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Robert Houdin et Alexis Didier

Robert Houdin et Alexis Didier

Si elle a bien eu lieu, la rencontre entre Robert-Houdin, le maître des illusionnistes, et Alexis Didier, le prince des voyants, est un véritable événement de légende, qui condense, à la façon d’une intrigue théâtrale, le heurt entre la rationalité occidentale et le monde de la magie. Mais l’épisode, à première vue, semble presque trop beau pour être vrai, et suscite la méfiance de l’historien.


La confrontation fameuse est censée s’être déroulée le 3 mai 1847. Les faits sont rapportés par le Marquis de Mirville, au début d’un de ses ouvrage Des esprits et de leurs manifestations fluidiques, paru en 1854, dans une sorte de prologue, adressé en lettre ouverte à l’Académie des sciences. Le marquis commence par préciser les circonstances qui l’ont conduit à organiser la rencontre. Las de se faire renvoyer à Robert-Houdin à chaque fois qu’il évoque la lucidité magnétique, il se rend chez le maître, et lui demande s’il accepterait d’assister, comme expert, à une séance avec un somnambule, sans lui préciser son identité. Robert-Houdin accepte sans se faire prier et donne sa parole qu’il attestera de ce qui s’est passé, quoi qu’il advienne.

L’illusionniste, qui a déjà démasqué plusieurs faussaires, se dit convaincu que c’est le cas de tous les somnambules. Une fois en présence d’Alexis, il demande à poser lui-même le bandeau. Puis il soumet le somnambule à une série de tests: il le prie de jouer aux cartes avec lui yeux bandés, l’invite à lire dans un livre fermé, et lui demande à qui appartenait une mèche de cheveux qu’il a amenée avec lui.

Devant le succès du somnambule, Robert-Houdin perd pied et avoue même un moment de panique. Mais il tient parole. Le lendemain, après lecture du rapport du marquis, il lui donne cette attestation:

« Je ne puis m’empêcher de déclarer que les faits rapportés ci-dessus sont de la plus haute exactitude, et que, plus j’y réfléchis, plus il m’est impossible de les ranger parmi ceux qui font l’objet de mon art et de mes travaux. Ce 4 mai 1847. »

Une quinzaine de jours plus tard, Robert-Houdin se rend chez Alexis avec un collègue pour le soumettre à de nouveux tests. Cette deuxième séance lui retire ses derniers doutes et il délivre au marquis un deuxième certificat, dans lequel il confirme que les phénomènes produits par Alexis ne relèvent pas de son art.

La personnalité du marquis de Mirville – un réactionnaire nostalgique de l’Inquisition – et le fait que Robert-Houdin n’a pas mentionné cet épisode marquant dans ses mémoires, pouvait conduire à douter de la réalité de la séance, ou, tout au moins, de la fidélité de la recension proposée par le marquis. Mais une analyse détaillée de toute l’affaire m’a conduit à la conclusion que la séance a très probablement eu lieu, et que l’illusionniste a bien été confronté à des phénomènes qu’il se savait incapable de reproduire (Bertrand Méheust, Un voyant prodigieux: Alexis Didier, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003).

C’est le témoignage de l’historien des religions André-Saturnin Morin qui a enlevé ma conviction. Magnétiste et franc-maçon notoire – c’est lui qui a introduit la crémation en France – Morin est un homme politique et un intellectuel respecté. S’il va interroger Robert-Houdin, c’est précisément parce qu’il se méfie du marquis de Mirville, qui est un adversaire idéologique. Mais l’illusionniste va lui confirmer les faits et donner de nouveaux détails, en précisant que, ce jour là un médecin sceptique, le docteur Chomel, fut retourné par Alexis. Membre de l’Académie de médecine, Chomel était le médecin du roi…Selon toute vraisemblance, la confrontation a bien eu lieu, et si Robert-Houdin ne l’a pas mentionnée dans ses mémoires, c’est parce qu’il ne souhaitait pas apporter sa caution au magnétisme dans son ensemble.

Cet article est un extrait du livre de Bertrand Meheust : « 100 mots pour comprendre la voyance« .