Home
A propos du documentaire « Superscience : les transmissions de pensées »

A propos du documentaire « Superscience : les transmissions de pensées »

« Superscience » est une série documentaires produite par PIONEER pour National Geographic Channel. Elle a été diffusée par France 5 en avril et mai 2005. Le treizième et dernier épisode était intitulé « les transmissions de pensées » et abordait le sujet délicat de la parapsychologie expérimentale. Une nouvelle diffusion de cet épisode le 9 juillet 2007 nous oblige à actualiser cet article publié initialement en septembre 2005. L’IMI a tenu à publier une critique de ce documentaire, car il est assez caractéristique de la manière dont les médias traitent généralement le sujet.


Ce dernier épisode d’une série de documentaires de vulgarisation scientifique a le mérite d’aborder le sujet délicat et peu médiatisé de la recherche en parapsychologie expérimentale. Après l’interview de personnes pensant avoir vécu des phénomènes spontanés, plusieurs expériences sont présentées : une comparaison des notes obtenues par des couples de jumeaux à un test de linguistique, une expérience amateur de télépathie avec l’utilisation d’un polygraphe, une session de remote viewing avec Edwin May et Joseph McMoneagle, une session de ganzfeld menée dans le département de parapsychologie de l’Université d’Edimbourg, et une expérience de télépathie utilisant un électroencéphalogramme. Le téléspectateur y apprend l’existence de quelques laboratoires de recherche parapsychologique ou du programme Stargate, à travers les interviews de Joseph McMoneagle et de Hal Puthoff. Il découvre aussi la manière dont peut se dérouler une session d’expérience de « vision à distance ». Cependant, ce document montre très imparfaitement ce qu’est la véritable recherche parapsychologique. Nous allons tenter de montrer pourquoi.

Du journalisme non scientifique

D’après les commentaires, un des buts de l’enquête est de filmer une expérience constituant « une preuve » de la télépathie. Ainsi, les journalistes se demandent « qui réussira à [les] convaincre », ou si « cette expérience [apportera] la preuve que la télépathie existe », ou encore, concluront que « [tel] test est loin de fournir la preuve que la télépathie existe »… De telles remarques amènent à penser que ces mêmes journalistes ont bien mal compris les problématiques de la parapsychologie expérimentale. Il est en effet regrettable qu’ils aient suivi leur propre logique plutôt que celle des scientifiques. La notion de preuve mériterait d’être approchée du point de vue des chercheurs qualifiés (parapsychologues et sceptiques). Ici, ce qui est considéré comme une preuve potentielle ne constitue au mieux qu’une illustration, rien de plus.

En effet, les expériences de parapsychologie présentées ne peuvent prendre sens qu’après avoir été répétées de nombreuses fois, de façon à parvenir à déterminer si les résultats sont statistiquement significatifs. Une seule session de remote viewing ou de ganzfeld ne peut en aucun cas constituer une preuve, ce que semble ignorer les auteurs du documentaire.

Plus généralement, les résultats d’une expérience scientifique sont considérés comme valides après avoir été confirmés par des laboratoires indépendants. La démarche des journalistes pose donc déjà un problème lorsqu’elle est confrontée à la définition donnée habituellement de la notion de preuve dans le domaine expérimental.

Ce concept de preuve se complexifie encore dès que l’on aborde le champ si controversé de la parapsychologie. Les phénomènes étudiés dans ce domaine, du moins dans son approche universaliste, sont généralement caractérisés par des effets faibles et difficilement reproductibles dans le cadre du laboratoire. Ces caractéristiques ont mené les parapsychologues à utiliser des méthodes statistiques pour évaluer les résultats des expériences depuis maintenant plus de 70 ans, c’est-à-dire depuis la naissance de la parapsychologie quantitative telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ces outils statistiques, utilisés dans différents domaines des sciences « classiques » (médecine, psychologie expérimentale, biologie, etc.) peuvent être considérés comme un des socles sur lesquels les protocoles expérimentaux se sont développés, représentant une manière fiable d’évaluer les résultats quantitatifs en parapsychologie.

Plus récemment, les méta-analyses, basées également sur les statistiques, ont aussi été utilisées en vue d’intégrer les résultats de plusieurs expériences similaires. L’utilisation des statistiques est donc une caractéristique fondamentale de la parapsychologie expérimentale. Or, cet aspect est à peine évoqué dans le documentaire, alors qu’il est essentiel pour comprendre ce qui peut constituer une preuve en parapsychologie.

Par ailleurs, au vu des données de la littérature en ce domaine, de nombreux paramètres, tels que le comportement de l’équipe expérimentale ou, de manière plus générale, l’environnement dans lequel se déroule l’expérience, pourraient avoir une influence directe sur les résultats, ce qui vient encore compliquer cette notion de preuve. Cette fois, le problème se pose surtout entre les parapsychologues et le reste de la communauté scientifique, car la plupart de ces paramètres ne sont pas pris en compte dans des disciplines plus « classiques ».

C’est pourquoi il est souvent difficile pour un scientifique de penser que l’échec d’une réplication expérimentale peut être due à l’un de ces paramètres. On peut par exemple penser à la tentative de répétition des expériences de Sheldrake sur le sentiment d’être observé par Colwell et al., où le « starer » et ses convictions ne sont pas considérées comme des variables susceptibles d’influencer les résultats [1].

Ainsi, le test de E. May présenté dans le reportage [2] ne pourrait constituer une telle preuve que s’il était répété un nombre de fois suffisant avec succès. En effet, les conditions de contrôle, sans être drastiques, paraissent honorables, et les résultats quantifiables (contrairement à ce qui est laissé entendre dans le film).

On regrette donc que les journalistes aient suivi leur propre définition de la preuve, et n’aient pas suffisamment laissé la parole aux scientifiques.
La recherche parapsychologique est donc présentée d’une manière simpliste et déformée, et les solutions développées par les scientifiques (statistiques, choix forcé, double-aveugle, etc.) pour se sortir de la situation d’impasse apparente que les journalistes présentent, ne sont quasiment pas abordées.

Ceci est en fait assez caractéristique de la manière dont les médias traitent le sujet du paranormal. En effet, c’est un bon sujet pour faire de l’audimat et c’est aussi un sujet qui, a priori, ne semble pas bien difficile à traiter : le téléspectateur moyen attend plus de sensationnel que de rigueur. Or, c’est une erreur de penser que ce sujet est facile et ne nécessite pas de connaissances particulières. Les principales caractéristiques de la recherche parapsychologique et ses problématiques sont souvent très mal cernées, ce qui contribue à renforcer les idées floues que la plupart des personnes se font de ce domaine. Aborder la recherche parapsychologique devrait au contraire nécessiter pour les journalistes une rigueur encore plus grande que lorsque ces derniers abordent des champs scientifiques plus habituels.

Des expériences sans grand intérêt et des détails occultés

L’émission commence avec des témoignages de jumeaux pensant avoir vécu une expérience de « transmission de pensées », puis enchaîne sur des expériences dont l’intérêt est inégal. Les deux premiers tests, mettant tous deux en scène des couples de jumeaux, sont réalisés par des amateurs. Elles sont amusantes sur le principe, mais non valides d’un point de vue scientifique, car sujet à de nombreux biais (dans leur réalisation, comme dans l’interprétation des résultats). Le commentateur le dit d’ailleurs lui-même : « ce ne sont pas des conditions de laboratoire, et de loin », « dans une expérience si peu rigoureuse, l’opérateur peut être tenté de chercher des résultats favorables et d’ignorer d’autres indices qui ne collent pas »…On peut donc se demander pourquoi ces expériences apparaissent dans un documentaire à vocation scientifique !

Une partie du film se passe ensuite à la Koestler Parapsychology Unit de l’Université d’Edimbourg, où l’on voit le déroulement d’une expérience de ganzfeld dirigée par le parapsychologue Paul Stevens. Les commentaires donnent l’impression que Stevens est le seul à mener ces expériences : « [Le Docteur Stevens] tente de prouver l’efficacité de la parapsychologie ; ses travaux montreront peut-être la télépathie sous un nouveau jour. […] Il pense que la publication des résultats apportera la preuve tant attendue. Il mène un combat titanesque contre une communauté scientifique extrêmement sceptique ». Nulle part il n’est mentionné que le protocole ganzfeld a été amélioré, en collaboration avec des sceptiques, il y a maintenant presque 20 ans [3] et qu’il a été maintes fois répliqué et a permis d’obtenir depuis des résultats extrêmement intéressants [4].

Par ailleurs, quelques points bien plus intéressants et fondamentaux en recherche parapsychologique sont évoqués, mais très peu ou pas du tout développés, comme par exemple le fait que le clairvoyant Mc Moneagle semble ne pas s’être fixé sur la cible en tant que telle (le pont de Dumbarton), mais sur les alentours.

Des commentaires décalés

Durant toute la durée du film, les commentaires sont en contradiction avec les images montrées à l’écran. Le journaliste est en effet très critique face aux résultats des expériences et aux témoignages rapportés, pensant certainement apporter ainsi plus d’objectivité à l’ensemble. Or, ce n’est pas ce qui en ressort, car les critiques sont floues, peu ou pas détaillées, pas plus qu’elles ne sont documentées. Ainsi, à propos du ganzfeld, on nous dit :

« Dans ce genre d’expériences, ceux qui croient en la télépathie trouvent des résultats positifs ; mais si un réfractaire réalise le même test, il ne découvrira rien qui sorte de l’ordinaire. »

Ou bien encore, au sujet de la percipience de McMoneagle :

« Mais [McMoneagle] n’a-t-il pas modifié légèrement sa vision a posteriori ? Ses descriptions étaient peut-être suffisamment vagues pour pouvoir correspondre à toutes sortes d’endroits différents […] Mais l’expérience n’a pas été menée de manière scientifique, on ne peut donc être sûr de rien, et bien évidemment, rien ne nous dit que son choix n’a pas été une simple coïncidence. […] Et même sans parler de science, le simple bon sens nous fait douter des résultats. »

Ou enfin, en parlant du projet « Stargate » :

« Mais depuis que cette première vision a été rendue publique, la description du site a été maintes fois contestée. »

On regrette une fois de plus que la parole n’ait pas été suffisamment donnée aux scientifiques. Leurs critiques auraient certainement été plus efficaces et plus précises que celles du commentaire, qui semble avoir repris des critiques générales pour les appliquer aux expériences filmées.

Concernant le programme « Stargate », il est notamment question du rapport de Hyman (non nommé dans le documentaire) et de certaines de ses critiques concernant la pertinence des descriptions des espions-médiums ou la méthodologie générale utilisée. Le protocole filmé dans le documentaire étant issu des méthodologies développées pendant le projet « Stargate », il aurait été particulièrement intéressant de savoir en quoi les critiques du rapport auraient pu s’appliquer à l’expérience filmée. Le commentateur se contente de dire que « pour qu’une expérience soit jugée scientifiquement valide, elle doit être contrôlable, mesurable, et reproductible [et que] l’expérience de McMoneagle n’est rien de tout ça ». Notons par ailleurs que le rapport de J. Utts [5], plus positif concernant ce même programme Stargate, n’est pas cité.

Une phrase de conclusion révélatrice

La dernière phrase prononcée par le commentateur du documentaire reflète assez bien la méconnaissance du sujet . On remarque que demeure une confusion sur la nature de la parapsychologie et sa place au sein de la nébuleuse du paranormal. En l’occurrence, après 50 minutes de film, le journaliste contribue malheureusement à cette confusion générale :

« Jusqu’à ce qu’on en trouve une preuve irréfutable, la télépathie restera une science occulte marginale, fascinante d’accord, mais une science exacte, non. »

Tout d’abord, la télépathie n’est pas une science mais un phénomène étudié (ou une anomalie). Ensuite, la parapsychologie est tout sauf une science « occulte », puisqu’elle s’en est démarquée pour devenir une discipline universitaire, et ne peut en aucun cas être une science « exacte » puisque ce mot est traditionnellement appliqué aux mathématiques et à la physique, mais en aucun cas aux sciences humaines. De plus, la notion de « preuve irréfutable » est fortement mise à mal par toute réflexion épistémologique un tant soit peu élaborée.

Ce documentaire, dont l’intérêt principal réside dans les expériences filmées et les interviews de personnalités, aurait gagné en qualité si les journalistes avaient laissé les scientifiques donner leur avis et présenter leur méthodologie. De nombreux éléments importants sont omis, alors que le documentaire s’attarde sur des points beaucoup moins fondamentaux (comme les deux premières expériences). Le téléspectateur peut se sentir ainsi frustré d’assister à de nombreuses expérimentations immédiatement réfutées sans argumentation poussée, donnant ainsi une impression de recherches peu sérieuses et inutiles, ainsi que d’illusions facilement démenties. Tout ceci contribue malencontreusement au flou déjà très présent dans les esprits habitués à se trouver confrontés à un « paranormal grand public » où dominent films fantastiques et séries télévisées. La limite entre parapsychologie, astrologie, X-files, New Age, religions ou petits hommes verts devient dès lors pratiquement inexistante…

Notes

[1] Sheldrake, R. Follow-Up : Research on the Feeling of Being Stared At. In Skeptical Inquirer, March/April 2001.

[2] McMoneagle, J., May, E., The possible role of intention, attention and expectation in remote viewing. In : The Parapsychological Association, Inc. 47th Annual Convention, August, 5-8, 2004. Proceedings of Presented Papers. Vienna University, 367-377.

[3] Hyman, R., Honorton, C. (1986). A joint communiqué : The psi ganzfeld controversy. Journal of Parapsychology, 50, 351-364.

[4] Bem, D., Honorton, C. (1994). Does Psi Exist ? Replicable Evidence for an Anomalous Process of Information Transfer, Psychological Bulletin, Vol. 115, No. 1, 4-18.

[5] Utts. J. M. (1996) An Assessment of the Evidence for Psychic Functioning, Journal of Scientific Exploration, 10 (1), 3-30. Also in Journal of Parapsychology, 59(4), 289-320.