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L’approche élitiste et l’approche universaliste

L’approche élitiste et l’approche universaliste

La recherche psychique ou métapsychique a démarré avec l’approche élitiste, dans laquelle on cherche à étudier des phénomènes psi « de grande magnitude » observés lors d’expérimentations de laboratoire. On travaille alors uniquement avec des individus doués — sujets psi ou médiums — qui assurent avoir un bon contrôle du psi.

L’approche élitiste

La recherche psychique ou métapsychique a démarré avec l’approche élitiste, dans laquelle on cherche à étudier des phénomènes psi « de grande magnitude », observés lors d’expérimentations de laboratoire. On travaille alors uniquement avec des individus doués — sujets psi ou médiums — qui assurent avoir un bon contrôle du psi. A partir de 1882 et pendant une cinquantaine d’années, la Society for Psychical Research en Angleterre, l’American Society for Psychical Research en Amérique, l’IMI en France et des chercheurs italiens et allemands, furent impliqués dans l’étude intensive d’un grand nombre de médiums, certains étant spécialisés dans l’ESP ou le psi « réceptif », et d’autres dans les « phénomènes physiques » ou la psychokinèse.

S’il y eut de nombreuses instances de fraude de la part des sujets, nombre de médiums ne furent jamais pris en train de tricher et ils apportèrent des preuves, parmi les plus fortes et les plus évidentes, de la véracité du psi réceptif. L’avantage incontenstable de l’approche élitiste est la possibilité d’observer des phénomènes psi de grande magnitude dans des conditions rigoureusement contrôlées. Ainsi, elle nous fournit une des meilleures preuves de la réalité d’un contrôle volontaire des phénomènes psi.

Toutefois, cette démarche est limitative en ce sens qu’elle tend à centrer la recherche sur un seul et unique sujet. Le chercheur doit en effet concevoir les expérimentations en fonction des dons particuliers du médium. Que celui-ci triche, déménage ou tombe malade, et la recherche est stoppée. De plus, étant donné le caractère unique de ces individus, il est difficile d’évaluer jusqu’à quel point on peut généraliser les résultats obtenus, et il est peu aisé d’analyser la nature de ces phénomènes. Quand, au contraire, nous travaillons avec de nombreux sujets ordinaires, il est possible d’observer l’influence de certains facteurs psychologiques, ou peut-être même biologiques, sur ces dons.

L’approche universaliste

Ici, le chercheur ne se base pas sur l’observation directe de phénomènes psi de large envergure produits par de rares sujets. Prenant au contraire une optique universaliste sur les phénomènes psi, il cherche à déterminer des tendances dans la population générale, et utilise les statistiques pour déceler des manifestations de faible envergure. En d’autres termes, dans l’approche universaliste, les phénomènes psi ne sont pas directement visibles: on déduit statistiquement leur présence à partir des résultats obtenus sur un grand nombre de tests identiques que l’on a fait passer à de nombreuses personnes, par exemple, des classes d’élèves.

Cette approche semble être à l’opposé d’une démarche intuitive, à moins que nous n’en comprenions l’hypothèse de base: même si le psi se manifeste rarement et ne peut être contrôlé que par quelques personnes, il s’agirait d’une capacité inconsciente, commune à tous, capable d’influencer, subtilement mais de façon constante, certains comportements et certaines pensées. Si cette proposition est juste, il suffit alors d’observer les comportements pouvant suggérer une composante psi et de trouver des techniques permettant d' »amplifier » ce facteur psi jusqu’à ce qu’il devienne détectable.

Pour prendre une analogie, imaginons que cette influence psi soit un signal radio de faible puissance. Sur notre poste de radio, entre les stations, nous ne percevons que du « bruit blanc ». De temps en temps, sur la même fréquence, nous captons soudain quelques mots ou un fragment de chanson. On en déduira logiquement que ces mots ou cette chanson ont été transmis sans interruption et que c’est plutôt la réception de notre poste qui a montré des fluctuations. Si, au lieu d’utiliser notre oreille pour faire la différence entre le bruit blanc et les sons du programme, nous utilisions un instrument de détection et des analyses mathématiques très sensibles, nous aurions une preuve que cette musique ou ces paroles fugaces étaient bien présentes sur les ondes depuis beaucoup plus longtemps.

Est-il possible de trouver une technique suffisamment sensible pour nous permettre de faire la différence entre les influences de nature psi sur notre comportement et nos pensées, et le bruit de fond mental? Depuis très longtemps, les cartes à jouer ont été utilisées dans ce but. Au milieu du XVIIème siècle, Sir Francis Bacon suggéra que l’on pouvait étudier systématiquement les phénomènes psi en faisant deviner à un sujet des cartes ou des mots cachés et en comparant ensuite les pourcentages de succès et d’erreurs. Bacon déclara qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir des succès continuels pour démontrer l’existence du psi, mais qu’il suffisait que le nombre de succès soit significativement supérieur au nombre qui aurait été obtenu par le simple hasard.

Le président de l’IMI Charles Richet fut le premier qui, en 1884, codifia l’approche statistique et l’utilisa pour la recherche psi. Il mena un certain nombre d’expériences avec un sujet doué mis sous hypnose, en lui demandant de deviner des cartes qui se trouvaient dans des enveloppes scellées. Il fut ainsi capable de démontrer que, malgré la variabilité des effets psi de son sujet, les résultats globaux révélaient avec évidence la présence de psi lorsqu’ils étaient traités selon la méthode statistique montrant la petite probabilité que ces résultats soient dus au hasard.

Mais l’analyse statistique prit toute son importance dans les années trente, lorsqu’un jeune biologiste, Joseph Banks Rhine, entra en scène. C’est en 1927 que démarra véritablement la parapsychologie moderne, lorsque le professeur McDougall, titulaire de la chaire de psychologie de l’université de Duke en Caroline du Nord, invita Rhine à créer le premier laboratoire américain de parapsychologie.

S’opposant aux idées de l’époque, Rhine avança que le psi était, non un don réservé à quelques rares personnes, mais une aptitude universelle, un potentiel inconscient et non reconnu qui, chez la plupart des êtres, n’est pas développé. Rhine et sa femme, Louisa, orientèrent leur travail de laboratoire vers les effets psi de faible intensité, qu’ils purent mettre en évidence à travers des expérimentations utilisant des cartes à jouer et des évaluations statistiques. L’approche était très simple: il choisit un jeu de vingt-cinq cartes d’ESP (dites cartes de Zener car elles furent créées par ce chercheur) dans lequel cinq symboles différents étaient représentés chacun cinq fois: un carré, une croix, un cercle, des vagues et une étoile. Avant chaque session, les cartes étaient soigneusement battues, ce qui garantissait l’ordre aléatoire des cartes. Puis, l’expérimentateur demandait au sujet de deviner, par ESP, l’ordre des symboles. Cette procédure dite du « choix forcé » (forced-choice procedure) oblige donc le sujet à choisir une cible parmi N possibilités connues, ce qui fixe la probabilité d’obtenir un succès: ici, il y a 5 symboles, donc 1 chance sur 5 de trouver la cible correcte, par le hasard seul. Pour une série de 25 cartes Zener (5 X 5 symboles) on doit donc obtenir par le hasard seul 5 bons résultats.

Le protocole de choix forcé permettait à Rhine de tester la télépathie, la clairvoyance et la précognition. Dans les séances de télépathie, un sujet émetteur retourne une carte, l’observe et « transmet » son symbole télépathiquement, puis note celui-ci sur une feuille de papier préparée à cet effet. Il repose alors cette carte à l’envers sur une autre pile et répète cette opération pour les vingt-cinq cartes. Pendant ce temps-là, le « récepteur », situé derrière un écran, ou bien dans une autre pièce, ou encore dans un autre bâtiment, essaie de « deviner » le symbole observé par l’émetteur et note les résultats.

Dans les expériences de clairvoyance, la procédure était légèrement différente: le récepteur devait alors deviner directement l’ordre des cartes sans aucune intervention d’un émetteur.

Enfin, dans les expériences de précognition, c’est-à-dire de connaissance d’un événement futur, le sujet devait deviner, avant même que l’expérimentateur ne battît les cartes, dans quel ordre elles allaient se trouver.

Dans les trois types d’expérimentations, les succès sont évalués par une simple comparaison entre les résultats du sujet et l’ordre réel des « cartes-cibles », c’est-à-dire l’arrangement des cartes qui était, pour chaque test, la « cible » de la perception extrasensorielle du sujet. Autant de correspondances justes, autant de succès. En répétant ce processus maintes et maintes fois pendant une même séance, les chercheurs étaient en mesure de déterminer si le résultat cumulatif d’une expérimentation s’écartait assez de la ligne de base du hasard pour être considéré « statistiquement significatif ».

Pour les expériences sur la psychokinèse (PK), on utilise la même approche statistique. Mais plutôt que de mesurer la capacité d’un individu à deviner l’état d’un système, on mesure sa capacité à l’influencer mentalement. Le « système-cible » choisit par Rhine pour les expériences de PK était les dés: le sujet devait arriver à influencer leur chute pour faire sortir un nombre spécifique, le « nombre-cible » choisi au préalable. A chaque essai, les résultats etaient bien-sûr notés. Ce processus devait être répété de nombreuses fois, le résultat statistique étant alors évalué de la même façon que dans les expérimentations d’ESP, en établissant une comparaison avec le hasard, sauf qu’ici, un dé ayant six faces, la probabilité escomptée par le hasard seul était d’une chance sur six. Comme avec l’ESP, même si le taux de réussite n’est pas impressionnant à première vue, s’il demeure régulier et stable pendant un grand nombre d’essais, il devient statistiquement concluant. C’est cette constance qui permet de supposer qu’un réel effet PK a été produit.

Aujourd’hui, les systèmes aléatoires mécaniques (dés, cartes, etc.) sont remplacés par des systèmes électroniques (notamment le Générateur Numérique Aléatoire ou GNA), et l’approche statistique de recherche psi s’est répandue dans tous les laboratoires parapsychologiques.