fard. Elle vise « le pauvre monde », c’est-à-dire le monde des handicapés de la connaissance, ceux qui, privés de bon sens et d’un savoir suffisant en sciences et en illusionnisme et faisant confiance au premier venu, sont avant tout à éduquer, de manière à ce qu’ils rejoignent définitivement le camp de ceux qui savent. Et ce n’est pas la douce affirmation, à l’allure dénégative, quelques lignes plus loin, selon laquelle les deux auteurs ne veulent « en aucun cas imposer une pensée unique » qui nous convaincra de leur volonté farouche, au contraire, d’éduquer massivement. Il faut dire, qu’entre temps, nous aurons pu lire l’ensemble de l’ouvrage !

4. Enjeux pédagogiques :

Entre le psychanalyste quittant son divan et les physiciens leur laboratoire, la connivence est pédagogique. Il s’agit de montrer ce qu’est le monde et surtout ce qu’il ne peut pas être. Ce qu’il ne peut pas être, ce qu’il ne doit pas être, c’est avant tout : être complexe (5). Le monde est fautif d’être complexe. Ceux qui tentent plus ou moins maladroitement de prendre en compte cette complexité, au prix parfois de quelques délires mais aussi de traits de génie, risquent finalement de fauter avec lui. Le pêché n’est plus ce qu’il était et les clercs se sont trouvés de nouveaux ennemis. L’entreprise pédagogique, consistant à éviter au « pauvre monde » la faute ultime, peut s’accompagner de la construction d’objets mythiques visant à simplifier le réel. De petits amalgames valent alors mieux qu’un gros pêché ! Ainsi Broch et Charpak peuvent-ils parler de paranormal et de phénomènes paranormaux en évitant de se référer le plus souvent à des travaux réels sur la question, mais en se centrant longuement sur un phénomène complètement marginal (le sarcophage d’Arles-sur-Tech), en nous initiant à quelques tours d’illusionnistes (la télépathie par téléphone), en préférant citer Le canard enchaîné et Charlie Hebdo que des revues scientifiques (pour mieux attaquer la thèse en Sorbonne d’Elisabeth Teissier !), en se livrant à d’intéressants calculs statistiques pour démonter quelques coïncidences troublantes (calculs non dénués de valeur pédagogique, mais laissant penser que tout phénomène d’allure non ordinaire y est réductible) ou encore en parlant de tout autre chose (les radiations nucléaires). Ce qui ne les empêche pas – et c’est finalement surtout ce procédé qui me paraît critiquable – de généraliser à plusieurs reprises par des formules qui emportent tout sur leur passage. Voilà une citation qui a le mérite de faire apparaître en peu de mot leur souci pédagogique avoué et leur tendance à la généralisation : « Contre l’analphabétisme scientifique, il nous est apparu que le principal antidote est l’éducation. Nous avons voulu y contribuer par un survol des superstitions les plus répandues : astrologie, croyances dans le « paranormal » et autres insanités. Nous avons souhaité aiguiser la faculté critique de nos lecteurs en les initiant à des jeux qui les éclairent sur leur propre crédulité »(Charpak et Broch, 2002 : 202). « Survol » : c’est bien le cas ! « Croyances dans le « paranormal » : de quelles croyance(s) et de quel paranormal parle-t-on donc, avec quelle rigueur ? « Insanités » : sans commentaires…
Il est bien regrettable qu’ils n’adoptent pas la même posture que certains « sceptiques » anglo-saxons qui prennent le temps de lire les articles des parapsychologues, d’en faire une analyse critique et de proposer des modifications de protocoles (cf le débat Hyman-Honorton in Varvoglis, 1992 et Radin, 2000). Car la difficulté ne tient pas tant, dans notre pays, aux positions exprimées en terme de « pour ou contre » l’existence d’un certain nombre de phénomènes, qu’à la possibilité même qu’ils puissent être considérés comme un sujet digne d’étude. La controverse elle-même que suscitent les phénomènes dits paranormaux, lorsque l’on connaît le dossier, mérite plus que les quelques petits jeux auxquels nous convient les deux physiciens.
Faut-il rappeler que l’association internationale de parapsychologie (P.A) est membre depuis 1969 de la très sérieuse A.A.A.S (équivalent américain de l’Académie des Sciences). Il faut également noter qu’alors que tous ceux qui ont un peu réfléchi aux questions concernant la paranormalité (et la voyance n’en est qu’un exemple parmi d’autres) s’accordent à reconnaître l’importance d’une approche pluri- et trans-disciplinaire et cela, pour des raisons tenant à la nature même des phénomènes observés (Raulet et Duits, 2002), on reste interloqué, à la lecture des psi-négativistes, par leur méconnaissance de la littérature spécialisée (qu’il s’agisse de travaux à orientation sciences humaines ou de travaux expérimentaux).
Notre société souffre sans doute d’une tendance très partagée au réductionnisme. Celui-ci tire ses sources de l’efficacité de la pensée techno-scientifique qui, il faut le lui reconnaître, a magistralement démontré ses capacités d’efficacité et de reproductibilité. Les pensée politique et médiatique n’échappent pas à cette tendance qui à l’avantage d’éviter la complexité et l’indécidabilité au profit de raisonnements rassurants d’allure rationnelle. On se surprend alors à trouver des parentés dans des modes d’approches bien différents, voire opposés, mais se rejoignant par une certaine suffisance de ton. L’impasse faite sur des aspects du réel difficiles à réduire à des éléments intelligibles par les théories connues et dominantes à pour but d’emporter la conviction de l’électeur, de l’adepte, du spectateur et de l’auditeur.

Cette pédagogie qui, au-delà de différences paraissant majeures en surface (si l’on s’en tient aux différents discours politiques par exemple), n’en est pas moins susceptible de convaincre par des voies similaires, s’adressant à un imaginaire « formaté » par un causalisme linéaire et un déterminisme mécaniste. Les représentations, les visions du monde, et plus précisément les visions des explications du monde ne sont-elles pas inscrites au cœur de la façon dont ce monde nous est proposé paradigmatiquement depuis notre enfance. Scientisme et science(s) devraient avoir aussi peu de rapport qu’embrigadement et pédagogie. Mais peut-on parler de réelle pédagogie là où la capacité à décrire et expliquer prend le pas sur la capacité à s’interroger. Il n’est pas anodin que ce soit deux physiciens que l’on trouve à l’origine d’un ouvrage qui, pour se vouloir pédagogique, est effectivement riche, même si c’est involontairement, d’enseignements sur le fonctionnement de notre culture. La physique est volontiers considérée comme la reine des sciences. Nous grandissons dans l’intime conviction que nous en saurons plus sur nous-même par la connaissance de la matière et de ses lois intimes, mais nous oublions qu’il ne s’agit là que d’un angle d’attaque du réel qui, pour fondamental qu’il puisse être, ne peut qu’être partiel (Lurçat, 2003 ; Rey, 2003). Il peut paraître étonnant de rappeler de telles évidences philosophiques et épistémologiques. Mais comment faire autrement devant des discours dont la volonté réductrice – et ce n’est pas la réduction, inévitable en science qui est en cause, mais son usage maladroit – révèle une telle volonté hégémonique ?

5. De savoirs en pouvoirs

De nombreuses données parapsychologiques, malgré leur grande consistance, peuvent apparaître fragiles au lecteur pressé, car ne reposant que sur des données statistiques, et des expériences difficilement reproductibles dont l’interprétation est loin d’être aisée. Ainsi, en parapsychologie expérimentale, est-il difficile par exemple de tester, en l’isolant à coup sûr des autres, l’un des trois phénomènes d’E.S.P (perception extra-sensorielle) que sont la télépathie, la clairvoyance et la précognition.
Cependant, comme Bertrand Méheust le démontre très bien pour le cas d’Alexis Didier, il existe un reste difficilement réductible (Méheust, 2003), une fois que l’on a envisagé toutes les solutions susceptibles d’expliquer par des voies plus standard les voyances d’Alexis. Ce reste, on le retrouve également du côté des voyances péremptoires de la voyante contemporaine Yaguel Didier, telles qu’elles nous sont rapportées dans les nombreux témoignages recueillis par Gérald Gassiot-Talabot (Gassiot-Talabot, 1990). Ce même reste se retrouve aussi dans des données déclassifiées et initialement secrètes, du projet Stargate, réalisées aux Etats Unis dans le cadre de la C.I.A et de la D.I.A ou dans de nombreuses expériences de « remote viewing » (vision à distance) (Cerruti, 1999 et Radin, 2000 : 111). Certaines expériences font apparaître quelques « exploits » de la part des plus célèbres de ceux que l’on baptisa « espions médiums ». Ces expériences devraient empêcher, en toute logique, les plus sceptiques des sceptiques de clore le débat d’un simple revers de manche pseudo-rationaliste.
En déniant toute pertinence à ces recueils de voyance pour le moins spectaculaire (et il y en a tant d’autres …), c’est bien le rationalisme qui est menacé, car lorsque la science qualifiée d’officielle se récuse, d’autres risquent de s’emparer des même données pour s’en servir à des fins moins avouables. C’est sans doute déjà le cas et cela explique en partie le succès des mouvements sectaires, le triomphe de la spiritualité new age et la montée des intégrismes religieux.
Lors d’un récent débat sur la télépathie à la Society of Arts de Londres, le 15 janvier 2004, le biologiste Rupert Sheldrake, diplômé de Cambridge, démonta les arguments de son opposant sceptique, Lewis Wolpert, biologiste du University College de Londres qui, apparemment agacé, finit par avancer : « un esprit ouvert, c’est une mauvaise chose (« a bad thing »): tout s’écroule puisque c’est ouvert ». Ce débat fit suffisamment de bruit pour que la revue Nature s’en fasse l’écho et signale que de nombreuses personnes du public ont jugé Lewis Wolpert non-scientifique (« unscientific ») (Whitfield, Revue Nature, 2004).

Sans vouloir me faire l’avocat des sceptiques (c’est le terme consacré et c’est ainsi qu’ils se définissent eux-mêmes), il faut reconnaître que la prise au sérieux des aspects les plus déroutants de la voyance confine à la sidération et se trouve porteuse de beaucoup de déstabilisations et dissonances cognitives et affectives. Je ne reviendrai pas ici en détail sur des points que j’ai déjà développés dans l’ouvrage Un voyant dans la ville. J’avais alors tenté de montrer en quoi le concept de voyance, attaquant un certain nombre de référents temporo-spatiaux permettant dans notre culture de nous représenter le monde, mais aussi ce que nous sommes et nos rapports avec les autres, attaque donc, par là-même, l’idée que nous nous faisons de notre propre corps, de notre psychisme et de leurs fonctionnements. C’est donc plus que de simples représentations intellectuelles qui sont concernées, mais aussi des investissements affectifs multiples : images inconscientes du corps, rapport à l’espace et au temps, à notre histoire et aux autres, etc. (Rabeyron, in Laplantine, 1985 : 212-255).

Devant l’ampleur des conséquences qu’implique la prise en compte des recherches métapsychiques et parapsychologiques (tant sur le plan des idées que sur celui des convictions et des vécus intimes et personnels, conscients et inconscients), on comprend les différentes formes de recul et les moyens employés pour tenir à distance cette menace qui plane depuis plus d’un siècle maintenant sur les milieux intellectuels. Cette menace a pris naissance lorsqu’un groupe d’universitaires anglais décida de créer la SPR (Society for Psychical Research). Si au début du vingtième siècle, le débat au sein des élites autour de la voyance et de phénomènes apparentés fut d’une toute autre tenue que ce qu’il est devenu (Méheust, 1999), si encore un peu plus tard la sensibilité des surréalistes à ces questions les maintint quelques temps encore en position avantageuse, le temps passant, la vie intellectuelle allait se plier de plus en plus aux contraintes imposées par les mouvements la dominant. Ces derniers, même lorsqu’ils s’opposèrent à l’occasion entre eux, surent s’allier, lorsque cela était nécessaire, grâce à leur référence partagée au matérialisme positiviste. Ainsi, à part quelques notables exceptions (et bien sûr, De Martino en est l’une des plus notables), marxisme, structuralisme, psychanalyse, biologisme, cognitivisme, pour n’en citer que quelques uns parmi ces principaux courants, ne crurent pas devoir s’affronter, dans la façon de bien penser le monde, aux données venant de l’univers marginalisé de la parapsychologie.

Les moyens de défense employés pour tenir à distance le paranormal et la voyance en particulier furent et sont encore multiples. Les décrire en détail ferait l’objet d’un travail à part entière. Dans le cadre du présent article, je n’ai fait qu’en évoquer quelques uns. Avant de conclure, je peux rapidement rappeler une dernière fois les plus manifestes : la psi-neutralité et le psi-négativisme. Ils se subdivisent en autant de formes dégradées et à usages ponctuels suivant les phénomènes repérés et la stratégie employée pour les annihiler. Elles sont comme autant d’armes aisément transportables à disposition du grand dessein : protéger les valeurs de la science établie et la vision du monde qui l’accompagne, ce qui implique bien évidemment l’adhésion à une épistémologie normative, certes respectable, mais quelque peu « datée ». Il s’agit en général de défendre avec force, indépendamment de toutes considérations parapsychologiques, les acquis d’une science mécaniste issue du dix-neuvième siècle. Voici quelques uns des petits moyens au service de cette grande cause : effet d’amalgame, ignorance (et donc déni) des travaux, refus de la complexité, usage de raisonnement pseudo-logique (notamment en terme de probabilités), assimilation de l’inconnu au connu, refus de réfléchir à des phénomènes éprouvant des difficultés à se présenter comme reproductibles, mépris des témoignages, etc.

Des enjeux de savoirs s’articulent à des enjeux de pouvoirs, réels et fantasmatiques. Il y a en effet beaucoup à perdre dans la prise en compte des données parapsychologiques. Elles risquent d’attaquer les subdivisions universitaires et quelques unes des grandes interrogations scientifiques réputées pertinentes qui organisent les laboratoires de recherche (et leurs possibilités d’obtenir des crédits), tout en attaquant les cloisons tenues bien étanches entre disciplines parfois éloignées (psychologie et physique, par exemple). Bien évidemment, on l’aura compris, les conséquences épistémologiques sont majeures également, influant sur la manière d’aborder le réel et de le théoriser (lire notamment : Méheust, 1999, 2003 et 2004 ; Radin, 2000 ; Raulet et Duits, 2002 ). Il est dès lors aisé de comprendre que les positions défensives décrites précédemment puissent récolter l’assentiment, au moins passif, de la majorité de l’intelligentsia dans notre pays. Si tel n’était pas le cas, nous compterions quelques universités et laboratoires de recherche parapsychologiques « officiels », à l’instar de quelques pays européens voisins : Grande Bretagne, Pays-Bas, Allemagne, Suède, pour citer les plus « avancés » en ce domaine (5).
Un paradigme vous manque et votre univers, y compris intime et intérieur, est vite dépeuplé ! On pourrait presque se passer de blâmer et de faire l’analyse de ces résistances si l’on ne croyait encore à la victoire en science des idées justes. Cet espoir s’accompagne aussi du souci de privilégier certaines considérations éthiques progressistes dans le domaine de la recherche, face à la tendance humaine naturelle à camper sur des acquis rassurants. Après tout, les premières élaborations métapsychiques n’ont guère qu’un peu plus d’un siècle, ce qui est assez peu comparé à la plupart de disciplines scientifiques actuellement bien implantées.

6. Quel homme pour quelle barbarie ?

Dans un article paru dans la revue L’homme en 2001, Giordana Charuty s’émeut du « retour des métapsychistes » (cette expression n’est autre que le titre donné à son article) (Charuty, 2001). Pour cet auteur, Silvia Mancini et Bertrand Méheust, en prenant parti pour la prise en compte, dans leurs raisonnements anthropologiques, des données métapsychiques et parapsychologiques, risquent de ne plus faire de la bonne anthropologie. Quitte à utiliser des raccourcis saisissants – et il est toujours facile d’extirper d’une argumentation qui se déploie sur mille deux cent pages quelques passages hors contexte – Giordana Charuty reproche notamment à Bertrand Méheust, de s’impliquer dans des controverses auxquelles il aurait dû, d’après elle, avant tout s’évertuer à « donner du sens ». Le format et la finalité du présent travail ne me permet pas de discuter ligne par ligne les points sur lesquels j’ai achoppé lors d’une lecture attentive du « retour des métapsychistes ». J’en retirerai la perception d’une possible menace, vécue comme résurgence d’un passé souhaité révolu. Certes, l’argumentation de l’auteur de cet article est dense et sa pensée complexe. Nous sommes bien loin des raisonnements à l’emporte pièce dont raffolent les psi-négativistes entrevus précédemment et nous n’avons pas à faire non plus au même style. Mais au-delà de ces différences, la finalité reste la même et, avec elle, le pêché dont on accuse les métapsychistes. En l’occurrence : placer au centre d’interrogations épistémologiques et anthropologiques la question de l’existence de certains phénomènes, alors qu’il serait beaucoup plus correct de les analyser dans leurs rapports à la culture de leurs temps et, surtout, sans s’immiscer dans les conflits d’interprétations ontologiques des phénomènes en question (6).
Bien évidemment, si l’on peut comprendre cette critique sous l’angle de ce que doit être une bonne anthropologie historique pour être académique, pour qui s’intéresse à l’homme (et n’oublions pas que c’est dans la revue portant ce nom que l’article de G. Charuty est paru !), nul doute que la question de la réalité des phénomènes est largement aussi intéressante. De plus, une approche n’empêche certainement pas l’autre et donner du sens en terme d’inscription culturelle n’exclut aucunement de s’interroger sur des aspects techniques et éthiques inhérent à l’objet étudié. Plus précisément, l’un renvoie à l’autre et Bertrand Méheust est l’un de ceux qui l’a certainement le plus clairement montré à travers sa problématique du « décrire-construire ». Pour reprendre un exemple déjà évoqué précédemment, sans doute est-il possible de décrire une histoire de femmes battues tout en réfléchissant aux conditions culturelles fabriquant des hommes maltraitants. Cela ne devrait pas empêcher le chercheur d’avoir une opinion personnelle, voire même de l’utiliser dans la compréhension de l’analyse historique concernant la réalité de la maltraitance et de la dimension réelle des coups reçus. A moins d’imaginer une anthropologie désincarnée, ce qui peut apparaître comme étant un comble !

Plusieurs auteurs déjà évoqués ont dénoncé les excès auxquels nous conduisait un certain usage de la science. Penser que la connaissance scientifique puisse nous délivrer de toute barbarie est sans doute l’une des formes les plus perverses qu’a pu revêtir la pensée contemporaine. On a fait mine d’être surpris de constater que les terroristes islamistes qui s’étaient offerts en sacrifice le 11 septembre 2001 étaient issus de filières scientifiques dites dures ou exactes. Et sans doute fallait-il l’être – dur et exact – pour parvenir à des fins aussi dramatiques en ce jour de triste mémoire. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison à invoquer pour justifier les cursus dont ils étaient issus. Les sciences de la matière, repérées comme le nec plus ultra de la connaissance rationnelle, ont su nous fasciner, mais aussi sans doute nous façonner plus qu’il n’y paraît. Elles ont entraîné notre civilisation dans leur sillage, grâce à l’efficacité de leurs retombées techniques et à leur grande capacité à rendre compte des comportements répétitifs de la matière. Et qui oserait vraiment se plaindre des progrès qu’elles ont permis d’accomplir ? Mais un prix était sans doute à payer. Si nous commençons depuis peu à mesurer les désastres écologiques entraînés par une absence d’éthique planétaire, nous ne sommes peut-être qu’à l’aube de la prise de conscience des effets psychologiques et spirituels que l’apprentissage d’une certaine vision du monde génère.

Loin de moi l’idée que la prise en compte du paranormal vienne nous sauver en nous ouvrant sur la dimensions cachée d’un surhomme porteur de pouvoirs psi accrus et contrôlés ! Laissons cela aux auteurs de science fiction et à certains courants d’un ésotérisme élitiste. En revanche, je suis persuadé que le déni de cette même dimension est fortement préjudiciable socialement et culturellement. Des effets barbares naissent du mépris d’une partie de ce qui fait l’humain qui, en cherchant à faire retour, est également susceptible de donner naissance à d’autres barbaries. Ma crainte tient au fait que l’expérience paranormale, elle, perdure au-delà des représentations pseudo-rationnelles de l’homme qu’une science triomphante véhicule. Et avec elle tout le cortège d’expériences mystiques, d’états étranges de la conscience, de vécus difficilement compréhensibles, aisément récupérables par un monde grouillant de gourous, de maîtres spirituels, de courants de pensées intégristes et racistes. La laïcité matérialiste peut être vue comme une secte scientiste lorsqu’elle ne sait plus accepter ni les différences des vécus intimes, ni la complexité du monde. Ce monde, elle tient à le garder bien arrimé à une démarche scientifique qu’« à l’ombre des lumières » – voir à ce propos les réponses de Bricmont à Debray dans : Debray, Bricmont, 2003 – elle se plaît à définir de façon normative. Une certaine démarche scientifique, faisant fi des difficultés inhérentes à la définition de la science elle-même (Chalmers, 1982), devient, pour nombre de nos contemporains, la seule approche du réel digne de foi. Ce qui, là aussi, est un comble ! Elle devient une gigantesque fabrique d’êtres clivés, tant ils sont traversés par des représentations et des vécus parfois profondément contradictoires. Dès lors, il n’est pas si surprenant que des techniciens de formation, élevés loin d’interrogations philosophiques et sociologiques, mais récupérés par des idéologies donnant du sens à leurs vécus, deviennent des extrémistes religieux. Souffrant de chaînons manquants conceptuels majeurs et passant de l’atome à Allah, en évacuant les sciences les plus humaines de leur formation et de leur culture, ils sont séduits par des mises en sens traditionnelles. Mais les intégristes ne sont pas que religieux et islamistes. Ils peuvent aussi être scientistes et athées.

7. A venir ?

Parmi les sciences humaines, l’ancienne métapsychique et la plus moderne parapsychologie ne représentent-elles pas des espaces de possible réconciliation de l’homme avec lui-même ? Contradictions et énigmes s’y expriment et peuvent s’y trouver formalisées dans des conditions de transdisciplinarité rendant utiles et nécessaires tous les savoirs. Sciences exactes comme sciences humaines sont inévitablement convoquées, de par la nature même des phénomènes psi.
L’ouvrage dans lequel ces quelques lignes vont paraître est issu d’un colloque organisé dans le cadre du plus prestigieux organisme de recherche français : le C.N.R.S. L’auteur du présent article a réussi à développer dans une université française un enseignement abordant les phénomènes dits paranormaux (7). Faut-il interpréter ces éléments comme des signes avant-coureurs d’une prise en compte institutionnelle sérieuse des questions métapsychiques dans notre pays ? Ces dernières lignes peuvent être comprises comme un appel à ce que puissent se mobiliser quelques hommes prêts à relever le défi de la complexité qui nous constitue. Antoine Faivre a bien réussi à donner ses lettres de noblesse à la pensée ésotérique au sein de l’Ecole pratique des hautes études. Où sera installée la première chaire de parapsychologie ? Voilà un bel enjeu pour des savoirs encore à venir.

Notes

(1) Plusieurs auteurs – à ne pas méconnaître – ont à leur tour contribué à réinstaller les questions métapsychiques et parapsychologiques sur la scène intellectuelle. Voici un tour d’horizon, sans prétention à l’exhaustivité, de quelques productions en la matière, depuis la fin des années 1980.
Djohar Si Ahmed et à Elisabeth Laborde Notale, auxquelles nous devons respectivement Parapsychologie et psychanalyse et La voyance et l’inconscient, ont toutes deux tenté de théoriser la voyance à partir de leur pratique psychanalytique, suivant en cela les pas d’illustres précurseurs (Freud, Servadio, Ferenczi, Jung, Ehrenwald, Eisenbud, etc. ). François Laplantine et Marion Aubrée ainsi que Christine Bergé, en publiant la même année deux ouvrages centrés sur le spiritisme à partir d’une approche anthropologique, ont su aborder aussi, même si ce fut d’une manière plus tangentielle, quelques thèmes de nature parapsychologique. Christine Hardy, dans un ouvrage intitulé La connaissance de l’invisible livre dans son sous-titre le contenu de l’ouvrage (une approche ethnologique et psychologique de l’autre réalité). Plus récemment, Bertrand Méheust, dans sa « somme » Somnambulisme et médiumnité, a montré magistralement, parmi les nombreux thèmes qu’il embrasse, comment l’ancêtre de l’actuelle parapsychologie, à savoir la métapsychique naissante, pouvait se targuer, au début du vingtième siècle, de compter dans les rangs de ses alliés, de nombreux intellectuels et non des moindres. Il a récemment complété par son Alexis Didier : un voyant prodigieux, la réflexion entamée dans ces précédents ouvrages. La réédition, à l’initiative de Silvia Mancini, de l’ouvrage d’Ernesto de Martino, Le monde magique, a été un pas de plus dans la tentative de réinscrire les interrogations métapsychiques au cœur de la vie intellectuelle française. Durant cette même période, Philippe Wallon, psychiatre et chercheur à l’INSERM, écrivait ou coordonnait plusieurs ouvrages en lien avec le thème du paranormal.
C’est entre 1990 et 2003 qu’allaient sortir en langue française plusieurs livres de vulgarisation scientifique de bon niveau et traitant de parapsychologie expérimentale, venant épauler, en quelque sorte, des contributions que l’on devait jusqu’alors à l’éthologue Rémy Chauvin, au mathématicien Yves Lignon ou au capitaine d’industrie Ambroise Roux. Ces ouvrages, dus à la plume de parapsychologues d’origine anglo-saxonne, ont pour auteur Mario Varvoglis, Richard Broughton, Dean Radin et Rupert Sheldrake. Les trois premiers sont psychologues de formation et Rupert Sheldrake est un éminent biologiste formé à l’Université de Cambridge. Mario Varvoglis est, pour sa part, l’actuel président de l’Institut métapsychique international (IMI) qui est la seule fondation en France reconnue d’utilité publique habilitée à mener des recherches dans le champ de la parapsychologie. Avec Marie-Monique Robin, journaliste et réalisatrice, Mario Varvoglis a également écrit en 2003 un ouvrage intitulé Le sixième sens.
Plusieurs ouvrages de témoignages centrés sur la paranormal en général ou sur la voyance en particulier ont étaient également édités. Ainsi doit-on au journaliste Eric Pigani, un livre intitulé Psi, enquêtes sur les phénomènes paranormaux. Toute une série d’ouvrages parus sous la plume ou en collaboration avec des voyants ou voyantes professionnels se trouvent également en librairie. On pourra lire en particulierMaudKristen,YaguelDidier,ElianeGauthierouRosanaNichols. Des journalistes ont également réalisé des enquêtes sur le thème de la voyance (Mesnage et Colombani ou Entraygues).
Il faut citer aussi le remarquable travail d’écrivain et de réalisateur effectué par Bernard Martino avec les Champs de l’invisible, mais aussi rappeler les travaux effectués dans des domaines connexes en matière de N.D.E (near death experience) (par exemple : La mort transfigurée, sous la directiond’Evelyne-Sarah Mercier) ou d’ufologie (B. Méheust, J. Vallée). On pourra aussi se référer à la publication des actes d’un colloque s’étant tenu à Paris sur le thème « Paranormal, entre mythes et réalité », à l’initiative d’Eric Raulet et d’Emmanuel-Juste Duits et on lira avec plaisir un ouvrage récent faisant le point sur la phénoménologie et les théories des apparitions (Catala, 2004). Enfin, il faut signaler deux ouvrages collectifs (Des savants face à l’occulte, 2002 et le numéro d’octobre – décembre 2003 de la revue Ethnologie française, intitulée : Voix, visions, apparitions) réunissant de nombreux chercheurs et universitaires qui, même s’ils ne s’affrontent dans leur majorité que tangentiellement aux phénomènes paranormaux ou ne les repèrent pas comme tels, ont le mérite de montrer la possibilité d’une recherche historique et anthropologique « haut de gamme » sur ces thèmes. (L’ensemble des auteurs cités dans cette note se retrouvent dans la Bibliographie générale de l’article).

(2) Marie-Monique Robin a obtenu le prix Albert Londres, pour son reportage Voleurs d’yeux, en 1995. Elle a réalisé un documentaire intitulé « La science face au paranormal », diffusé sur Canal + en 2004. Avec Mario Varvoglis, elle a co-signé un ouvrage intitulé Sixième sens (cf Bibliographie).

(3) Henri Broch fait partie, par exemple, du Comité de parrainage de l’AFIS (Association Française pour l’information scientifique qui se présente ainsi sur son site internet (http://pseudo-sciences.org) : « L’Association Française pour l’Information Scientifique se donne pour but de promouvoir la science contre ceux qui nient ses valeurs culturelles, la détournent vers des œuvres malfaisantes ou encore usent de son nom pour couvrir des entreprises charlatanesques ». L’AFIS pourfend effectivement avec le même acharnement tout ce qui ne correspond pas à l’idée que les membres de cette association se font de la science. La Psychanalyse se trouve ainsi tout autant critiquée que l’Astrologie, la Parasychologie, l’Homéopathie et d’autres médecines alternatives, etc. Dans le comité de parrainage de l’AFIS, se trouve également un autre physicien, Jean Bricmont, auteur avec Alan Sokal d’un ouvrage polémique sur la valeur scientifique de certains travaux issus des sciences humaines(Impostures intellectuelles)et d’un livre plus récent où il dialogue avec Régis Debray (A l’ombre des lumières). Les positions d’un Bricmont ont l’avantage d’être claires et de se situer à un autre niveau épistémologique que celles de Broch et Charpak car Bricmont et Sokal sont lecteurs des philosophes et savent le montrer.
Ce n’est pas le cas, en revanche, d’un texte que l’on peut trouver sur le site de l’AFIS et intitulé La parapsychologie face à la démarche scientifique (www.pseudo-sciences.org/parapsycho.htm), par Lisan Benjamin, ingénieur système. Après avoir rapidement rappelé ce que sont les principes fondant une bonne manière de pratiquer la science, parcourant quelques notions de base du paradigme dominant (inductivisme, réductionisme, etc.), dans le chapitre 7 de ce texte, consacré aux « affirmations de la parapsychologie », aucun nom de parapsychologues connus et aucune référence à une expérience de parapsychologie scientifique ne sont évoqués clairement ! Je sais bien, pour l’avoir discuté moi-même (Rabeyron : 2003) que les termes « parapsychologue », comme « paranormal », sont polysémiques. Mais la moindre des rigueurs, surtout pour qui veut donner des leçons de rationalité, n’est-elle pas, lorsque l’on traite d’une question polémique, d’en faire un tour suffisamment grand, incluant les définitions des termes que l’on va employer. Si l’on fait ce travail, il apparaît alors assez vite que, quoi que l’on pense de sa pertinence, il existe bien une parapsychologie se voulant scientifique et des parapsychologues aisément différentiables des « praticiens du paranormal ». Entretenir la confusion sur les termes à ce propos, comme aiment à le faire de nombreux partisans du courant sceptique, ne leur fait guère honneur. Cela illustre en revanche parfaitement leur fâcheuse tendance à abuser de l’effet d’amalgame (Rabeyron, dans Laplantine, 1985 : 247-252).

(4) Henri Broch définit la zététique (qui vient du grec zetein : chercher) comme « l’Art du doute ». Il est Docteur en Sciences et Professeur de physique à l’Université de Nice – Sophia Antipolis où il enseigne la physique et la zététique. Georges Charpak, qui est membre de l’Académie des Sciences, a obtenu le Prix Nobel de Physique en 1992.

(5) Il existe une Chaire de Parapsychologie à l’Université d’Edimbourg (Koestler Parapsychology Unit) et à Utrecht aux Pays-Bas. En 2003, une troisième chaire européenne de Parapsychologie vient de se créer à Lund, en Suède. Un article du journal Le Monde s’est fait l’écho de cette création récente (Moulin, 2003). En Allemagne, l’Institute für Grenzgebiete der Psychologie und Psychohygiene (le centre le plus important de parapsychologie en Europe), bien qu’étant aujourd’hui indépendant de l’université de Freiburg, garde des liens étroits avec elle. Pour plus de précisions sur les universités européennes, les enseignements et l’ensemble des centres de recherche existant dans le monde en lien avec la parapsychologie, on pourra consulter les sites internet suivants : www.metapsychique.org, http://moebius.psy.ed.ac.uk/ ou encore www.parapsych.org.

(6) Giordana Charuty prend l’exemple de la polémique qui accompagna les exploits discutés de Léonide Pigeaire, une jeune voyante du XIXème siècle, fille de médecin et sur laquelle Bertrand Méheust va particulièrement s’attarder. En effet, Léonide va se trouver au centre d’une polémique impliquant l’Académie de Médecine, notamment à cause d’une discussion concernant la qualité d’un bandeau qui lui couvrait les yeux lors de ces démonstrations somnambuliques. Giordana Charuty fait la proposition suivante : « Pour donner sens à pareille démonstrations, sans doute aurait-il fallu identifier non tant les différences « écologiques » entre cagoule et bandeau de velours…que les modèles culturels adoptés pour authentifier une pratique thérapeutique à travers l’invention d’une nouvelle figure d’aveugle voyant, autrement dit d’une magie fondée sur de nouvelles techniques divinatoires. L’un d’eux ne serait-il pas l’écriture Braille qui vient d’être inventée pour permettre aux aveugles de lire avec leurs doigts ? » (Charuty, 2001 : 357). Certes, l’idée est bonne, mais en quoi le parti que tire Méheust de cet épisode (et ce n’est vraiment qu’un épisode), dans l’axe général de sa réflexion sur les enjeux d’une possible reconnaissance par les académiciens des phénomènes magnétiques, perd-il pour autant sa pertinence ?
Si le constat que l’homme ait pu avoir envie de voler en regardant les oiseaux n’empêche pas de réfléchir aux difficultés économiques qui ont pu présider au développement de l’Aéropostale, c’est sans doute parce que tout le monde est d’accord sur le fait que les avions volent ! C’est justement sur un autre fait, porteur d’un certain indécidable, que Méheust a choisi de réfléchir. Ce fait – historique et sociologique – consiste à constater que tout le monde ne s’accordent pas à propos des pouvoirs à attribuer aux somnambules magnétiques. Et je crois c’est bien cela qui ennuie Charuty. C’est en fait son objet d’étude même, qu’entre les lignes, elle reproche à Méheust. Il est possible de critiquer tel ou tel point de détail d’une démonstration que l’on peut estimer incomplète. Il est bien sûr toujours légitime de proposer à un auteur qui a consacré quinze ans, une thèse de Doctorat et plus de mille deux cents pages d’un ouvrage publié de ne pas avoir vu tous les aspects d’une partie de la question à laquelle il a réfléchi. Mais le reproche majeur qui est fait à Méheust n’est-il pas de ne pas être « épistémologiquement correct » ? Pourquoi alors ne pas le dire franchement ?

(7) Depuis 1995, je suis responsable d’enseignement à l’Université Catholique de Lyon où j’ai créé une unité de valeur, dispensée dans le cadre du Département de Formation Humaine et intitulée Sciences, société et phénomènes dits paranormaux. Pour plus de renseignements sur le contenu et l’esprit de cet enseignement, se reporter à (Rabeyron, in Raulet et Duits, 2002 : 62-72).

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1990 La voix des esprits, Ethnologie du spiritisme, Paris, Métailié.

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