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A propos de métapsychique et de parapsychologie : entretien avec Hubert Larcher

A propos de métapsychique et de parapsychologie : entretien avec Hubert Larcher

Paru en 1997 dans la revue SYNAPSE (journal de psychiatrie et du système nerveux central), ce long entretien avec Hubert Larcher, ancien directeur de l’IMI (et toujours membre de son Comité Directeur), est l’occasion d’une leçon d’histoire sur la distinction métapsychique/parapsychologie, leçon au cours de laquelle quelques grands noms des sciences et de le philosophie sont évoqués, ainsi que le parcours personnel du Dr. Larcher.


Né à Paris le 26 juin 1921, Hubert Larcher a terminé ses études secondaires à l’Ecole des Roches et, après quelques voyages, etudié la médecine a Montpellier puis à Grenoble où il est devenu, en outre, l’élève en philosophie de Jacques Chevalier. Rescapé du camp de concentration de Mauthausen, il achève ses études de médecine à Paris tout en travaillant au Laboratoire de chimie organique de l’Ecole Polytechnique, sous la direction du professeur Pierre Baranger.

En 1951, il soutient une thèse de doctorat en médecine sur l’Introduction à l’étude de l’adaptation à la mort fonctionnelle dont il tire un livre qui sera publié en 1957 par Gallimard sous le titre Le sang peut-il vaincre la mort ? puis réédité en 1990 par Désiris sous le nouveau titre La mémoire du soleil : aux frontières de la mort avec une préface de monsieur Jean Guitton, de l’Académie française.

Médecin principal du travail du Groupement des lndustries de la Région Est de Paris de 1951 à 1969 il contribue aux activités culturelles de ce groupement, tout en exerçant d’autre part, la fonction de médecin du travail des Professions judiciaires du département de la Seine de 1951 à 1981 ,et en organisant les services interentreprises des médecine du travail « Jeanne d’Arc » pour le XIIIè arrondissement de Paris, et « Amena » pour Neuilly-sur-Seine.

Rédacteur en chef de la Revue métapsychique et secrétaire scientifique de l’Institut Métapsychique International de 1966 à 1990, il en a été directeur à titre bénévole de 1977 à juin 1995. Membre de la Society for Psychical Research, de l’Associazlone ltaliana di Scienca Metapsichica, de l’International Association for Psychotronic Research, de l’Alliance Mondiale des Religions, il est également membre fondateur de la Société de Thanatologie et de l’Association Centre Hospitalier et Scientifique de Selins dont il a assuré la présidence de 26 avril 1977 au 22 mars 1988.

Bertrand Meheust : Pouvez-vous résumer rapidement en quoi consiste la métapsychique, et nous rappeler son histoire, les circonstances de sa naissance aussi bien que son développement ?

Hubert Larcher : Le mot métapsychique fut suggéré pour la première fois par M.W. Lutoslawski dans un écrit polonais : Wyklady Jagiellonskie, à Cracovie en 1902, pour désigner des notions assez différentes de celles de Charles Richet [[Richet C. Traité de_Métapsychique, Paris, Alcan, 1922, p. 2, note I.]]. En effet, lorsque celui-ci, dans son adresse présidentielle à la Society for Psychical Research, en 1905, présenta ce mot, il fut, dit-il, unanimement accepté. Qu’entendait-il par métapsychique ? De même qu’Aristote avait intitulé son chapitre sur les grandes lois de la nature qui dépassent les choses physiques : meta ta fusica, métaphysique, de même il nomma métapsychique la science qui, dépassant les choses de la psychologie classique, étudie des faits qui « paraissent dus à des forces intelligentes inconnues », humaines ou non humaines, « en comprenant dans ces intelligences inconnues les étonnants phénomènes intellectuels de nos inconsciences ». Bref, la métapsychique est, dit-il : « La seule science qui etudie des forces intelligentes » [[Id. : p. 2-3.]].

D’où résulte logiquement sa distinction entre la métapsychique objective qui « mentionne, classe, analyse certains phénomènes extérieurs perceptibles à nos sens, mécaniques, physiques ou chimiques, qui ne relèvent pas des forces actuellement connues et qui paraissent avoir un caractère intelligent », et la métapsychique subjective qui étudie des phénomènes psychiques non matériels tels que la lucidité, cette mystérieuse faculté de connaissance qu’il attribue à une sensibilité dont la nature nous échappe et qu’il propose d’appeler cryptesthésie. Ces deux aspects, objectif qui étudie des forces et subjectif qui étudie des phénomènes psychiques, se retrouvent dans la définition générale que Charles Richet donne de la métapsychique : « La science qui a pour objet des phénomènes, mécaniques ou psychologiques, dus à des forces qui semblent intelligentes ou à des puissances inconnues latentes dans l’intelligence humaine «  [[Id.: p. 5.]].

En tous temps, en tous lieux, l’homme a été étonné par ce qui est insolite, extra-ordinaire, mystérieux. Qu’un Instant privilégié fasse coïncider des circonstances avec ces Instances et certains verront dans cette synchronicité l’effet d’une grâce providentielle. C’est ainsi qu’aux XVIè et XVIIè siècles, les Anglais publient des collections de « Providences », c’est-à-dire d’événements pouvant, à leurs yeux, être considérés comme des manifestations de rétributions, de prévenances ou d’assistances divines. Dès 1657 Matthew Poole Inspire aux Platoniciens, de Cambridge, l’intention de les enregistrer de manière systématique et critique. Face au matérialisme antireligieux de Thomas Hobbes, Henry More, de 1653 à 1681, affine son esprit critique [[5. More H. An Antidote against Atheism, 1653.]], pensant avec Joseph Glanvill [[… dont il publie le Saducismus Triumphatus en 1681.]] que les manifestations surnaturelles ne doivent être acceptées qu’avec prudence, celles qui résisteront à l’examen pouvant avoir d’importantes conséquences sur notre conception de l’homme et de sa place dans l’univers. Cette démarche prépare et préfigure ce goût de la recherche psychique demeuré si vif à Cambridge que le Trinity College en devint le centre mondial d’où surgirent les pionniers de la Society for Psychical Research (SPR), fondée en 1882 : F. H. Myers, Gurney, Sidgwick et Hodgson [[Gauld A., « Psychical research in Cambridge from the seventeenth century to the present », Journal of the Society for Psychical Research, Vol. 49, n° 778, décembre 1978.]].
Trois Français eurent l’honneur de présider la SPR : Charles Richet en 1905, Henri Bergson en 1913 et Camille Flammarion en 1923.

Evoluant du « providentialisme » religieux de plus en plus critique vers une recherche psychique de plus en plus scientifique jusqu’à la fondation de la SPR, le courant platonicien de Cambridge et les recherches anglaises influencèrent les Français : en 1890, Charles Richet et le Docteur Xavier Dariex fondent les Annales des Sciences Psychiques, et en 1922 Charles Richet dédicaça son Traité de Métapsychique « à la mémoire de mes illustres amis et maîtres Sir William Crookes et Frederic Myers qui, aussi grands par le courage que par la pensée, ont tracé les premiers linéaments de cette science « . Rappelons, pour mémoire, un autre courant, celui des règles de la critique des miracles établies par Prosper Lambertini, le futur pape Benoît XIV, dans son forte : De Servorum Dei beatificatione et Beatorum canonisatione, paru en 1734 [[7. Haynes R. Philosopher King. The humanist pope Benedict XIV, London, Weidenfeld and Nicolson, 1970.]]. Mentionnons aussi Salomon Maimon (1753-1800), précurseur de la parapsychologie scientifique [[Bergman S. H., « Salomon Maimon et les débuts de la parapsychologie_scientifique », Revue métapsychique, n° 9, mars 1968.]], si rationnel qu’il fut – à tort – accusé d’athéisme par ses coreligionnaires [[Bergman S. H., The philosophy of Salomon Mai-mon, Jérusalem, The Magnes Press, The Hebrew University, 1967, p. 272 à 276.]].

Enfin le courant spirite, né de manifestations paranormales survenues chez les soeurs Fox, à Hydesville, en 1847 ; courant qui tend à adopter une attitude scientifique vis-à-vis de ces phénomènes. Tous ces courants ont préparé le terrain à ce qu’il est convenu, actuellement, de nommer parapsychologie.

BM : Peut-on assimiler purement et simplement, comme on le voit faire parfois, métapsychique et parapsychologie ?

HL : C’est en 1889 que l’Allemand Max Dessoir proposa les termes de parapsychologie pour « caractériser toute une région frontière encore inconnue qui sépare les états psychologiques habituels des états pathologiques », et de paraphysique pour désigner des phénomènes objectifs qui paraissent échapper aux lois de la physique classique [[Dessoir M., Vom Jenseits der Seele, Stuttgart, Encke, 1902.]]. En France, Emile Boirac, recteur de l’académie de Dijon, correspondant de l’Institut, reprit le terme de parapsychologie [[Boirac E., La psychologie inconnue, 1908. L’avenir des sciences psychiques, 1917.]] qui ne fut pas retenu par ses compatriotes en raison de l’imprécision scientifique de sa définition. En 1929, Hans Bender, élève de Pierre Janet, prépara une thèse qu’il soutint en 1933 sur Les automatismes psychologigues. Devenu professeur à l’université de Fribourg en Brisgau, il fonda un organisme de recherches parapsychologiques auquel, fidèle à la définition de Max Dessoir, il donna le nom d’ Institut fûr Grenzgebiete der Psychologie und Psychohygiene [[Gruber Elmar R., Suche im Grenzenlosen. Hans Bender. Ein Leben für die_Parapsychologie, Kaon, Kiepenheuer et Kitsch, 1993.]]. En 1932, le zoologiste philosophe allemand Hans Driesch utilisa le mot parapsychologie dans le titre d’un de ses ouvrages et, depuis, il est resté utilisé dans les pays de langue allemande.

Aux Etats-Unis d’Amérique, à la suite de William Mc Dougall et avec son concours, le professeur Joseph Banks Rhine, en 1934, donna le nom de Parapsychology laboratory à la section de psychologie qu’il dirigeait à l’université Duke, en Caroline du Nord. En 1937, il publia les résultats statistiques de dizaines de milliers d’expériences quantitatives, vérifiés et admis par le congrès de l’Institut Américain de Statistiques Mathématiques, qui mettaient en évidence l’existence des phénomènes de clairvoyance, de télépathie, de précognition et de psychocinèse [[Rhine J. Banks, New world of the Mind, New York, William Sloane Associates, 1953, et Le nouveau monde de l’esprit, Paris, Maisonneuve, 1955.]]. A partir de ses travaux, publiés dans The Journal of Parapsychology, la recherche parapsychologique s’étendit rapidement à travers les Etats-Unis, et au-delà de ses frontières, si bien qu’en 1957 fut fondée la Parapsychological Association et que celle-ci fut affiliée en 1969 à l’Association Américaine pour l’Avancement des Sciences.
Cependant, dès 1952, sous l’énergique présidence de Mrs Eileen J. Garrett, la Parapsychology Fondation Inc. avait encouragé des recherches scientifiques dans le monde entier et organisa de nombreux échanges : en 1953 un Colloque international de parapsychologie eu lieu à Utrecht, puis, à partir de 1954, les Entretiens de Saint-Paul-de-Vence où Mrs Garrett avait établi son quartier général européen, au Piol-Saint-Antonin. Les rapports et comptes rendus de ces rencontres furent présentés et publiés par monsieur Robert Amadou sous le titre : La science et le paranormal [[Amadou R., La science et le paranormal, Paris, Institut Métapsychique International, 1955.]], et il en établit un bilan intitulé : La parapsychologie [[Amadou R., La_parapsychologie, Paris, Denoél, 1954]]. On peut donc dire que c’est, en très grande partie, grâce à Mrs Garrett que la parapsychologie d’origine allemande revint des Etats-Unis d’Amérique, auréolée de science, vers l’Europe où Monsieur Robert Amadou eut le mérite de la présenter en France. II présida avec le docteur Emilio Servadio un symposium consacré à l’étude des rapports entre psychologie et parapsychologie, à Royaumont, en 1956.

Le retour d’Amérique fit apparaître la parapsychologie comme une nouveauté, une « jeune » science face à la « vieille » métapsychique. Erreur historique évidente puisque la métapsychique est née en 1905, soit seize ans après la parapsychologie en 1889. Mais erreur généralisée à profusion par les media et soigneusement entretenue par certains chercheurs universitaires cherchant à se démarquer d’une confusion entre la science métapsychique que Charles Richet considérait comme une branche avancée de la physiologie [[Richet C., « La science_métapsychique », La Presse Médicale, n° 51, samedi 27 juin 1925, p.857 à 862, Masson éditeur.]] et des croyances, conjectures, ou « parasciences », plus ou moins occultes ou commerciales, qui n’ont rien de scientifique. Si l’on s’en tient au sens des mots, la para-psychologie correspond à la métapsychique subjective, et la paraphysique à la métapsychique objective. Or la parapsychologie est distincte de la paraphysique. Donc la parapsychologie constitue la moitié subjective de la métapsychique. Cependant, en unifiant ces deux concepts de Max Dessoir, Charles Richet a établi le lien physiologique entre les manifestations physiques et les dispositions psychiques qui paraissent en être les sources. Dès lors, les phénomènes paraphysiques apparurent comme des produits psychocinétiques de la parapsychologie, ainsi que l’ont montré des expériences de J.B. Rhine sur la psychocinèse. On peut donc admettre aujourd’hui que la définition de la parapsychologie englobe celle de la paraphysique en disant qu’elle étudie des états psychologiques inhabituels non pathologiques ainsi que leurs effets objectifs. Elle s’approche ainsi de la définition de la métapsychique qui étudie des forces intelligentes.

BM : Une autre confusion fréquente, et beaucoup plus grave, consiste à faire l’amalgame entre la métapsychique et le spiritisme. On la trouve, par exemple, sous la plume d’érudits comme Jean Starobinski ou le psychiatre René Held, et elle n’est pas innocente. Là encore, il semble qu’une mise au point s’impose.

HL : La mise au point qui s’impose pour éviter l’amalgame entre la métapsychique et le spiritisme exige que l’on ait recours à leur histoire pour bien distinguer ce qui les différencie de ce qui peut leur être commun. La vague de spiritisme qui déferla aux Etats-Unis d’Amérique à partir d’Hydesville en 1847 vint frapper l’Europe et le docteur Léon Denizard Rivail, alias Allan Kardec, fonda dès 1858 la Revue Spirite, dirigée successivement par Gaétan Lemarye depuis 1869, Jean Meyer (1916-1931), Hubert Forestier (1931-1971) et André A. Dumas depuis 1971. D’autre part, en 1896, Gabriel Delanne fonda la Revue Scientifique et Morale du Spiritisme qui, à sa mort, fusionna avec la Revue Spirite. Avec son cortège de souffrances, de séparations et de deuils, la guerre de 1914-1918 favorisa l’émergence de réflexions sur la mort et l’au-delà, d’observations sérieuses de phénomènes métapsychiques par des hommes avertis tels que Gabriel Marcel ou André Varagnac, et d’intérêt renouvelé pour le spiritisme [[17. Marcel G., Journal Métaphysique à partir de 1916, et c’est le 21 octobre 1916 que Sir Arthur Conan Doyle annonça dans Light sa conversion au spiritisme après avoir visité les fronts anglais, italien et français. Martiny M., « Hommage à Gabriel Marcel. Parapsychologie_et philosophie. », Revue_métapsychique n° 14, juin 1969, p. 41 à 52.]].
Ce n’est donc pas par hasard qu’en 1919 le mécène Jean Meyer fonda avec Gabriel Delanne l’Union Spirite Française (USF), et son organe Survie de l’âme humaine, en la dotant d’un immeuble sis rue Copernic, à Paris. Mais, prenant très vite conscience des préventions qui retiendraient les chercheurs de haut niveau scientifique d’adhérer à cette fondation, il fonda simultanément, avec le Docteur Gustave Geley, l’Institut Métapsychique International (IMI) doté d’un hôtel particulier – sis 89 avenue Niel à Paris, fondation qui fut reconnue d’utilité publique par décret du 23 avril 1919. Gustave Geley en fut le premier directeur et fonda en 1920 la Revue Métapsychique qui prit la suite des Annales des Sciences Psychiques.

Le clivage entre la fondation spirite et la fondation métapsychique par des hommes intelligents comme Jean Meyer et Gustave Geley, tous deux spirites à l’origine, comme le fut d’ailleurs Camille Flammarion, montre à l’évidence qu’ils eurent le souci d’éviter toute ambiguïté pour exposer à la recherche et à la critique scientifique pure l’étude des phénomènes inexpliqués observés dans les milieux spirites. C’est ainsi que Charles Richet, qui se qualifiait lui-même de rationaliste et de scientiste [[Richet C.? « L’éloge de la raison », Annales des sciences psychiques, mars 1914, p. 79 à 81.]], put oeuvrer sans équivoque au sein de l’IMI, tandis que les spirites, préoccupés de science, transformaient l’USF en USFIPES (Union Scientifique Francophone pour l’Investigation Psychique et l’Etude de la Survivance) sous la présidence d’André A. Dumas [[Dumas A. A., La science de l’âme. Initiation méthodique à l’étude des phénomènes supranormaux et aux théories de la métapsychologie, Paris, Dervy-Livres.]], directeur et rédacteur de la revue Renaître 2000 de 1976 à 1996. Ainsi les relations entre spirites et métapsychistes furent-elles amicales et non conflictuelles mais bien distinctes. D’une part, Charles Richet « ne condamna pas la théorie spirite », qu’il considère comme une « hypothèse de travail », car elle a eu « l’immense mérite de provoquer les expériences » mais d’autre part – dit-il – « Je me suis arrêté aux faits : je ne veux pas me laisser entraîner au-delà ». [[Richet C., Traité de_Métapsychique, 3è édition. Bruxelles, Artha production 1994, p. 624. Voir aussi : « Une synthèse de l’opinion du professeur Richet sur le Spiritisme. », Revue_métapsychique, 1934, n° 2, p. 129-130.]].

BM : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à ce domaine, et à vous y engager de façon active ? Je crois savoir que votre déportation au camp de Mauthausen n’y est pas étrangère, et que dans cette usine de mort vous avez appris à méditer sur les limites, limites de l’horreur, limites de la résistance, biologique et psychique, de l’être humain…

HL : Ma mère, artiste peintre, avait une bibliothèque qui contenait, entre autres, des livres sur l’histoire des religions et des hagiographies. Je lisais donc des légendes dorées avec la même curiosité qu’on lit aujourd’hui des récits de science-fiction.
D’autre part, elle avait peint, avec Germaine Laporte, des scènes de la vie de Marie sur les murs de la chapelle Notre-Dame-de-la-Gardette, à côté de notre maison à Saint-Paul, d’après les visions d’Anne Catherine Emmerick [[Cazales, Vie de la Sainte Vierge d’après les méditations d’Anne Catherine Emmerick, Paris, Téqui, l2è édition, 1921]] grâce auxquelles fut découvert, près d’Ephese, le site de Meryem Ana. Il était donc naturel que cette ambiance m’inspire le désir d’apprendre à distinguer la réalité de la fiction et le réel du merveilleux, et c’est pourquoi je conçus le projet d’étudier l’homme dans toutes ses dimensions en préparant trois doctorats : en médecine pour le corps, en philosophie pour l’âme et en théologie pour l’esprit.

En ce qui concerne la médecine, j’eus la chance d’être reçu, dans sa maison de La-Gaude, par le Docteur Stephen-Chauvet, élève de Charles Richet, pendant tout un après-midi. Après m’avoir montré ses collections, il m’inculqua ses méthodes de travail. Pour aborder l’étude de quelque sujet que ce soit, il fallait – me dit-il – commencer par une étude sémantique sans omettre la langue verte ni les expressions populaires, concrètes et si souvent chargées de sens. Aussitôt, je me mis à collectionner les expressions populaires concernant le corps et le sang, telles que : éclater de rire, être blanc de colère, rouge de honte, jaune de dépit, vert de peur, avoir une peur bleue, des idées noires, se faire de la bile, mon sang n’a fait qu’un tour, etc. Ayant ainsi rempli plusieurs pages, je pris le parti de me concentrer sur celle de ces expressions qui me paraîtrait la plus curieuse, et ce fut : mourir en odeur de sainteté. En ce qui concerne la philosophie, je fus l’élève de Jacques Chevalier à Grenoble en 1942-1943. Un de ses cours était consacré à la mystique de sainte Thérèse d’Avila… qui mourut en odeur de sainteté. C’est dans ce contexte que je vécus une expérience extra-ordinaire de synchronicité : ayant très faim, à l’instant même où je priais Dieu tout puissant de m’envoyer un fromage comme celui qu’un corbeau apportait – dit-on – à saint Paul l’ermite, j’en trouvai un devant moi, au milieu de l’allée centrale de l’hôpital de La-Tronche [[Larcher H., « Conscience du présent et de l’éternité. », Gretz, Védanta n° 18, 1970, p. 33-44.]].

En ce qui concerne la théologie, j’avais suivi chez les dominicains quelques cours de thomisme mais mon programme d’études fut interrompu par la déportation, trois mois de cellule, puis internement au camp de Mauthausen sous le numéro 127007, aux blocks 21 puis 22 de quarantaine. Là, j’appris que les limites étaient différentes de celles que nous imaginons lorsque nous vivons dans nos mondes ordinaires. Mais, dans cet autre monde, si j’ai vu des horreurs, j’ai pu aussi observer l’éclatement du vernis humain tant vers les régressions animales que vers d’admirables exemples d’élévation spirituelle. Cent cinquante grammes de « pain » et un petit cube de margarine ou une cuillerée de caséine le matin, et un brouet le soir, nous apportaient, au plus, le dixième des calories que la faculté m’avait dit être quotidiennement nécessaires. Il me fallut donc remettre en question ce qu’on m’avait enseigné. Mon hypothèse était que l’adaptation au froid et le ralentissement du métabolisme faisaient de nous des sortes d’hibernants à sang chaud, hypothèse confortée par mon entraînement au yoga car, pour se soumettre au froid au lieu de lui résister, il faut, les premiers jours, se concentrer constamment sur la régulation du souffle (prânàyâma). D’autre part, la vigilance et la lucidité jouent un grand rôle dans les chances de survie, pour éviter les coups, se situer le mieux possible dans l’espace, le temps et le mouvement, prévoir, et vivre dans la synchronicité. Les ressources psychiques peuvent jouer un rôle essentiel comme le fait de penser aux autres. A la sortie du camp, nous fûmes hébergés à Coire. Ecrasé dans le fond du haut d’un châlit, j’entendis la conversation d’un prêtre-ouvrier et d’un responsable communiste qui se croyaient seuls dans la baraque, et qui tombaient d’accord pour reconnaître que ceux qui étaient animés par un idéal avaient souvent mieux résisté que les autres.

BM : Pour l’immense majorité des hommes de science, les phénomènes de la métapsychique relèvent de l’illusion et/ou de la supercherie. L’idée est désormais bien ancrée : on a eu affaire, surtout dans les cas de médiumnité physique, à des prestidigitateurs ; de ce tait, la page est à jamais tournée. Je sais que telle n’est pas votre opinion. Sur quels faits, sur quels dispositifs expérimentaux vous appuyez-vous pour réfuter cette idée très répandue ?

HL : La science repose sur l’observation, la réflexion et l’expérience, mais, comme chacun sait, l’observation peut être faussée par les illusions, la réflexion par la subjectivité, l’expérience par les supercheries conscientes ou inconscientes. Or, les phénomènes métapsychiques échappent à la norme par leur improbabilité, leur subjectivité et leur imprévisibilité. Cette improbabilité les rend difficilement observables ; cette subjectivité n’obéit pas au « postulat de l’objectivité de la nature » cher à Jacques Monod [[Monod J., Le hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne., Paris, Seuil, 1970, p. 32-33.]] qui exclut d’emblée la métapsychique subjective ; et cette imprévisibilité rend leur répétabilité aléatoire au regard de la méthode expérimentale. En conséquence, il est tentant de conclure à l’illusion ou à la supercherie dès lors qu’elles apparaissent comme les hypothèses les plus probables, tandis que, pour établir les faits métapsychiques avec certitude, on doit observer – écrivait Charles Richet – une discipline « férocement et implacablement sévère » [[Richet C., « La science_métapsychique » (Avant-dernière leçon à la faculté de médecine de Paris, le 24 juin 1925). Paris, Masson, La Presse Médicale, n° 51, 27 juin 1925, p. 857-862]].
C’est grâce à la sévérité de leurs contrôles que les chercheurs de l’Institut Métapsychique International purent découvrir plus d’une quinzaine de supercheries, comme l’emploi de ferrocérium et d’une pointe de plume d’acier par le « médium » Erto pour produire des phénomènes lumineux [[Tocquet R.? Les pouvoirs secrets de l’homme, Les Productions de Paris, 1963, p. 250-251.]]. D’autre part, les métapsychistes prennent le soin de s’informer auprès des illusionnistes sur les procédés existant pour simuler les phénomènes observés. Certains de ces illusionnistes sont de remarquables chercheurs, comme Jean-Eugène Robert-Houdin qui perfectionna l’ampoule électrique à incandescence. D’autres utilisent des inventions avant qu’elles soient connues du public, comme celle du nitinol, cet alliage qui permet de simuler les torsions de métaux. Mais c’est aussi grâce à ses propres connaissances en prestidigitation que le professeur Robert Tocquet mit en évidence l’impossibilité d’une supercherie pour produire les moules ectoplasmiques obtenus avec le médium polonais Franek Kluski [[Id.: p. 280-285.]].

Pour nous limiter à quelques exemples français de dispositifs expérimentaux, en ce qui concerne la clairvoyance, j’ai bien observé les expériences de René Perot dont l’épouse, Marthe Perot avait été systématiquement entraînée à distribuer des cartes à jouer vers des cibles, sans en voir les faces. Elle atteignit ainsi des scores très au-dessus de la moyenne comme si elle eût disposé d’une information sur des figures qu’elle ne pouvait voir [[Perot R., Parapsychologie_expérimentale : Psi, Audenge, chez l’auteur. (Epuisé).]]. Les études de madame Yvonne Duplessis sur la sensibilité et la perception dermo-optiques permettent aujourd’hui de comprendre les composantes physiologiques et physiques de cette forme de cryptesthésie [[Duplessis Y. et Coll., Les couleurs visibles et non visibles, Monaco, Rocher, 1984. Duplessis Y. Une science nouvelle : la dermo-optique, Monaco, Rocher, 1996.]]. En ce qui concerne la télépathie, les belles expériences de René Warcollier sont incontournables [[Warcollier R., La_télépathie, Paris, Félix Alcan, 1921.]]. Mais il faut y ajouter les recherches sur la physiologie, par enregistrements pléthysmographiques simultanés de l’agent et du percipient [[Barry J., « Télépathie et pléthysmographie », Revue_métapsychique, 1967, n°6, p.56 à 74.]]. En ce qui concerne la psychocinèse, les expériences du docteur Eugène Osty et de son fils Marcel avec Rudi Schneider ont établi une jonction entre physiologie et physique [[Tocquet R., Les pouvoirs secrets de l’homme, Les Productions de Paris, 1963, p. 286-291.]]. Plus près de nous, il me paraît difficile de contester les psychokinèses sur métaux obtenues par monsieur Jean-Pierre Girard et étudiées par monsieur Charles Crussard [[Crussard C. et Bouvaist J., « Expériences psychocinétiques sur éprouvettes métalliques », La Jaune et la Rouge. Revue des Polytechniciens, juin 1979.]].

BM : Si de tels faits sont avérés, pourquoi ne circulent-Ils pas en dehors du milieu spécialisé qui les produit ? Pourquoi cette ignorance et ce refus ? Et qu’est-ce que ce refus peut nous dire sur le fonctionnement des sciences en général ?

HL : La métapsychique étant la seule science qui étudie des « forces intelligentes », l’ « intelligence » de ces forces ne peut apparaître que subjective. Autrement dit, la métapsychique objective ou paraphysique ne peut trouver sa source que dans la métapsychique subjective ou parapsychologie et dépendre de cette subjectivité. De telle sorte que les effets objectifs de causes subjectives, improbables et imprévisibles, doivent pouvoir résister à une critique « férocement et implacablement sévère » avant de pouvoir être admis et cautionnés par ce qu’il est convenu d’appeler la communauté scientifique.

Plus de membres de cette communauté qu’on ne le soupçonne, s’intéressent à l’étude de ces faits, mais ils ne s’en tiennent informés que sous couvert d’anonymat pour éviter tout risque d’être compromis, censurés, voire privés de crédits de recherches, et même menacés d’exclusion comme le professeur Yves Rocard [[Rocard Y., Le signal du sourcier, Paris, Dunod, 1962. La science et les sourciers, Paris, Dunod, 1989, p. 260-263.]]. D’autres, plus courageux, ont dû, pendant des années, ne publier leurs travaux concernant la parapsychologie et ses effets biologiques et physiques que sous couvert de pseudonymes : P. Duval pour le professeur Rémy Chauvin [[Duval P., La science devant l’étrange,Paris, CAL, 1973.Nos pouvoirs inconnus, Paris, Planète, 1974.]] et I.E. Xodarap (palindrome de Paradox) pour le professeur Olivier Costa de Beauregard [[Xodarap I.E., « La fonction Psi et la « magie » de la mécanique quantique » (Utopia University, Utopia, Erehwon), Revue métapsychique, 1973, n° 18, p. 13-35. Costa de Beauregard 0., « Rétropsychocinèse et acte de mesure quantique. L’explication physique du monde et ses limites », Parapsychologie, septembre 1980, n° 11, p.20-28. « Proposition d’une expérience de rétropsychocinèse et de télégraphie supralumineuse », Parapsychologie, 1981, n° 12-13, p. 37-38.]]. Enfin, si des résistances à la parapsychologie se manifestèrent chez des professeurs de psychologie par peur de discrédit [[« GERP, la parapsychologie_à l’université de Pari X (Nanterre) », Revue_métapsychique, 1971-1972, n°17, p.95-100.]], ce sont les physiciens qui se montrent les plus intéressés par la science métapsychique en raison de son versant objectif, parce qu’ils ont appris à relativiser les « certitudes » d’hier, et qu’ils utilisent l’outil mathématique en sachant parfaitement que les nombres ont une réalité biface : subjective et objective [[Dedekind R., « Was sind und was sollen die Zahler Braunschweig », Vieweg 1969, I.]].

La méfiance, la résistance, l’ostracisme de la communauté scientifique se justifient par l’amalgame entretenu par toute une littérature et médiatisation commerciales entre métapsychique ou parapsychologie et croyances ou pratiques superstitieuses, occultes, magiques. Mais à son tour le manque d’enseignement rationnel de la science métapsychique dans nos universités laisse un vide que s’empressent de remplir des milliers de charlatans exploiteurs de la crédulité publique, qui ont tout intérêt à entretenir l’amalgame en se parant des plumes de « pseudo-sciences » ou « parasciences ». Ainsi s’établit le cercle vicieux qui fait de la communauté scientifique et de la communauté charlatanesque des alliés objectifs, au détriment de l’hygiène sociale et mentale, pour réduire, en France, la recherche métapsychique à sa plus simple expression, c’est-à-dire au silence. Sur le fonctionnement des sciences en général, on peut ajouter que ce refus est un cas particulier du syndrome général de la néophobie, cette allergie aux nouveautés dérangeantes dont l’exemple historique est celui de l’affaire Galilée. Charles Richet en énumère de nombreux exemples et André A. Dumas en remplit plusieurs pages au début de son livre. De même qu’hier il paraissait impossible que des pierres tombassent du ciel, de même aujourd’hui la lévitation nous paraît défier les lois de la gravitation. A fortiori, si des pierres paraissent suivre des trajectoires obéissant à des « forces intelligentes », comme dans les hantises [[Cuenot A. et Tocquet R., « Jets de pierres, hantise ou simulation », Revue_métapsychique, juin 1966, n° 2, p. 75-96.]], où allons-nous ? Nous allons vers la remise en question du paradigme qui limite la science aux phénomènes objectifs, qui nous contraindra à l’élargir jusqu’au champ de la subjectivité et de l’intersubjectivité en admettant la possibilité de phénomènes psycho-somato-physiques [[Larcher H., « Sciences de l’homme et métapsychique », Revue_métapsychique, 1978, n°25, p.4-14]]. Dans un article intitulé « Une éducation pour le XXIe siècle. La formation scientifique », monsieur Maurice Allais écrit : « Une large place devrait être donnée dans l’enseignement supérieur à l’exposé des faits inexpliqués et contradictoires avec les théories admises » [[Allais M., « Une éducation pour le XXIe siècle. La formation scientifique. », Le Figaro, 2 juillet 1997]]. Les métapsychistes ne demandent pas mieux !

BM : Vous avez prolongé, dans votre préface à la réédition du Traité de Métapsychique de Richet, la réflexion du prix Nobel sur les principes de la méthode. Pouvez-vous en résumer l’argument ? Je veux parler des trois moments qui vous sont chers : le moment cartésien, le moment de Claude Bernard, le moment de Richet…

HL : Le concept de métapsychique est né de trois révolutions dans l’histoire de la pensée scientifique : celle de René Descartes (1596-1650), celle de Claude Bernard (1813-1878) et celle de Charles Richet (1850-1935). En France, il est de bon ton de se réclamer du Doute méthodique pour rejeter la métapsychique, voire en nier l’objet. C’est ignorer que l’auteur du Discours de la Méthode s’intéressait à ces phénomènes extraordinaires d’information, de communication, et d’action, que nous nommons aujourd’hui clairvoyance, télépathie et psychocinèse, et qu’il prenait soin de consigner leur observation, de les vérifier, et même de risquer une hypothèse explicative anticipatrice du neutrino ! En 1649, il alla à la bibliothèque de Stockholm vérifier l’exactitude de la vision en rêve d’un étudiant de Dijon [[Observation rapportée par Swedenborg. Light, 3 juillet 1929. Psychica n° 102, 15 septembre 1929.]]. Un malheureux erratum s’étant glissé dans ma préface [[Larcher H., Préface de la 3è édition du Traité de_Métapsychique de Charles Richet. Bruxelles, Artha Production, 1994, p. 18-19.]], je saisis l’occasion que vous m’offrez de le corriger comme suit : Dans les Principes de la Philosophie, quatrième partie, « De la Terre », le chapitre 187 est intitulé : Où à l’exemple des choses qui ont été expliquées, on peut rendre raison de tous les plus admirables effets qui sont sur la Terre. La traduction en français par le Père Mersenne (cf. Paris, Garnier 1973 et 1983) ajoute au texte latin l’exemple suivant, approuvé par Descartes, au sujet des « petites parties qui se forment dans les intervalles des corps terrestres » : « Et d’autant qu’elles se meuvent sans cesse fort vite, suivant la nature du premier élément duquel elles sont des parties, il se peut faire que des circonstances très peu remarquables les déterminent quelquefois à tournoyer ça et là dans le corps où elles sont, sans s’en écarter et quelquefois au contraire à passer en fort peu de temps jusqu’à des lieux fort éloignés, sans qu’aucun corps qu’elles rencontrent en leur chemin les puisse arrêter ou détourner, et que, rencontrant là une matière disposée à recevoir leur action, elles y produisent des effets entièrement rares et merveilleux : comme peuvent être de faire saigner les plaies du mort lorsque le meurtrier s’en approche, d’émouvoir l’imagination de ceux qui dorment ou même de ceux qui sont éveillés, et leur donner des pensées qui les avertissent des choses qui arrivent loin d’eux, en leur faisant ressentir les grandes afflictions ou les grandes joies d’un intime ami, les mauvais desseins d’un assassin, et choses semblables ».

En novembre 1646, il avait écrit à la Princesse Palatine : « Les expériences sont que j’ai souvent remarqué que les choses que j’ai faites avec un coeur gai, et sans aucune répugnance intérieure, ont coutume de me succéder heureusement jusque là même que, dans les jeux de hasard, où il n’y a que la fortune seule qui règne, je l’ai toujours éprouvée plus favorable, ayant d’ailleurs des sujets de joie, que lorsque j’en avais de tristesse. » [[Descartes R., Œuvres et Lettres, « A Elisabeth », Paris, Gallimard, La Pléiade, 1953, p. 1244.]] Au XIXè siècle, la méthode expérimentale de Claude Bernard dépasse le mathématisme cartésien en constituant une science de la vie tout à fait positive : à l’équation statique Je pense donc je suis, elle ajoute la mouvance dynamique de l’être dans la durée que l’on pourrait résumer par : Je me meus, donc je deviens. C’est la clé de l’élan vital bergsonien : du déterminisme des animaux-machines va pouvoir surgir la liberté de l’évolution créatrice dans la « machine à faire des dieux » [[Bergson H., Les deux sources de la morale et de la religion, Œuvres, Edition du centenaire, Paris, PUF, 1959, p 1245.]]. Mais après avoir bien insisté sur la primauté des faits bien observés sur laquelle repose la méthode expérimentale, Claude Bernard en exclut, sans les nier, certains faits qu’il qualifie d’ « absurdes ou merveilleux » [[Bernard C., Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, Joseph Gibert, 1946, p.267-268.]]. Ce sont ces faits absurdes ou merveilleux qu’après une observation rigoureuse, son élève, Charles Richet, va inclure dans le domaine de la science en général et de la physiologie en particulier.

En science, les certitudes reposent sur des principes absolus, et sur des lois relatives puisque déduites de faits répétables, donc de statistiques qui peuvent souffrir des exceptions. Si l’on figure les phénomènes en fonction de leur probabilité, on obtient une courbe en cloche qui présente trois zones :

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La zone centrale contient tous les phénomènes objectifs assez habituels et répétables pour convenir au paradigme habituel de la communauté scientifique. Les zones latérales, de l’absurde et du merveilleux, sont celles qu’exclut Claude Bernard et qu’inclut Charles Richet. Pour les intégrer méthodiquement, je pense qu’il convient, dans leur cas, d’élever le doute méthodique au carré en doutant qu’il faille douter, et cette quadrature du doute, que nous pourrions appeler croyance méthodique, pourrait se formuler en paraphrasant Descartes comme suit :

Ne recevoir jamais aucune chose pour fausse
Que je ne la connusse évidemment être telle.

Doute méthodique et croyance méthodique ne s’opposent pas mais se complètent pour étendre la méthode scientifique depuis les règles jusqu’aux exceptions même les plus infiniment improbables [[Roger H., Les Miracles, Paris, Jean Grès, 1934, p 386, écrivait : « Autant le scepticisme est utile, autant la négation systématique est nuisible. il n’est pas plus rationnel de tout accepter que de tout rejeter san contrôle ; il n’est pas plus scientifique d’affirmer que de nier miracles et prestiges avant d’en avoir poursuivi l’étude ».]].

BM : Pouvez-vous également résumer votre théorie sur le sang, qui constitue un de vos apports à la réflexion métapsychique ?

HL : Au retour de ma visite au Docteur Stephen-Chauvet, je recensai, dans les hagiographies, quatre cent quatre-vingt cas d’exhalaisons de bonnes odeurs, et j’appris ainsi que l’expression « mourir en odeur de sainteté » n’était pas qu’une figure de rhétorique mais correspondait à une réalité de nature biochimique, non seulement chez les morts mais aussi, parfois, chez les vivants ; non seulement chez des mystiques mais encore chez des médiums et chez certains malades.

La corrélation entre ces odeurs, la production de substances huileuses et la conservation des corps après la mort me conduisit à bien distinguer la mort fonctionnelle de la destruction organique, et la biostase, ou mort apparente ou vie suspendue, qui est réversible, de la thanatose, ou vie apparente ou mort suspendue, qui est irréversible ; puis à étudier comment, dans la thanatose, pouvait se cacher toute une physiologie de la résistance à la destruction. D’où le titre de ma thèse de doctorat en médecine : Introduction à l’étude de l’adaptation à la mort fonctionnelle (Paris, 13 juillet 1951) dont fut tiré un livre : Le sang peut-il vaincre la mort ? (Paris, Gallimard 1957), réédité sous un autre titre : Mémoire du soleil. Aux frontières de la mort (Méolans-Revel, Désiris 1990).

Les vingt-neuf cas dans lesquels les parfums furent identifiés correspondaient dans leur quasi-totalité, à des substances végétales, diffusées dans le corps par le sang, les liquides et les graisses fluidifiées, qui constituent un nouveau milieu intérieur. Mais puisque ces émanations peuvent se produire aussi, plus rarement, chez des vivants : mystiques, médiums, malades, en peut se demander si les métabolites endogènes qui en sont les origines pourraient jouer naturellement un rôle analogue supérieur à celui des drogues psychédéliques utilisées pour entrer dans des « paradis artificiels » ou pour provoquer l’émergence de facultés de lucidité [[Larcher H., « Parapsychochimie de la divination », Revue_métapsychique, Décembre 1958, Vol. II, n°8, pages 5-13. « Parapsychologie_et divination », in Encyclopédie de la divination, Paris, Tchou, 1965, p.463-509. « Perspectives parapsychochimiques », Revue métapsychique, septembre 1969, n° 15, p. 31-38.]]. L’exploration pharmacologique des rapports entre ces substances et la phénoménologie ascétique, mystique ou médiumnique, se situe au coeur de la barrière hémato-encéphalique, sur cette frontière où se rencontrent les deux commandes nerveuse et humorale : celle du système cérébro-spinal tourné vers les lumières extérieures du monde et de la conscience de celle du monde chimique véhiculé par le sang et tourné vers les obscurités du monde intérieur et de l’inconscient, comme l’évoque si bien l’expression : « être de mauvaise ou de bonne humeur« .

Il y a une analogie symbolique entre la triade de Corps-Ame-Esprit, les trois états de la matière et le corps solide, le sang liquide et le souffle gazeux ; et c’est le liquide nomade qui procure à la chair sédentaire l’échange oxydo-réducteur nécessaire à sa vie confirmant la découverte biblique mosaïque : Nefech Basar Bedamo, la vie l’âme de la chair, est dans son sang [[Baruk H., « La psychiatrie synthétique et le problème de la personnalité humaine », Psyché n° 15, p.56-59.]]. Héritière de la verte chlorophylle et de photosynthèse, la rouge hémoglobine a fait qualifier le sang de « soleil liquide » comme illuminateur de la conscience lorsque son film passe dans la caméra de projection cérébrale [[Larcher H., « De la lumière physique à la lumière spirituelle », in La mort transfigurée, Paris, Belfond, 1992, p. 449-467.]]. Ce que, dans son Ars Magna, le poète alchimiste OV de L. Milosz exprime lyriquement comme suit :

« Ton coeur est un soleil anatomique, propulseur de ton microcosme sanguin. Et si le cerveau… est… lune hermétique, ce n’est pas seulement par analogie de couleur. Le cerveau n’est que le satellite du cœur, il ne fait que recevoir, filtrer et restituer la lumière d’affirmation que lui envoie le coeur dans sa spirituelle radiation. Lune et cerveau sont récepteurs et ordonnateurs de lumière. Ils humanisent le surhumain, rendent accessibles à nos yeux fragiles le dieu aveuglant. »

Ce dieu aveuglant de la conscience totale dont le substrat est l’information océanique inscrite dans le sang et cachée dans les eaux-mères du subconscient, il l’appelle le « Soleil de la Mémoire » [[Milosz O.V. de L., Ars Magna, Paris, A. Sauerwein 1924.]].

BM : C’est un secret de Polichinelle que Bergson, un des plus grands philosophes de ce siècle, s’est activement intéressé à la métapsychique. Mais il ne semble pas que l’on ait assez remarqué à quel point la pensée de Bergson fait corps avec la réflexion métapsychique. Nous avons déjà eu l’occasion de discuter de la ressemblance frappante des thèmes bergsoniens avec les thèses développées à la même époque par les docteurs Geley et Osty…

HL : Ce n’est un secret de Polichinelle qu’en France puisqu’en Angleterre Henri Bergson fut appelé à présider la Society for Psychical Research en 1913 et qu’à cette occasion il prononça le 28 mai à Londres une adresse présidentielle intitulée : « Fantômes de vivants et recherche psychique » [[Bergson H., Œuvres, Edition du centenaire, Paris, PUF, 1959, p. 860-878.]]. Au début de cette conférence il dit à ses sociétaires : « Je soupçonne qu’il y a eu ici un effet de « clairvoyance » ou de « télépathie », que vous avez senti de loin l’intérêt que je prenais à vos investigations et que vous m’avez aperçu, à quatre cents kilomètres de distance, lisant attentivement vos comptes rendus, suivant vos travaux avec une ardente curiosité » [[Id., p. 861.]]. Dans Les deux sources de la morale et de la religion, Bergson demande un « supplément d’âme ». Que les mécanismes qui filtrent la perception humaine « se dérangent, la porte qu’ils maintenaient fermée s’entr’ouvre : quelque chose passe d’un « en dehors » qui est peut-être un « au-delà ». C’est de ces perceptions anormales que s’occupe la « science psychique » [[Id., p.1243.]].

« On s’explique dans une certaine mesure les résistances qu’elle rencontre (…) Mais on ne comprendrait pas la fin de non-recevoir que de vrais savants opposent à la « recherche psychique » si ce n’était qu’avant tout ils tiennent les faits rapportés pour « invraisemblables ». Ils diraient « impossibles » s’ils ne savaient qu’il n’existe aucun moyen concevable d’établir l’impossibilité d’un fait ; ils sont néanmoins convaincus, au fond, de cette impossibilité.
(…) Si l’on met en doute la réalité des « manifestations télépathiques » par exemple, après les milliers de déclarations concordantes recueillies sur elles, c’est le témoignage humain en général qu’il faudra déclarer inexistant aux yeux de la science : que deviendra l’histoire ? ».
[[Id., p.1243-1244.]]

Même si l’on ne retient qu’une partie de ce que la science psychique « avance comme certain, il en reste assez pour que nous devinions l’immensité de la terra incognita dont elle commence seulement l’exploration » [[Id., p. 1245.]]. Insulaires et marins, les Anglais sont réalistes et pragmatiques – wait and see- tandis que les Français, continentaux et terriens, sont idéalistes et théoriciens. C’est peut-être pour cela que l’intérêt de Richet, de Bergson et de Flammarion pour la « science psychique » venue d’Angleterre fut mieux accueilli a Londres qu’à Paris, et qu’en France ce que vous qualifiez de « secret de Polichinelle » correspond effectivement à l’extraordinairement prudente discrétion de Bergson eu égard à l’Ecole française de métapsychique.

En effet, si Charles Richet inscrit en tête de son ouvrage Notre sixième sens [[Richet C., Notre sixième sens, Paris, Montaigne, 1928. 2è édition, Paris, Chiron et Bruxelles, Artha Production, 1995.]] : « Ce livre, d’audacieuse physiologie, est dédié à mon illustre ami Henri Bergson, le plus profond penseur des temps modernes », Henri Bergson ne cite jamais les métapsychistes, mais une fois seulement Charles Richet, si j’ai bonne mémoire, à propos de neurophysiologie. Bergson connaissait aussi bien les métapsychistes français que les psychistes anglais, et l’on peut se demander dans quelle mesure les Français ont été influencés par des sources communes ou se sont mutuellement influencés. Cette intéressante recherche reste à faire et serait fructueuse. Charles Richet (1850-1935), Henri Bergson (1859-1941), Gustave Geley (1865-1924) et Eugène Osty (1874-1938) étaient contemporains, ont respiré le même air du temps, se sont connus, et chacun a pu lire les oeuvres des autres. II serait particulièrement intéressant, me semble-t-il, d’établir un parallèle entre la pensée de Bergson et celle de Geley car si le philosophe fut très attentif aux travaux de neurophysiologie, le médecin fut, comme l’écrit Robert Tocquet, un « métaphysicien du paranormal » inspiré par l’idée d’un « évolutionnisme providentiel et moral » qu’il résumait dans la formule : « Passage de l’inconscient au conscient’ [[Tocquet R., Les pouvoirs secrets de l’homme, Les Productions de Paris, 1963, p. 488-491.]].
Il faudrait examiner de près la chronologie des publications de Bergson (HB) et des deux premiers directeurs de l’institut Métapsychique International, Geley (GG) de 1919 à 1924 et Osty (EO) de 1925 à 1938 :

 1889: Essai sur les données immédiates de la conscience (HB).

 1896: Matière et Mémoire (HB).

 1897: Essai de revue général et d’interprétation synthétique du spiritisme (GG)

 1899: L’être subconscient (GG).

 1907 : L’évolution créatrice (HB).

 1912: Monisme idéaliste et palingénésie (GG).

 1913: Fantômes de vivants… (HB). Lucidité et intuition (EO).

 1918: La physiologie dite supranormale et les phénomènes d’idéoplastie (GG). – 1919: L’énergie spirituelle (HB). De l’Inconscient au Conscient (GG). Le sens de la vie humaine (EO).

 1922 : La connaissance supranormale (EO).

 1924 : L’ectoplasmie et la clairvoyance (GG).

 1932: Les deux sources de la morale et de la religion (HB). Les pouvoirs inconnus de l’esprit sur la matière (EO). 1934: La pensée et le mouvant (HB).

Certains titres et quelques thèmes bergsoniens comme l’élan vital, l’évolution créatrice, la conscience et l’intuition, sont tout à fait évocateurs de la réflexion métapsychique.

BM : Dans un petit roman écrit à la fin de sa vie, Richet met en scène un savant qui, las de la médiocrité Intellectuelle et morale de son époque, se met en hibernation en attendant des temps meilleurs. Ce savant, c’est évidemment Richet lui-même, déçu de l’accueil fait à la métapsychique. Mais ne pensez-vous pas que c’est aussi la parabole de la métapsychique, qui est entrée dans une phase de sommeil, de mise en attente ?

HL : En 1934, un an avant la mort de Charles Richet, paraît son roman métapsychique : Au seuil du Mystère, composé de trois nouvelles. La dernière, intitulée : L’homme qui a dormi cinquante ans [[Richet C., Au seuil du mystère. L’homme qui dormit cinquante ans. Paris, J. Peyronnet et Cie, 1934 p. 127-187.]], conte l’histoire du docteur Adrien Girard qui, âgé de trente ans en 1875, se met en biostase grâce aux vertus du suc de Mirabillis somnifera jusqu’en 1930. Réveillé, il souffre de l’antinomie entre un progrès scientifique et technique inouï et une affligeante régression de la culture et de la morale, à tel point qu’il décide de se remettre en sommeil pour ne se réveiller qu’entre 1980 et 2000 dans l’espoir de retrouver, en notre fin de siècle « un mode moral différent du vilain monde d’aujourd’hui ». « Je m’endors plein de confiance – écrit-il à un ami – car je suis sûr que le monde dans lequel je reviendrai m’apportera cet imprévu ».

Véritable adorateur de l’intelligence [[Richet C., L’intelligence et l’homme, Paris, Félix Alcan, 1927.]], Richet a eu quelques raisons d’être déçu par les résistances opposées à la science métapsychique, mais, pacifiste militant, sa plus grande déception fut la folie guerrière de 1914-1918, à l’issue de laquelle il publia, en 1919, un livre intitulé : L’homme stupide [[Richet C., L’homme stupide, Paris, Flammarion 1919.]]. En 1927, c’est-à-dire peu avant le premier réveil de son héros, il publie : L’homme impuissant [[Richet C., L’homme impuissant, Paris, Montaigne, 1927.]], non sans espoir en des temps meilleurs puisqu’en 1933, Girard s’étant rendormi, paraît son livre : La grande espérance [[Richet C., La grande espérance, Paris, Aubier, 1933.]]. Malheureusement, si Richet alias Girard s’était de nouveau réveillé en cette fin de siècle, cette grande espérance aurait été doublement déçue, par le récit de la deuxième guerre mondiale et par la persistance des obstacles au développement des recherches métapsychiques en France ; et il se serait bien vite derechef endormi. La parabole de la métapsychique, « mise à l’index » suivant votre expression [[Meheust B., « Epistémologiquement incorrect : Réflexions inactuelles sur la mise à l’index de Métapsychique », Alliage n° 28, Automne 1996, p. 15-24.]], n’est valable que dans le contexte français où les recherches ne peuvent se poursuivre que lentement et patiemment, du fait de la conjugaison entre les exclusions et les amalgames dont nous avons déjà parlé.
Songeant au « second réveil d’Adrien Girard », nous avions conçu le projet de rééditer les principaux classiques de la métapsychique française, en commençant par l’oeuvre de Charles Richet. Grâce à un travail acharné, l’éditeur André Jimenez a réussi à réaliser une troisième édition du Traité de Métapsychique et une deuxième édition de Notre sixième sens [[Richet C., Traité de_métapsychique, 3è édition Bruxelles, Artha Production, 1994. Notre sixième sens, 2è édition, Paris, Chiron et Bruxelles, Artha Production, 1995.]]. Hélas ! Les concours qu’il était en droit d’espérer ont fait défaut et ce projet est, lui aussi, pour l’instant, mis en sommeil. Nul n’étant prophète en son pays, des recherches se poursuivent ailleurs, d’où pourraient un jour surgir des faits nouveaux bien établis, tant en psychologie qu’en physiologie et en physique. Pour la France, espérons que l’Institut Métapsychique international sorte de son actuelle hibernation en 2019, année du centenaire de sa fondation. Et pour la science, souhaitons l’élargissement du paradigme actuel au-delà des frontières du probable, tant vers l’inventaire des obscures régressions de l’absurde que vers l’exploration des lumières d’un progrès merveilleux.

Paris, le 14 juillet 1997.