Home
Synchronicité et Hasard

Synchronicité et Hasard

Les phénomènes synchronistiques sont caractérisés selon Carl Gustav Jung par la coïncidence significative d’un phénomène physique objectif avec un phénomène psychique sans qu’on puisse imaginer une raison ou un mécanisme de causalité évident. A partir de la correspondance maintenant disponible de Jung avec le théoricien de la physique Wolfgang Pauli, on constate que Pauli a eu une participation décisive pour la préparation finale de cette idée. On évoquera les questions qu’ils se sont posées dans leurs discussions sur la causalité, la reproductibilité, le hasard, la probabilité et l’évolution biologique.

Le problème de la complémentarité entre psyché et matière, signalé plusieurs fois par Pauli, est aujourd’hui reformulé par la vision de la physique quantique moderne. Comme la partie matérielle de l’unus mundus est décrite correctement par la mécanique quantique, il est concevable de supposer que les structures les plus fondamentales de cette théorie puissent avoir une validité en dehors du domaine matériel. On montrera que, selon cette supposition, des corrélations holistiques entre la psyché et la matière sont possibles si, et seulement si, il existe des propriétés incompatibles non seulement dans le domaine matériel mais aussi dans le domaine psychique.


(Par Hans Primäs)[[Hans Primas était de 1961 à 1995 professeur de chimie physique et théorique dans la Eidgenössichen Technischen Hochschule (E.T.H.) à Zurich. Ses travaux s’étendent du développement des instruments et méthodes pour la spectroscopie à résonance magnétique nucléaire jusqu’aux problèmes mathématiques, physiques et philosophiques de la théorie quantique moderne.]]

En 1992 est apparue dans les éditions Springer la correspondance entre le psychiatre Carl Gustav Jung et le physicien théorique Wolfgang Pauli – un document de premier ordre relatif à l’histoire des idées[[Wolfgang Pauli und C.G. Jung. Ein Briefwechsel 1932-1958, édité par C.A. Meier (1992).]]. A côté de beaucoup d’informations personnelles – qui ne nous intéressent ici que de façon secondaire – il s’agit surtout de discussions sur la relation entre la psyché et la matière. En partant de leurs domaines professionnels respectifs, le psychologue Jung et le physicien Pauli sont parvenus tous les deux avec une concordance remarquable à la supposition de « l’existence d’un seul monde, dans lequel la psyché et la matière seraient une seule et même chose, que nous distinguons uniquement pour mieux les connaître en eux-mêmes »[[Citation d’une lettre de C.G. Jung du 2 janvier 1957, publiée dans Jung (1973), Briefe. Troisième volume 1956, 1961 p.70.]]. Jung a écrit dans une lettre datée de 1956:

« Je ne doute pas que la psyché objective contienne des images qui éclaircissent le secret de la matière. On peut se rendre compte de telles relations dans les phénomènes synchronistiques et leur a-causalité. Aujourd’hui, ces phénomènes ne sont encore que de vagues idées, et c’est à l’avenir qu’est réservé le travail de regroupement des expériences qui éclaircissent un peu cette incertitude » [[Cf. la lettre de C.G. Jung à Fritz Lerch du 10 septembre 1956. Publiée en Jung(1973), Briefe, tome 3 :1956-1961 p.56.]].

A première vue on pourrait s’étonner que ce soit Pauli qui se soit occupé intensivement de façon théorique de la psychologie des profondeurs de Jung. Pauli – le rationaliste et l’inexorable physicien à l’esprit critique, surnommé par ses collègues « la conscience vivante de la physique théorique » ou encore « le terrible Pauli« . Cependant le « problème psychophysique » a toujours été parmi ses principaux centres d’intérêt. Dans une lettre à Markus Fierz en novembre 1949 Pauli a écrit:

 » … la possibilité des lois de la nature m’a toujours paru fondée sur la coïncidence archétypique de nos attentes (psychique) avec un phénomène naturel extérieur (physique). Pour l’organisateur abstrait, la distinction « physique-psychique » n’existe justement pas. Sur ce point il me semblerait que la « pensée scientifique » serait seulement un cas particulier parmi des possibilités plus générales[[Lettre de Pauli du 26 novembre 1949 à Markus Fierz. Citée selon: von Meyenn (1993), lettre n°1058 p.710.]].

1. Premières idées de Jung sur la synchronicité

Les études de Jung sur des « phénomènes inexplicables » ont commencé en 1902 avec sa thèse « Psychopathologie des phénomènes dits occultes »[[Publié en français dans C.G.Jung, L’énergétique psychique, Librairie de l’Université, Zurich, 1956 ; ou reproduit dans Jung (1971a), Œuvres complètes, tome. 1, 1-150.]] et ont abouti à l’interprétation archétypique de la synchronicité. Selon cette interprétation, l’archétype à la base des phénomènes de synchronicité serait un coordinateur de la réalité psychique et matérielle où la coordination se déroule selon leur signification commune. Jung considère la psyché et la matière comme deux aspects d’une « unité » non divisée qui est inaccessible par voie directe:

« De même que la psyché et la matière sont contenues dans un seul et même monde, elles sont en outre en contact permanent et reposent finalement sur des facteurs transcendants incompréhensibles ; De fait, il est possible et même très probable que la matière et la psyché soient deux aspects différents d’une seule et même chose. Les phénomènes synchronistiques me semblent incliner dans ce sens : du non-psychique pourrait se comporter comme du psychique, et inversement, sans qu’il y ait de relation causale entre eux. »[[« Theoretische Überlegungen zom Wesen des Psychischen », Jung (1971b), Œuvres complètes, vol.8, 418.]]

Les conceptions de Jung se distinguent par principe de celles de Freud, en particulier par rapport à l’autonomie de l’inconscient, qu’il a nommé plus tard la « réalité de l’âme ». Contrairement à Freud, Jung s’intéressait surtout aux « grands rêves » qui ont une signification numineuse et dans lesquels se trouveny des contenus symboliques qu’on rencontre souvent dans l’histoire de l’humanité, comme des motifs mythologiques ou des images primordiales que Jung qualifiait d' »archétypes » dans ses premières oeuvres.

Le concept de « principe synchronistique » apparaît très discrètement par la première fois dans un éloge funèbre pour Richard Wilhelm dans le Neuen Zürcher Zeitung du 6 mars 1930 :

« La science du « Yi King » n’est pas basée sur le principe de causalité mais sur un principe qui n’est pas nommé jusqu’ici – car il n’apparaît pas chez nous – que j’appelle à titre d’essai le principe synchronistique. Mon occupation avec la psychologie des phénomènes inconscients m’a contraint, il y a plusieurs années déjà, à chercher un autre principe explicatif car le principe de causalité m’est apparu insuffisant pour expliquer certains phénomènes étranges de la psychologie de l’inconscient.[[Reproduit dans Jung(1971c), Œuvres complètes, tome.15, 74-96.]] »

Dans ses Tavistock Lectures en 1935 Jung a répondu à une question sur le parallélisme psychophysique :

« Le corps et l’esprit sont deux aspects de l’être humain, et cela est tout ce que nous savons. Pour cette raison je préfère dire que les deux choses surviennent ensemble d’une façon mystérieuse et en rester là, car on ne peut pas s’imaginer les deux choses comme étant une seule. Pour mon usage personnel, j’ai conçu un principe qui doit montrer ce fait d’être « ensemble », j’affirme que l’étrange principe de la synchronicité agit dans le monde lorsque certaines choses se produisent d’une façon plus ou moins simultanée et se comportent comme si elles étaient la même chose, tout en ne l’étant pas de notre point de vue.[[« Über die Grundlagen der analytischen Psychologie », Jung (1981) Œuvres complètes, vol. 18/1, 70.]] »

« L’Orient fonde sa pensée et son évaluation des faits sur un autre principe. On n’a même pas de mot pour rendre compte de ce principe. L’Orient a bien sûr un mot pour cela mais nous ne le comprenons pas. Le mot oriental est Tao… J’utilise un autre mot pour le nommer mais c’est assez pauvre. Je l’appelle synchronicité.[[« Über die Grundlagen der analytischen Psychologie », Jung (1981) Œuvres complètes, vol. 18/1, 142-143.]] »

La synchronicité selon Jung se réfère à des événements où il se passe des choses dans la réalité extérieure qui sont en correspondance significative avec une expérience interne. Les phénomènes synchronistiques sont des coïncidences significatives où l’espace et le temps apparaissent comme des grandeurs relatives. « Synchronicité » ne veut pas dire « en même temps » mais « avec le même sens ». La partie du phénomène synchronistique qui se produit dans la réalité extérieure est perçue par nos sens naturels. L’objet de la perception est un événement objectif. Cependant Jung écrit :

« Il demeure pourtant un événement inexpliqué, car dans les conditions de nos présupposés physiques, on ne pouvait pas s’attendre à sa réalisation.[[Citation d’une lettre de C.G.Jung du 9 février 1960, publiée dans Jung (1961).]] »

Bien entendu, la synchronicité n’est pas une explication, c’est en premier lieu le fait de donner un nom aux faits empiriques suggérant l’existence des coïncidences significatives. Jung a souligné qu' »en ce que concerne la synchronicité, la principale difficulté réside dans le fait de voir sa cause dans le sujet tandis que, selon ma conception, elle se trouve dans la nature des processus objectifs »[[C.G.Jung dans une lettre du 9 août 1954 à J.B.Rhine (publiée dans Jung (1972b), Briefe, tome 2.1946-1955, p.408.]] . Les phénomènes synchronistiques remettent en question le concept physique d’objet tout comme les concepts classiques d’espace et du temps et ils concernent donc également les physiciens intéressés aux questions philosophiques.

Jung traîna avec lui ses idées sur des « coïncidences significatives » pendant des années, sans leur donner leur forme définitive. Il a longtemps hésité avant de les présenter au grand public. Après une conversation avec Pauli, en novembre 1948, ils ont commencé une correspondance intensive[[C.A.Meier (1992), Wolfgang Pauli et C.G. Jung. Ein Briefwechsel, 1932-1958, surtout p.56-73.]], dans laquelle Pauli a encouragé Jung à rédiger ses pensées sur la synchronicité. En juin 1949 Jung a envoyé à Pauli un brouillon « entouré partout de signes d’interrogations »[[Jung dans une lettre du 22 juin 1949 à Pauli. Publiée dans Meier (1992), lettre Nr.36, p.40.]] pour qu’il l’examine en détail. Pauli a pris vivement part à la mise au point ultérieure du concept de la synchronicité de Jung. Dans leur correspondance (partiellement) publiée, il ressort que la critique constructive de Pauli a été essentielle. La version définitive de Jung a été le résultat de beaucoup de révisions – inspirées par les commentaires critiques de Pauli – et elle est apparue en 1952 sous le titre La synchronicité comme principe des relations acausales[[Jung (1952a).]] dans un volume publié conjointement avec Pauli et intitulé Explication de la nature et de la psyché[[NdT. Il est intéressant de voir que cette union littéraire de Pauli et Jung dans Naturerklärung und Psyche, Zurich, 1952, saluée en Allemagne par une sorte de paradigme fondé sur le dialogue Pauli-Jung (cf. Der Pauli-Jung-Dialog und seine Bedeutung für die moderne Wissenschaft, H. Atmanspacher & H. Primas, Springer, Heidelberg 1995), est traduite en français dans deux volumes séparés : Pour le texte de Jung, voir Synchronicité et Paracelsica, Paris, Albin Michel, 1988, et pour le texte de Pauli, voir Le Cas Kepler, Paris, Albin Michel, 2002.]]. Ici, il ne s’agit « pas du tout d’un travail complet de description et d’élucidation de ces faits complexes », comme Jung l’a souligné dans son préambule, « mais uniquement d’un essai afin de… soulever le problème. »

Les phénomènes synchronistiques se comportent selon Jung comme des hasards gorgés de sens. Ils sont caractérisés par la coïncidence porteuse d’une signification d’un phénomène objectif physique avec un événement psychique sans qu’on puisse imaginer une raison ou un mécanisme causal. Jung a listé parmi les exemples de coïncidences significatives la télépathie, des pratiques divinatoires comme le Yi King ou encore la technique d’interprétation de l’astrologie, mais aussi les effets secondaires souvent observés en cas de décès : une horloge s’arrête, une photo tombe du mur, un verre se brise. L’existence des événements synchronistiques est souvent mise en doute car ils sont rares voire exceptionnels. L’argument le plus convaincant de leur réalité est une tradition millénaire et – en dernière instance, la seule valable – l’expérience personnelle propre.

Les phénomènes synchronistiques perdent beaucoup de leur force de conviction quand on les raconte simplement. Ils ont une qualité d’expérience numineuse et on doit l’expérimenter soi-même. La seule chose qui compte est le saisissement personnel. Une discussion de tels phénomènes subjectifs fait sauter le cadre de la science traditionnelle, dite « objective » mais jamais le cadre d’un examen sérieux. Des véritables événements synchronistiques ont un caractère numineux, tel qu’on ne les crie pas sur les toits. Pour ne pas délayer complètement le concept de synchronicité, on pourrait envisager de le restreindre aux événements qui sont inouïs et bouleversants.

2. Wolfgang Pauli et la synchronicité

Pauli était réceptif aux idées de Jung sur les « coïncidences significatives » principalement pour deux raisons : d’abord, il était bien préparé philosophiquement parlant. L’essai de Schopenhauer Le sens du destin : spéculation transcendante sur l’intentionnalité apparente dans le destin de l’individu a eu sur Pauli « un effet fascinant et très durable et il semble avoir préparé Pauli pour un changement futur dans les sciences physiques et naturelles »[[Pauli dans une lettre à Jung du 28 juin 1949 publiée dans Meier (1992), lettre n°37, p.41.]]. Dans son article important publié en 1956, La science et la pensée occidentale, Pauli a écrit: « L’ancienne question de savoir si, sous certaines conditions, l’état psychique de l’observateur pourrait influencer le déroulement de la nature matérielle extérieure n’a pas de place dans la physique d’aujourd’hui. La réponse était évidemment affirmative pour les anciens alchimistes. Dans le siècle dernier, un esprit critique tel que le philosophe Arthur Schopenhauer, excellent connaisseur et admirateur de Kant, a considéré dans son essai Magnétisme animal et magie que les effets dits magiques étaient largement possibles et il les a interprétés dans sa terminologie particulière comme des « influences directes de la volonté qui vont au delà des limites de l’espace et du temps ». Sous cet angle on ne peut pas dire que des raisons philosophiques a priori soient suffisantes pour refuser immédiatement de telles possibilités »[[Pauli (1956) p.78.]].

Mais l’intérêt que portait Pauli aux « coïncidences significatives » n’était pas purement académique. Dans sa jeunesse Pauli avait été marqué par une mentalité rationnelle extrêmement spécialisée, avec laquelle il a eu des sérieuses difficultés à l’âge de trente ans. En août 1934, il a écrit à son collègue et ami Ralph Kronig :

« Après être tombé en dépression durant l’hiver 1931/32, j’ai commencé lentement à remonter la pente. J’ai rencontré alors des événements psychiques que je ne connaissais pas auparavant et que je nommerai ici simplement l’activité propre de l’âme. Il ne fait pour moi aucun doute qu’il y a ici des choses qui se sont développées spontanément et qui peuvent être désignées comme des symboles ; une chose à la fois psychique et objective qui ne peut s’expliquer par des causes matérielles.[[Pauli dans une lettre du 3. août 1934 à Kronig, citée selon Meyenn (1985), lettre Nr.380, p.340.]] »

Sa crise psychologique a conduit Pauli à prendre contact avec Jung en 1930, lequel l’a confié au jeune médecin Erna Rosenbaum, une débutante dans ce domaine. Pendant cette analyse de cinq mois et durant les trois années qui suivirent, Pauli a produit sans aucune influence directe de Jung environ 1500 grands rêves avec des contenus archétypiques surprenants.

On peut glaner quelques informations sur cette activité propre de l’âme, comme disait Pauli, dans la monumentale oeuvre de Jung, Psychologie et alchimie [[Jung (1936) en a parlé par la première fois en 1935 dans sa conférence à Eranos Symboles oniriques du processus d’individuation, dans lequel il a utilisé quatre cents rêves de Pauli. Ces matériaux se trouvent également dans : Jung (1952b), Psychologie et alchimie et dans Jung (1972a), Gesammelte Werke, tome 12, Psychologie et alchimie. Des textes supplémentaires sont disponibles dans les Tavistock Lectures de 1935 de Jung (publiées dans Jung (1981), Gesammelte Werke, tome 18/1, « Über die Grundlagen der analytischen Psychologie »), dans ses Terry Lectures de 1937 (publiées dans Jung (1963), Gesammelte Werke, tome 11, Psychologie et religion) et dans son colloque à New York Dream symbols of the individuation process de 1937 (non publié). Dans ces conférences et publications, Jung a gardé secrète l’identité du rêveur (« un jeune homme de formation scientifique », »un grand scientifique », « un homme très connu, vivant aujourd’hui »). Cette identité n’a été dévoilée que par les éditeurs des Collected works of C.G. Jung, cf. l’édition anglaise (Jung 1977), volume 18, The symbolic life, 673, note en bas de page 9 (cette note en bas de page n’a pas été prise dans l’édition allemande (Jung 1981)).]].

Pauli a souvent fait l’expérience – comme toute personne ayant une activité créatrice – de la relation mystérieuse entre son travail sur des problèmes de physique théorique et l’activité animique inconsciente. Ajoutons à ceci que Pauli a été hanté pendant toute sa vie par des phénomènes très étranges – c’est ce que l’on a surnommé « L’effet Pauli« . Il s’agit ici du fait – attesté de source sûre – que les instruments de mesure avaient de temps en temps des perturbations ou ne fonctionnaient pas lorsque Pauli faisait irruption dans un laboratoire.

On pourrait considérer ces effets comme la manifestation du revers de la médaille chez Pauli. Pauli n’avait pas de bonne relation avec les sciences de l’ingénieur ; il n’avait pas de bonnes aptitudes manuelles et il ressentait notre monde technique comme inquiétant et menaçant. Cet état de tension était bien perceptible pour ses collègues et tout le monde était convaincu que des effets « mystérieux et inquiétants » émanaient de Pauli[[Cf. Fierz (1975).]]. Son collègue Markus Fierz raconte :

« Même des spécialistes de la physique expérimentale, des savants objectifs et réalistes partageaient l’opinion selon laquelle c’était bien de Pauli qu’émanaient ces effets étranges. On croyait par exemple que sa simple présence dans un laboratoire générait pas mal d’ennuis dans la conduite des expériences, elle réveillait pour ainsi dire la malignité des choses. C’était cela, « l’effet Pauli ». Pour cette raison, son ami Otto Stern, l’artiste renommé des jets moléculaires, ne l’a jamais laissé entrer dans son institut. Ce n’est guère une légende, je connaissais très bien Stern tout comme Pauli ! Même Pauli croyait absolument en son effet. Il m’a raconté qu’il ressentait le malheur à l’avance sous la forme d’une tension désagréable et que si ensuite l’ennui pressenti se produisait véritablement, alors il se sentait bizarrement libéré et soulagé. On peut tout à fait considérer « l’effet Pauli » comme un phénomène synchronistique.[[Fierz (1988), p.190-191.]] »

3. La synchronicité comme une relation de signification

Dans ses premières oeuvres, Jung parlait de « synchronistique » en général voulant dire « simultanément ». Plus tard il était devenu évident que, par « synchronistique », il fallait plutôt comprendre « avec une même signification ». L’essentiel pour la synchronicité est donc le lien de sens entre les événements et non pas leur simultanéité[[Jung partage cet avis. Dans sa contribution à Eranos en 1946, L’esprit de la psychologie, il remarque dans une note en bas de page que la « synchronicité, dénomination dont je suis responsable, n’est pas un terme satisfaisant dans la mesure où il ne considère que les phénomènes relatifs au temps. » Cité dans Jung (1947), p.485.]]. Pauli a écrit à Jung en 1949 :

« Le mot « synchron » me paraît … en quelque sorte illogique, sauf si vous voulez qu’il ait un rapport avec un « chronos » qui soit essentiellement différent du temps ordinaire… A priori ce n’est pas évident de voir pourquoi des événements qui « expriment la présence d’une même image et/ou d’une même signification » devraient être simultanés : le concept du temps me donne plus de difficultés que le concept de sens.

Quel est le rapport entre Sens et Temps ? A titre d’essai j’interprète votre conception à peu près comme ceci : d’abord, les événements qui partagent un même sens peuvent être perçus plus facilement s’ils sont simultanés. Ensuite, la simultanéité est aussi la qualité qui constitue l’unité des contenus de la conscience.[[Lettre du 28 juin 1949. Citée selon Meier (1992), lettre n°37 p.42.]] »

Pauli préférait parler uniquement d’une relation du sens, et il le souligna dans une lettre à Fierz (octobre 1949) :

« Pour moi la nouveauté dans cette façon de voir les choses c’est qu’en utilisant le concept de « relation de sens », je ne perçois pas de distinction trop nette entre le reproductible et le cas individuel, comme on avait pu le supposer auparavant. Est-ce vraiment très différent de la mécanique quantique lorsque Jung suppose une relation de sens entre la situation psychique (« état de conscience ») de l’observateur et ce qui se passe à l’extérieur ? »[[Lettre de Pauli du 22 octobre 1949 à Markus Fierz. Citée d’après von Meyenn (1993), lettre Nr.1055, p.702.]]

Jung et Pauli croyaient que les coïncidences significatives pourraient être un apport essentiel à l’explication des relations entre la psyché et la matière. Ils estimaient qu’en supplément du principe d’action causale dans le cadre de la description spatio-temporelle, une correspondance entre la psyché et la matière à travers un sens préexistant était nécessaire pour une compréhension plus vaste de la nature. Jung a même proposé de détacher le facteur de la signification de l’avis subjectif de l’être humain, et de l’élever jusqu’à en faire un principe métaphysique général :

« La synchronicité présuppose un sens a priori par rapport à la conscience humaine, un sens qui en apparence se trouve à l’extérieur de l’être humain. »[[« La synchronicité comme principe de relations acausales », Jung (1952a) p.87, Œuvres complètes, tome 8, Jung (1971b), 932.]]

Mais un sens autonome n’a pas de place dans notre vision scientifique actuelle du monde. Jung déclare :

« On est habitué à considérer que le concept de « sens » implique un phénomène ou un contenu physique dont on ne suppose pas qu’il puisse exister également à l’extérieur de notre psyché… Lorsque l’on considère l’hypothèse qu’un même sens (transcendant) peut se dévoiler à la fois dans la psyché humaine et dans l’arrangement d’un événement simultané extérieur et indépendant, alors on entre en conflit avec nos idées scientifiques et épistémologiques traditionnelles. »[[La synchronicité comme principe des relations acausales, Jung (1952a) p.68 ; Oeuvres complètes, tome 8, Jung (1971b), 905.]]

Déjà en 1934, Jung insistait, lors de sa conférence d’Eranos, sur l’idée que le « sens » est un archétype[[Sur les archétypes de l’inconscient collectif, Jung (1935), p.214, Oeuvres complètes, tome 9/1, Jung (1976), 66.]] . Cette conception platonique d’un sens préexistant donne naturellement lieu à de grandes difficultés qui n’ont nullement échappées à Jung. Dans une correspondance révélatrice avec Erich Neumann, Jung écrivait en 1959 :

« Le sens semble toujours être d’abord inconscient et ne peut donc être découvert que post hoc ; c’est pourquoi on risque toujours de voir un sens là où il n’y a rien de ce genre. On a besoin des expériences synchronistiques pour pouvoir justifier l’hypothèse d’un sens latent, qui est indépendant de la conscience. Tout comme une création n’a pas de sens discernable sans la conscience humaine qui la reflète, l’hypothèse du sens latent attribue à l’être humain une signification cosmogonique, une véritable « raison d’être »(*En français dans le texte)[[Lettre à Erich Neumann du 10 mars 1959. Citée selon Jung (1973), p.240.]].

Sous l’influence de Pauli, Jung a considéré plus tard le concept de synchronicité caractérisé à travers un sens préexistant, comme un cas particulier d’un arrangement plus général appelé l’ordre acausal[[La synchronicité comme principe des relations acausales, Jung (1952a), p.104 ; Oeuvres complètes, tome 8, Jung (1971b), 955.]]. L’acausalité de la mécanique quantique, réglée par des lois statistiques strictes est – selon Pauli – également un cas particulier de cet « ordre acausal » :

« Pour moi, il n’y a pas de doute que la « correspondance statistique » de la mécanique quantique soit plus proche de l’ancien déterminisme que des phénomènes synchronistiques. Du point de vue de ces derniers, la mécanique quantique doit apparaître comme une généralisation très faible de l’ancienne causalité. Cependant, la mécanique quantique semble également pointer vers l’autre direction, où l’on ne peut plus parler de reproduction à volonté des résultats. La mécanique quantique prendrait une sorte de position intermédiaire. »[[Lettre de Pauli du 26 novembre 1949 à Fierz. Citée selon von Meyenn (1993), lettre n°1058, p.710.]]

4. Synchronicité et acausalité

Même si Pauli a considéré l’idée de la synchronicité de Jung comme un pas génial dans la bonne direction et qu’il a eu une influence essentielle dans les réflexions de Jung, il ne faut pas supposer que Pauli était entièrement satisfait des formulations faites par Jung.

En effet la caractérisation de Jung de la synchronicité comme « la simultanéité de deux phénomènes partageant un sens, mais liés de façon acausale »[[Jung (1952a), La synchronicité comme principe des relations acausales, p.26.]] n’est pas opportune. Bien entendu, Pauli a critiqué dès le début l’utilisation particulière de l’expression « acausal » par Jung :

« Il me semble que le concept « acausal » et l’utilisation particulière du concept du temps ont besoin d’être éclaircis plus en détail. Selon votre conception du phénomène « synchronistique »… celui-ci se produit à travers la duplication ou multiplication d’un « organisateur abstrait » dont l’aspect extérieur est justement double ou multiple. Dans ce sens on pourrait qualifier également cet « organisateur » comme étant la cause du phénomène synchronistique. Cette cause ne serai plus alors dans l’espace-temps. »[[Lettre de Pauli du 28 juin 1949 à Jung. Citée selon Meier (1992) lettre n°37 p.42.]]

On peut donc voir, d’après les lettres de Pauli, que lui et Jung avaient des opinions considérablement différentes en ce qui concerne le concept de causalité. Jung ne précisait jamais ce qu’il entendait par « causal » et « acausal ». Dans une lettre à Fierz, Pauli parle d’une conversation avec Jung:

« Jung souligna comme particulièrement important l’application du concept de « causalité » uniquement aux causes « concrètes » ou « mesurables » se trouvant dans le temps et l’espace (pour exclure de la causalité les causes « magiques » ou « symboliques » qui sont en dehors de l’espace-temps). Ceci est bien entendu un point décisif car c’est uniquement dans ce sens que les « liens transversaux » des événements simultanés de Schopenhauer sont « acausals »[[Lettre de Pauli du 22 octobre 1949 à Markus Fierz. Citée selon von Meyenn (1933), lettre n°1055, p.702.]].

Même en limitant le concept de causalité aux événements spatio-temporels, l’absence d’un lien causal ne peut jamais être prouvé empiriquement car une liaison de causalité peut être tellement complexe qu’elle échappera à nos méthodes de recherche. Le point essentiel, selon Jung, c’est le fait que, pour comprendre les coïncidences significatives, l’impensabilité du lien causal localisable dans l’espace et dans le temps doit contraindre l’esprit à renoncer à toute discussion d’un tel lien. Jung a découvert des concepts précurseurs à son idée de synchronicité dans des textes anciens comme la théorie de la « sympathie universelle » et dans la « correspondentia » des descriptions de la nature du Moyen-Âge. En résumé on peut par conséquent affirmer que, dans les phénomènes synchronistiques, le lien du sens est évident tandis qu’un éventuel lien causal spatio-temporel est sans importance et en général indiscernable. Mais il faut souligner qu’un lien de causalité dans les phénomènes synchronistiques n’est pas à priori exclu.

5. Les phénomènes synchronistiques et le principe Verum-Factum

Dans la science moderne, les faits dits « scientifiques » sont seulement créés à travers la réplication. Une caractéristique de la science moderne est le fait que ses objets peuvent être fabriqués. Dans la pratique scientifique actuelle, le « critère de vérité » effectivement réalisé est le principe Verum-Factum de Giovanni Battista Vico : « Verum et factum convertuntur »[[De antiquissima Italorum sapientia, 1710.]], c’est-à-dire que c’est le fait d’être réalisable ou non qui est décisif pour la pensée scientifique moderne. Si un phénomène n’est pas réalisable, alors, selon la conception de la plupart des scientifiques modernes, il y a un objectif essentiel de recherche qui n’est pas encore atteint. Le coeur de l’exigence de la possibilité de répétition est donc la question de la possibilité de réalisation et du statut de l’objet.

Les événements synchronistiques ne sont pas une qualité régulière de la psyché. Ils apparaissent spontanément et ne peuvent pas être déclenchés par un acte conscient de la volonté, voilà pourquoi ils ne sont pas « réalisables » – ils se produisent purement et simplement de temps à autre[[Cf. la lettre de C.G.Jung à Hans Bender du12 février 1958. Publiée dans Jung (1973), Briefe, tome 3, 1956-1961 p.154-155.]]. Si on accepte le principe Verum-Factum de Vico comme constitutif de la science, alors les effets synchronistiques sont exclus d’elle, car ils ne sont pas « réalisables ». Bien entendu, on se demande si une science ne se limite pas d’une façon artificielle quand elle se base essentiellement sur le critère de la possibilité de réalisation.

Quand les événements sont reproductibles, cela aide beaucoup à obtenir des renseignements sur la nature des phénomènes impliqués, toutefois cette qualité ne peut être indispensable pour décider si un examen est scientifique ou non – dans le cas contraire beaucoup de sciences établies (comme par exemple les sciences sociales) devraient perdre leur statut de science.

Si on se restreint à la reproductibilité statistique, c’est-à-dire si on veut fonder la connaissance scientifique sur des données statistiques, alors on présuppose tacitement la validité conceptuelle de la théorie mathématique de la probabilité – ce qui ne va pas de soi. En outre il faut souligner que le postulat de la reproductibilité seulement exige qu’il se produise toujours les mêmes événements quand on a les mêmes conditions initiales. Dans des systèmes complexes les conditions initiales identiques ne sont jamais réalisables, on doit donc se satisfaire d’une reproductibilité statistique. Celle-ci demande alors uniquement la possibilité de réalisation d’une distribution de probabilité des conditions initiales essentielles. Souvent on n’a besoin que de très peu de paramètres (comme par exemple la température) pour décrire de façon reproductible le comportement statistique de systèmes à grand nombre de particules en physique – et ceci est une singularité remarquable.

Cependant, rien n’indique qu’il faille attendre, de façon générale, qu’une distribution de probabilité des conditions initiales essentielles soit réalisable en pratique. La science expérimentale exclut les événements non reproductibles statistiquement bien qu’évidemment la réalité d’un phénomène ne dépende pas de sa reproductibilité statistique.

Pauli a toujours souligné – et plus tard Jung a adopté cette idée[[Ainsi, Jung écrivait dans un préambule du livre Spuk. Irrglaube oder Wahrglaube ? de Fanny Moser (Moser 1950, p.11, reproduction dans Jung (1981), Oeuvres complètes, tome 18/1, 761) sur l’interprétation statistique des expériences parapsychologiques de Rhine : « Les phénomènes complexes de ce genre vont à l’encontre de l’application du point de vue statistique, car celui-ci se révèle en fait complémentaire au point de vue de la synchronicité, éliminant la nature individuelle de ces phénomènes sous la masse du « hasard statistique ». »]] – que la méthode statistique de la science est en relation de complémentarité avec la synchronicité. Dans une lettre à Fierz, Pauli écrivait en octobre 1949 :

« Je crois que les coïncidences synchronistiques sont détruites lorsqu’on élimine tous les facteurs incontrôlables et inconscients afin d’obtenir des conditions expérimentales reproductibles (Complémentarité). »[[Pauli dans une lettre du 22 octobre 1949 à Markus Fierz (citée d’après von Meyenn (1993), lettre n°1055, p.703).]]

6. Le hasard, la probabilité et la complexité

Dans les sciences physiques et naturelles on parle d’un événement dû au hasard, quand il peut se produire sous certaines conditions mais pas avec certitude. Un tel événement est caractérisé par la fréquence relative avec laquelle il se produit parmi les événements possibles d’une totalité de conditions données. Dans un premier temps, on ne précise pas si un événement dû au hasard est soumis ou non à la causalité. Dans les sciences de l’ingénieur, les phénomènes ou processus aléatoires sont caractérisés par des changements dans le temps, ce qui rend imprévisible le cas particulier.

La théorie de la probabilité empirique-statistique se réfère toujours à la discussion de la fréquence relative d’un événement durant une longue série d’observations. On suppose tacitement qu’en prolongeant indéfiniment cette série statistique, la fréquence relative convergera vers une valeur limite et on nomme cette limite la probabilité de cet événement.

Beaucoup de mathématiciens et de scientifiques pensent que tous les problèmes de la théorie de la probabilité sont en principe résolus à travers les axiomes de Kolmogoroff[[Kolmogoroff (1933).]] de 1933, c’est-à-dire qu’ils sont réduits à des problèmes purement mathématiques. En effet on considère que la théorie mathématique de la probabilité moderne a commencé lorsque Kolmogoroff créa la formulation basée sur la théorie de la mesure. Il est cependant important d’observer qu’avec ceci, ses problèmes conceptuels n’ont pratiquement pas été abordés. Dit plus cyniquement, la théorie de la probabilité basée sur les axiomes mathématiques de Kolmogoroff n’est rien d’autre qu’un chapitre de la plus générale théorie de la mesure, mais avec une sélection particulière des problèmes et avec une terminologie étrange. Jusqu’à présent, on ne connaît pas d’arguments solides qui suggéreraient que les axiomes de Kolmogoroff seraient pertinents pour toute sorte de recherche empirique.

Kolmogoroff lui-même était conscient de ce problème et il est revenu là-dessus 30 ans plus tard dans le cadre de ses approches avec ses concepts d »information » et de « complexité » pour mieux éclaircir la définition conceptuelle de la probabilité[[Kolmogoroff (1963), Kolmogoroff (1968).]]. Schnorr a pu montrer ultérieurement que la formulation algorithmique de la théorie mathématique de la probabilité est mathématiquement équivalente à sa version constructive de la théorie de mesure[[Schnorr (1971).]]. D’un point de vue conceptuel la version algorithmique est largement préférable. Dans cette version on peut voir en particulier que chaque définition de la complexité, de l’information ou de la probabilité est nécessairement dépendante du contexte. Ce qui dans une description est considéré comme aléatoire peut tout à fait être régulier dans une autre description.

Pour pouvoir appliquer la théorie mathématique de la probabilité à des problèmes concrets, on a besoin d’une interprétation du système formel. L’interprétation subjective considère le degré de probabilité comme un critère pour la sensation de certitude ou d’incertitude attribuée à des déclarations ou suppositions spécifiques. Ce qu’on appelle l’interprétation objective considère chaque énoncé de probabilité numérique comme une prédiction d’une fréquence relative. Mais cette interprétation de la fréquence, populaire en physique, implique des difficultés encore plus grandes.

Pour évaluer si la distribution empirique de valeurs se différencie seulement un peu de la distribution de valeurs asymptotique, on a besoin non seulement de la loi mathématique des grands nombres mais aussi de la contestable règle suivante[[Kolmogoroff (1933), p.4: « Sous certaines conditions, qui ne seront pas détaillées ici, on suppose qu’on peut attribuer un nombre réel P(A) à un événement A, lequel apparaîtra ou non dépendamment des conditions, avec les deux propriétés suivantes : 1) Si on répète l’ensemble de conditions S, n-fois ( un nombre très grand ), en obtenant m-fois l’apparition de l’événement A, alors on peut être pratiquement sûr que le rapport m/n ne se différencie que très légèrement de P(A). 2) Si P(A) est très petit, alors on peut être pratiquement sûr qu’en réalisant une seule fois les conditions S, l’événement A n’aura pas lieu.]] : Si la probabilité d’un événement est suffisamment petite, alors on peut être pratiquement sûr qu’en réalisant une seule fois les conditions, l’événement n’apparaîtra pas.

Mais la théorie ne donne aucun critère pour décider quand une quantité de répétitions serait « suffisamment grande », ni non plus de critère pour savoir ce qu’on entend par « suffisamment petite ». Comme l’a montré Rudolf Carnap, l’interprétation de la probabilité comme équivalente à une fréquence est adéquate (« probabilité n°1 de Carnap ou « fréquence relative pour le long terme ») à condition de l’utiliser avec un « degré de crédibilité » (« probabilité n°2 » de Carnap ou « degré de confirmation »)[[Carnap (1945).]]. De ce fait, il faut toujours tenir compte d’un facteur subjectif dans l’interprétation de la probabilité, considérée habituellement comme objective. Dans les mots de Pauli :

« … même la réalisation unique d’un événement très improbable est considérée à partir d’un certain point de vue comme pratiquement impossible… Ici, on est confronté à la limite fondamentale de la viabilité de l’ancien programme de l’objectivisation rationnelle de l’attente subjective unique. »[[Pauli (1954a) p.113.]]

De temps en temps, le « hasard » est opposé – par Jung également – à la « causalité », comme s’il était son antonyme. Ici, il semble y avoir une confusion conceptuelle. Dans la physique classique, des systèmes crypto-déterministes[[Cette terminologie provient de Edmund Whittaker (1943) « Si on me permettait d’inventer un mot, j’appellerai le fait de jeter une pièce de monnaie « crypto-déterministe » : c’est-à-dire que le phénomène est en réalité déterministe bien qu’on ne puisse prédire son résultat à cause de notre manque d’information concernant certains paramètres cachés, dont les valeurs doivent être connues pour que la prédiction soit possible. Dans le crypto-déterminisme, l’apparence d’être contingent est une illusion imposée par nos moyens de connaissance limités. »]], dynamiques, instables et complexes peuvent générer des événements aléatoires[[Nul n’ignore que dans la technologie informatique moderne, on génère des suites de nombres pseudo-aléatoires qui sont pratiquement indiscernables des suites vraiment aléatoires.]]. Antoine Augustine Cournot (1801-1877) et John Venn (1834-1923) ont clairement remarqué que la dynamique dans des systèmes suffisamment complexes peut être extrêmement sensible aux conditions initiales et aux conditions aux limites. La dynamique chaotique qui en résulte peut générer objectivement des événements aléatoires qui peuvent être décrits par des fréquences relatives[[Cf. Cournot (1843), Venn (1866).]].

Par exemple, on peut décrire des expériences avec une planche de Galton grâce à la dynamique d’un système mécanique crypto-déterministe. Notre manque de connaissance des conditions initiales et aux limites précises nous empêche de prédire un événement isolé. Cependant, la distribution observable dans les expériences avec une planche de Galton ne dépend pas du tout de nos connaissances. Dans ce cas, on peut parler de hasard objectif. Pourtant, ce serait une grossière erreur de supposer que des événements « aléatoires » obéissent toujours aux lois de la théorie mathématique de la probabilité[[Ici on ne parle pas des fluctuations statistiques intuitivement surprenantes, qui se produisent dans certaines expériences statistiques, mais qui sont globalement interprétables par la théorie de la probabilité. Cf. par exemple Feller, chap.12.5.]]. Par exemple, les coïncidences synchronistiques ne sont pas calculables à partir de la théorie de la probabilité de Kolmogoroff. Pauli a écrit dans une lettre à Fierz :

« Les phénomènes synchronistiques observés par Jung… échappent aux « lois » naturelles, car ils ne peuvent pas être reproduits, c’est-à-dire qu’ils sont uniques et qu’ils s’estompent à travers le traitement statistique appliqué aux grands nombres. Par contre, les « acausalités » sont justement saisissables en physique grâce aux lois statistiques (des grands nombres). »[[Lettre de Pauli du 3 juin 1952 à Fierz. Citée d’après Lurikainen (1988), p.141. ]]

7. Le hasard et l’évolution

Le hasard joue un grand rôle dans la théorie de l’évolution. Comme l’ont par exemple toujours souligné Walter Elsasser, Jacques Monod et Manfred Eigen[[Elsasser (1958), Elsasser (1966), Monod (1970), Eigen (1987).]], le hasard est constitutif pour la compréhension de la théorie de l’évolution et de l’apparition des formes de vie. Francis Crick résume : « La seule source des véritables innovations est le hasard »[[Crick (1983), p.62.]]. Cependant ce qu’il faut entendre par hasard n’est pas clair. Manque de causes ou manque de connaissances ? Monod parle du « hasard essentiel » qui serait caractérisé par « l’indépendance totale de deux séries d’expériences » . Mais des raisonnements quantiques nous poussent à douter de l’existence d’une telle « indépendance totale »[[Monod (1970), citation d’après la traduction allemande, p.143.]] .

Pauli a remarqué que l’idée de la synchronicité pouvait avoir de l’importance pour la théorie biologique de l’évolution. Il a surtout discuté des arguments scientifiques théoriques contre la théorie de l’évolution de Darwin et il souligna la possibilité de synchronicités dans l’évolution:

« Le modèle de l’évolution de Darwin est un essai afin d’éliminer entièrement toute finalité par une nouvelle théorie. La finalité a donc dû être remplacée par l’introduction du « hasard » (chance). »[[Pauli (1954b), p.297.]]

Pauli a souligné que des événements rares ou même uniques sont particulièrement importants pour l’évolution biologique, contrairement aux lois statistiques vérifiables empiriquement[[Pauli (1954b) p.298.]]. Ensuite, il a admis la possibilité des processus physiques finaux. Il écrivit à un ami, le biologiste Delbrück :

« Probablement que la solution est complexe, et qu’à côté du hasard sacré, il existe aussi des processus avec un but dirigé et des influences causales de l’environnement… »[[Lettre de Pauli à Delbrück du 4 février 1954. Citée d’après Enz (1985), p.252.]]

Officiellement, les considérations finales sont mal vues dans la biologie moderne mais elles ne sont pas superflues. Comme le dit le généticien J.S.B. Haldane dans un de ses bons mots :

« La téléologie est comme une maîtresse pour le biologiste : il ne peut pas vivre sans elle, mais il ne veut pas être vu avec elle en public. »[[Cité d’après E.Mayr (1979), L’évolution et la variété de la vie, p.210.]]

Un thème central dans les rêves de Pauli des années cinquante était la question d’une nouvelle physique. A plusieurs reprises, il y a dans ses rêves la question d’une nomination de professeur de physique théorique. Pauli commente ceci avec la remarque qu’il ne s’agit pas de la chaire universitaire conventionnelle, vu que Pauli, lauréat du prix Nobel, était déjà professeur de physique théorique à l’ETH Zurich depuis plusieurs années. Il s’agit de la nouvelle physique, de la nouvelle science. Et l’université en question ne se trouve pas dans la fameuse ville de Zurich mais à Esslingen – connue par les habitants de Zurich pour n’être que le terminus d’un train régional. Dans ce lieu inconnu de la science traditionnelle serait cultivée la nouvelle science. Et si Pauli veut se décider pour Esslingen, sa démarche n’est absolument pas assurée. En tout cas, Pauli doit y aller pour donner des cours à titre d’essai devant des inconnus.

Fort heureusement, il existe un manuscrit de quatre pages sous le titre Le cours devant les inconnus qui décrit cette situation[[Elle fait partie du manuscrit de 21 pages « La leçon de piano. Une fantaisie active à propos de l’inconscient. Dédié amicalement à Mlle. Dr. Marie-Louise v. Franz » de l’année 1953. Publié dans Atmanspacher, Primas et Wertenschlag-Birkhäuser (1995), p.317-330.]]. Le point de départ du cours fictif de Pauli est le « hasard aveugle et sans but » de la mécanique quantique avec ses probabilités primaires associées. La deuxième sorte de lois naturelles est essentiellement liée au fait que l’observateur peut intervenir dans les événements à travers le libre choix du dispositif expérimental. D’après Pauli, la nouvelle science doit se consacrer surtout à la troisième sorte de lois naturelles. Après une discussion critique sur les conceptions traditionnelles de la biologie et du hasard, les concepts de l’évolution de Lamarck et Darwin, Pauli a écrit :

« Selon cette hypothèse, différente de la conception de Darwin et de celle de Lamarck, on rencontre justement ici la troisième sorte de lois naturelles, qui consiste en la correction des fluctuations aléatoires à travers des coïncidences significatives ou finales d’événements reliés de façon acausale. … en rapport avec ceci, je voudrais maintenant soumettre à la discussion l’hypothèse que cette apparition globale de coïncidences porteuses de signification dans l’évolution biologique met en évidence un facteur psychique qui va de pair avec elles et qui apparaît comme émotion ou excitation portée à son degré le plus élevé. »[[Atmanspacher, Primas, Wertenschlag-Birkhäuser (1995), p.326.]]

Le cours fictif se termine avec une indication sur la synchronicité dans le sens de Jung :

« En outre, je pense ici aux coïncidences significatives non déclenchables par l’intention et qui se produisent uniquement dans des conditions particulières, auxquelles C.G. Jung a fait référence à plusieurs reprises. En appelant ces coïncidences des « synchronicités », il a établi une relation étrange entre ces phénomènes et le concept du temps. Dans la mesure où les phénomènes d’adaptation de l’évolution biologique distinguent visiblement une direction de la flèche du temps, il devrait sembler naturel de considérer tous les phénomènes présentés ici, ces phénomènes non-causaux liés à un sens ou à un but, comme de nature analogue. »[[Atmanspacher, Primas, Wertenschlag-Birkhäuser (1995), p.326.]]

Une conception du monde qui inclut des correspondances significatives conduit à une nouvelle évaluation du problème psychophysique. Les tentatives prudentes de Jung et Pauli indiquent quel chemin pourrait être emprunté. Il me semble qu’il n’est pas a priori impossible que ces idées soient intégrables dans une science de la nature élargie, dont la concrétisation reste pour le moment une question ouverte. Pauli a remarqué dans sa conférence La science et la pensée occidentale :

« Je n’oserai pas faire des prévisions sur l’avenir, averti que je suis par les échecs de tous les efforts prématurés d’unification de l’histoire de l’esprit. Je remarque seulement que, depuis le XVIIème siècle, les activités de l’esprit humain ont été divisées de façon stricte, mais que je conçois qu’une victoire des contraires, comprenant également la synthèse de la compréhension rationnelle et de l’expérience mystique de l’unité, est le mythe – déclaré ou non – de notre époque. »[[Pauli (1956) p.79.]]

8. La relation globale entre la psyché et la matière

La mécanique quantique est une théorie de la matière et, en tant que telle, elle ne donne pas de renseignements directs sur le problème de la relation entre la psyché et la matière. Mais le fait que la mécanique quantique soit une théorie holistique, cohérente et qui rassemble des concepts opposés, nous pousse à penser que les rapports de complémentarité intervenant ici puissent avoir une validité qui aille au-delà de la physique. Dans une lettre à Fierz du 10 août 1954, Pauli spécule :

« Il se pourrait qu’on ne traite pas « correctement » la matière – dans le sens où l’on considère la vie par exemple – quand on l’observe de la même façon que dans la mécanique quantique, c’est-à-dire en ignorant l’état intérieur de « l’observateur »… La célèbre incomplétude de la mécanique quantique (Einstein) est malgré tout effectivement présente, mais bien entendu on ne peut pas y remédier en revenant à la physique classique des champs (Ceci est seulement un « malentendu névrotique » d’Einstein). Il s’agit plutôt de considérer les relations globales entre « l’intérieur » et « l’extérieur » qui ne sont pas comprises dans la science actuelle (mais que l’alchimie a pressenties…). »[[Lettre de Pauli du 3 juin 1952 à Fierz. Citée d’après Laurikainen (1988), p.144-145. ]]

Dans son travail sur Kepler, Pauli a parlé d’un « ordre du cosmos qui échappe à notre arbitraire » où « non seulement l’âme de l’individu est soumise à un ordre pensé objectivement mais aussi à ce qui est reconnu dans la perception », et il dit à la fin de ce travail : « Le plus satisfaisant serait que le psychique et le physique se laissent interpréter comme deux aspects complémentaires de la même réalité. »[[Pauli (1952) p.111-112 et p.164.]] Cette unité qui est au-delà de la pluralité et qui transcende le temps et l’espace a été appelée par Jung l’unus mundus, en s’appuyant sur l’idée du « monde un » de l’alchimiste Gerhard Dorn (vers 1600)[[Cf. Jung (1968) « Mysterium Coniunctionis », Oeuvres complètes, tome 14/2, chap. VI.]]. De cette façon, la dualité de la psyché et la matière serait surmontée par un tiers plus vaste.

Si je ne me trompe pas, Descartes voyait la division entre la res cogitans et la res extensa comme inévitable. Un premier pas en ce qui concerne la vision de Pauli sur la complémentarité de la psyché et la matière, c’est l’idée que la séparation entre la psyché et la matière n’est pas a priori fixée, en analogie avec la séparation de Heisenberg. Le concept de la matière exige nécessairement une coupure de l’unus mundus mais ne fixe pas encore la position de cette coupure. On peut imaginer qu’en principe, il y ait beaucoup de coupures différentes permises. Les deux parties, provenant d’une telle brisure de symétrie de l’unus mundus, montreront dans une certaine mesure des aspects matériels et des aspects psychiques. Mais elles ne doivent pas être tout simplement identifiées aux concepts traditionnels de « psyché » et « matière » (ou « res cogitans » et « res extensa »). Des brisures de symétrie différentes de l’unus mundus pourraient conduire à des conceptions du monde complémentaires qui s’excluent mutuellement mais qui sont cohérentes logiquement parlant.

Si on considère la mécanique quantique comme étant en principe universellement valable pour le domaine matériel, alors elle serait d’abord une théorie globale de la matière qui a priori ne fait pas de distinction entre l’objet matériel et l’appareil matériel de mesure. La globalité non-brisée décrite par le symbolisme de la mécanique quantique est déterministe. Si on veut créer un lien entre cette théorie et des expériences physiques, alors on doit diviser la structure globale de la matière avec la coupure de Heisenberg. Cette coupure définit distinctement l’objet et l’appareil de mesure et conduit inévitablement à une description indéterministe irréductible qui permet uniquement l’obtention d’informations de nature statistique. Tout comme la coupure de Heisenberg élimine le déterminisme du monde quantique non-brisé, la brisure de symétrie de l’unus mundus pourrait détruire la correspondance du sens entre les deux parties nommées ensuite psychique et matérielle. Selon Pauli, ce qui suscite la correspondance du sens doit être :

« … placé au-delà de la différenciation entre « physique » et « psychique », de la même manière que les « Idées » de Platon ont un aspect de « concept » et un aspect de « force naturelle » (elles produisent des effets). J’accepte tout à fait d’appeler cette chose « l’organisateur et le régulateur des archétypes » ; il serait cependant inadmissible de définir ces archétypes comme des contenus psychiques. Les images intérieures (nommées « dominantes de l’inconscient collectif » par Jung) seraient plutôt la manifestation psychique des archétypes qui devraient aussi engendrer, produire et déterminer tout ce qui dans le comportement du monde objectal répond aux lois naturelles. Les lois naturelles du monde des objets seraient alors la manifestation physique des archétypes… Alors toute loi naturelle devrait avoir sa correspondance à l’intérieur de l’homme, et inversement, même si encore aujourd’hui, on ne peut pas toujours la voir directement »[[Lettre de Pauli du 7 janvier 1948 à Markus Fierz (Citée d’après von Meyenn (1993), lettre n°929, p.496-497).]].

Comme la partie matérielle de l’unus mundus est dans une grande mesure correctement décrite par la mécanique quantique, on peut donc supposer que les structures les plus fondamentales de cette théorie puissent avoir une validité qui va au-delà du domaine matériel. On pourrait surtout penser aux corrélations holistiques qui sont prédites par la mécanique quantique et qui sont largement vérifiées dans le domaine matériel.

9. Des corrélations holistiques dans le monde matériel

En général, les sous-systèmes d’un système physique quelconque sont – d’après la mécanique quantique – intriqués par des corrélations holistiques, qu’on ne peut pas expliquer à partir des interactions. C’est-à-dire : toute l’information concernant les états des sous-systèmes d’un système global et leurs interactions n’est pas suffisante pour déterminer l’état du système global. Ceci est également valable pour la situation où les sous-systèmes sont très éloignés et n’interagissent pas entre eux. Aujourd’hui, on appelle corrélations Einstein-Podolsky-Rosen les informations manquantes pour la détermination complète de l’état total du système.

C’était Einstein qui a signalé par la première fois cette situation étrange. Avec Boris Podolsky et Nathan Rosen, il a publié un article dans lequel il essayait de démontrer l’incomplétude de la mécanique quantique à l’aide d’une expérience de pensée[[Einstein, Podolsky et Rosen (1935). Einstein n’a jamais été satisfait de cet article. Le 19 juin 1935 il a écrit à Schrödinger: « Après beaucoup de discussions, cet article a été écrit par Podolsky pour des raisons de langage. Mais ce que je voulais vraiment n’est pas très bien sortie. L’essentiel était en quelque sorte noyé par de l’érudition » (Cité d’après Howard(1985) p.175). Pour une exposition plus claire cf. Einstein (1948). ]]. Dans cet article, il a montré qu’en général la description complète des sous-systèmes – d’un système quantique global – séparés dans l’espace ne peut pas entièrement décrire le comportement du système global. Ceci contredit le principe de séparabilité qu’Einstein avait soutenu pendant toute sa vie:

« … ce qu’on considère comme (« vraiment ») existant, doit être d’une certaine manière localisé dans l’espace-temps. C’est-à-dire ce qui est réel dans une partie A de l’espace doit (en théorie) « exister » indépendamment de ce qui est considéré comme réel dans une autre partie de l’espace, B. Si un système physique s’étend sur les parties de l’espace A et B alors ce qui se trouve en B doit avoir une existence indépendante de ce qui se trouve en A. Ce qui se trouve en B ne doit pas dépendre de ce qu’on est en train de mesurer en A ; à vrai dire, ce qui se trouve vraiment en B doit être indépendant de la mesure ou non-mesure en A. »[[Lettre de Einstein du 18 mars 1948 à Max Born. Citée d’après Born (1969), p.223.]]

Selon Einstein, la séparabilité manquante dans l’espace était la raison la plus importante pour dire que la mécanique quantique était une théorie incomplète[[Cf. Howard (1985), Howard (1990).]]. Il a écrit une lettre à Max Born le 3 mars 1947:

« Je ne peux pas te justifier mon attitude en physique de façon à ce que tu la trouves raisonnable. … c’est pour ça que je ne peux pas sérieusement croire en la mécanique quantique ; car elle est incompatible avec le principe que la physique doit présenter une réalité dans l’espace et le temps, sans effets « fantomatiques » de longue portée. »[[Born(1969), p.215.]]

Pour Einstein il était essentiel que les choses physiques soient organisées dans un continuum spatio-temporel :

« à un moment donné, ces choses prennent une existence indépendante les unes des autres dans la mesure où elles se trouvent dans des « parties différentes de l’espace ». La pensée physique dans le sens habituel serait impossible sans l’hypothèse de l’existence (« être comme ça ») indépendante des choses distantes dans l’espace, qui provient tout d’abord de notre façon de penser quotidienne. Sans une séparation nette je ne vois pas comment les lois physiques pourraient être formulées et testées. »[[Einstein (1948), p.321.]]

Entre-temps, toutes ces prévisions contre-intuitives ont été vérifiées au-delà de tout doute raisonnable. D’un point de vue conceptuel, une déduction importante a été faite par Erwin Schrödinger, peu après l’apparition de l’article de Einstein, Podolsky et Rosen: « Le tout est dans un état déterminé, mais pas pour ses parties en elles-mêmes. »[[Schrödinger (1935a), p.827.]] Dans ce cas, on dit d’après Schrödinger que les deux sous-systèmes sont intriqués les uns avec les autres, c’est-à-dire que les sous-systèmes intriqués n’existent pas en tant qu’individus. Les corrélations acausales qui sont entre les deux sous-systèmes intriqués ont été analysées par Schrödinger dans deux articles qui n’ont pas reçu beaucoup d’attention[[Schrödinger (1935b); Schrödinger (1936). L’hypothèse énoncée par Schrödinger (1936) que la non-séparabilité est produite par une application de la mécanique quantique non-relativiste au-delà de son domaine de validité ne s’est pas confirmée ni théoriquement ni expérimentalement.]]. Aujourd’hui on parle de systèmes quantiques intriqués par des corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen même si Einstein, Podolsky et Rosen n’ont pas parlé de corrélations dans leur article.

Pour les systèmes quantiques interagissants, il faut nécessairement prendre en considération les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen pour faire concorder la théorie avec l’expérience et ceci n’a jamais été l’objet de discussion depuis le début de la mécanique quantique[[Par exemple les états de chaque équation à plusieurs électrons sont toujours en corrélation d’Einstein-Podolsky-Rosen à cause du principe de Pauli, car ce principe exige que la fonction d’état soit asymétrique. La mécanique quantique donne ainsi comme résultat l’énergie E= -2,9037243771 unités atomiques pour l’état fondamental d’un atome isolé d’hélium (Schwartz, 1962). Si on néglige les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen dans le calcul de l’état fondamental électronique, alors on obtient pour l’énergie la valeur de E= -2,86168 unités atomiques (Roothaan, Sachs et Weiss 1960). Ceci est un résultat absolument inacceptable pour la spectroscopie atomique.]]. Ces corrélations sont entrées dans le débat philosophique depuis deux décennies seulement, après avoir été retrouvées expérimentalement, et cela même dans des sous-systèmes très éloignés et sans interaction, ce qui est en parfaite concordance avec les prévisions théoriques [[Cf. Clauser et Shimony (1978), Kamefuchi (1984), Namiki (1987), Ballentine (1988), Duncan et Kleinpoppen (1988) pour des revues détaillées sur les différentes expériences.]]. Selon la mécanique quantique les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen ne peuvent être exprimées par des interactions et elles ne permettent pas de transmission d’information. La mécanique quantique est une théorie d’action à proximité. Elle ne conteste pas le postulat d’Einstein qui fait reposer toute la physique sur des actions locales se propageant au plus à la vitesse de la lumière. Mais la structure locale des interactions n’implique nullement la séparabilité du monde matériel.

John Bell a introduit par la première fois en 1964 une mesure de corrélation expérimentalement vérifiable qui permet de tester empiriquement des hypothèses de séparabilité plausibles, indépendamment des raisonnements d’Einstein sur la mécanique quantique[[Bell (1964).]]. Les suppositions d’Einstein ont été utilisées par Bell pour montrer qu’elles conduisent à une évidente contradiction par rapport aux prédictions de la mécanique quantique vérifiables par l’expérience.

Le théorème de Bell est un résultat très simple mais profond qui met en évidence certains aspects holistiques du monde matériel. Il a été inspiré par les raisonnements d’Einstein, Podolsky et Rosen, mais il peut être formulé indépendamment de toute théorie physique particulière. Le résultat peut être formulé à travers différentes versions, mais il concerne toujours une inégalité avec des fonctions de corrélations mesurables expérimentalement. Aujourd’hui, on les appelle tout simplement les « inégalités de Bell ». Si une expérience montre une violation d’une inégalité de Bell – qui a été déduite à partir des suppositions théoriques d’Einstein – alors cela prouve l’existence des corrélations indépendamment de raisonnements de la mécanique quantique. Il existe aujourd’hui toute une série d’expériences qui ont incontestablement vérifié la violation des inégalités de Bell chez des systèmes sans interaction spatialement séparés.[[Les expériences réalisées de 1978 à 1982 par le groupe d’Alain Aspect à Paris sont toujours considérées comme représentatives. Cf. Aspect, Grangier et Roger (1982); Aspect, Dalibard et Roger (1982); Aspect et Grangier (1984).]]

Les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen sont importantes pour la philosophie car elles montrent qu’en général les phénomènes matériels ne sont ni séparables ni locaux. L’existence de phénomènes holistiques est intimement liée à l’existence de grandeurs incompatibles[[L’affirmation de Stöckler (1985), p.31: « La non-permutabilité des opérateurs et les propriétés du produit tensoriel responsables des corrélations sont mutuellement indépendantes » est fausse.]]. La méthode la plus simple pour voir cette relation est de généraliser algébriquement les inégalités de Bell. Pour cela on a besoin d’une série de raisonnements formels schématisés dans l’annexe (non traduite). On peut formuler le résultat le plus important sous forme condensée :

Des corrélations holistiques entre deux sous-systèmes S1 et S2 peuvent exister si et seulement s’il existe des propriétés incompatibles en S1 tout comme en S2.

En particulier s’il s’agit de deux systèmes matériels quantiques S1 et S2, alors les corrélations holistiques entre eux seront justement les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen. Comme dans la formulation généralisée des corrélations holistiques, il y a plusieurs restrictions supprimées (importantes pour leur aspect quantique), on se demande si un des deux systèmes pourrait être non-matériel. La condition essentielle est seulement qu’on puisse attribuer à ce système des propriétés bien définies. Selon Jung, la réalité objective exige :

« un modèle mathématique basé sur des facteurs invisibles et incompréhensibles. La psychologie ne peut échapper à la validité universelle de ce fait, d’autant moins que la psyché observatrice est déjà intégrée dans la formulation d’une réalité objective ».[[Theoretische Überlegungen zum Wesen des Psychischen, Jung (1971b), Oeuvres complètes, tome 8, parag.417.]]

Je ne connais pas d’approches à partir desquelles on puisse codifier le « mental » (quoi qu’on puisse entendre par là) de façon telle qu’on puisse tester directement une inégalité de Bell dans le sens indiqué plus haut. Il me paraît plus prometteur de faire une mise au point des propriétés structurelles d’un système contenant deux sous-systèmes cinématiquement indépendants S1 et S2, où S1 serai un système matériel et S2 un système non-matériel.

10. Phénomènes synchronistiques et corrélations holistiques

Des corrélations acausales et non-locales apparaissent dans les phénomènes synchronistiques, tout comme dans les expériences avec des systèmes physiques intriqués. Cependant il y a des différences importantes entre les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen de la mécanique quantique et les correspondances de sens synchronistiques.

Une de ces différences consiste en le fait que seules les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen sont expérimentalement reproductibles. Cela veut dire que c’est uniquement avec les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen qu’on peut faire des expériences de laboratoire et obtenir des résultats statistiquement reproductibles. En plus, les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen sont un phénomène purement physique, donc on ne peut pas parler d’un facteur numineux. Pour cette raison, les phénomènes synchronistiques ne peuvent pas être interprétés par la mécanique quantique. Malgré ceci des frappantes similitudes restent entre les phénomènes synchronistiques et les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen – purement physiques – qui suggèrent l’application de l’inégalité de Bell généralisée. Nommons par « S » le système global qui contient la psyché et la matière et supposons que la matière peut être conceptualisé par le sous-système S1 et la psyché de même par le sous-système S2. Alors on se pose la question de la dépendance entre les propriétés physiques et psychiques. Pauli s’est exprimé sur la « compatibilité des concepts psychologiques comme la vie et l’âme en supposant la validité sans exception des lois physiques » dans un manuscrit non-publié, Des exemples modernes de la physique « d’arrière plan »[[Publié dans Meier (1992) p.176-192.]], de juin 1948:

« Comme la conception déterministe a été abandonnée en physique, il n’y a pas non plus de raison de maintenir encore une conception vitaliste, selon laquelle l’âme pourrait ou devrait « violer » les lois physiques. Il me semble plutôt qu’une partie essentielle de « l’harmonie universelle » consiste à ce que les lois physiques laissent juste une marge pour une autre façon d’observer et de considérer les choses (la biologie et la psychologie) de manière à que l’âme puisse atteindre tous ses « objectifs » sans violer des lois physiques ».[[Des exemples modernes de la physique « d’arrière-plan », Publié dans Meier (1992) p.188.]]

L’hypothèse d’une compatibilité de toutes les propriétés physiques avec toutes les propriétés psychiques garantit l’affirmation, empiriquement bien fondée, que les phénomènes psychiques ne violent jamais les lois physiques cinématiques et vérifie ainsi l’autonomie des domaines physique et psychique exigée par Pauli. Avec cela les conditions formelles préalables pour la validité de l’inégalité de Bell généralisée sont remplies. Sous ces conditions, il s’ensuit que les corrélations holistiques entre la matière et la psyché sont justement possibles quand il y a des propriétés incompatibles dans le domaine matériel, tout comme dans le domaine psychique. Les travaux de Jung mettent à disposition d’abondantes recherches empiriques sur les propriétés psychiques incompatibles. Pauli écrit même, dans un examen qui compare les conceptions sur l’inconscient dans les différents domaines de la connaissance, dédié au 80ème anniversaire de Jung :

« La « correspondance », les « paires de contraires complémentaires » et la « globalité » apparaissent indépendamment dans la physique et dans les conceptions de l’inconscient ».[[Pauli (1954b), p.300.]]

Les paires de contraires complémentaires discutées par Pauli dans son manuscrit Des exemples modernes de la physique « d’arrière-plan » s’intègrent de façon surprenante dans un modèle dans lequel la matière et la psyché sont des sous-systèmes compris dans un système global. Pauli plaide pour la compatibilité du physique et psychique, mais il attend une symétrie réflective des rapports de complémentarité à l’intérieur de la sphère matérielle et de la sphère psychique :

« D’après la psychologie, les lois physiques semblent être une « projection » de constellations d’idées archétypiques, pendant que, vu de l’extérieur, les événements microphysiques sont également à interpréter comme archétypiques et leur « reflet » dans le psychisme est une condition nécessaire pour pouvoir les percevoir. En résumé on peut interpréter tout ce qu’on a présenté de façon à ce que l’inconscient produise spontanément une image d’une paire de contraires complémentaires sur l’autre… « .[[Des exemples modernes de la physique « d’arrière-plan », Publié dans Meier (1992) p.187-188.]]

« D’après la conception exposée ici, la quaternité ne serait pas mise en valeur à l’intérieur de la physique, mais dans la mesure où la paire de contraires de la physique se trouve à nouveau reflétée dans le domaine psychique, on attribue une quaternité à la globalité composée de la physique et de la psychologie. Il me semble possible qu’il y ait des phénomènes où la quaternité entière joue un rôle essentiel et pas seulement les paires de contraires physique et psychique de leur côté. Dans des tels phénomènes, on ne pourrait plus définir judicieusement des différences conceptuelles comme « physique » et « psychique »… »[[Des exemples modernes de la physique « d’arrière-plan », Publié dans Meier (1992) p.188.]]

Cette quaternité correspond exactement à la situation holistique avec l’intrication des sous-systèmes S1 et S2, caractérisée par l’existence de paires compatibles aux propriétés incompatibles. Des corrélations holistiques entre le domaine physique S1 et le domaine psychique S2 rendraient possibles les relations psychophysiques acausales non-locales qui ne sont pas produites par des interactions.

11. Les corrélations holistiques sont-elles rares ?

Dans la vie quotidienne, on n’observe que rarement les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen. L’existence de corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen n’a pas besoin d’explication d’un point de vue théorique, mais comment expliquer leur absence dans la vie quotidienne ? La question de l’existence n’a bien entendu rien à voir avec la question de la mise en évidence. Cependant on affirme souvent que les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen sont rares. Ainsi, Jürgen Audretsch écrit par exemple :

« Deux photons quelconques ne montrent, à proprement parler, aucune corrélation EPR. On a besoin de beaucoup d’habileté pour préparer un état à deux photons – comme celui décrit plus haut – dans une expérience. En effet, ceci n’a été possible de façon convaincante que dans ces dernières années. Pour cette raison on n’attend généralement aucun comportement holistique entre deux objets macroscopiques quelconques ».[[Audretsch (1990), p.51-52.]]

Ces affirmations ne sont pas pertinentes. Il est certes vrai qu’on a besoin de grandes aptitudes d’expérimentateur pour mettre quantitativement en évidence des corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen entre deux systèmes sans interaction spatialement séparés. Mais il n’est pas difficile de produire des états en corrélation d’Einstein-Podolsky-Rosen. Selon la mécanique quantique, l’existence de corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen est générique[[C’est-à-dire : La plupart des états d’un système quantique composé ne sont pas de produits d’états, donc ils sont en corrélation d’Einstein-Podolsky-Rosen. Mais il y a toujours des produits d’états, donc des états non-intriqués. Cependant les produits d’états ont une mesure nulle dans l’ensemble de tous les états possibles d’un système composé.]]. C’est-à-dire : généralement – mais pas toujours – les systèmes physiques sont intriqués et ceci indépendamment de leur distance ou de leur interaction. La mécanique quantique moderne peut tout à fait expliquer pourquoi les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen partout présentes sont habituellement imperceptibles dans la vie quotidienne. Les objets du quotidien sont la plupart du temps caractérisés quantiquement par des modes collectifs, lesquels peuvent être décrits par un ensemble de propriétés compatibles. D’après l’inégalité de Bell généralisée, il ne peut pas avoir de corrélations holistiques entre de tels modes collectifs.

Si on considère le concept de Jung d’un coordinateur des significations entre la psyché et la matière comme étant théoriquement acceptable, alors, tout comme avec les corrélations d’Einstein-Podolsky-Rosen, on se pose la question: pourquoi ne voit-on que très rarement ces corrélations dans la vie quotidienne ? Selon la conception originelle de Jung c’est une caractéristique de la synchronicité de n’apparaître que sporadiquement. De plus, les effets synchronistiques émanent uniquement d’un archétype constellé (c’est-à-dire activé), mais pas d’un archétype latent[[Cf. la lettre de Jung de décembre 1956 à Pauli. Meier(1992), lettre Nr.71, p.153.]]. De tels phénomènes se produisent « surtout dans des situations émotionnelles comme lors d’un décès, d’une maladie, d’un accident, etc. … La plupart des phénomènes synchronistiques se produisent donc dans des situations archétypiques, en rapport par exemple avec le danger, le risque, des mouvements funestes, etc. »[[Citation d’un lettre de Jung de décembre 1956 à Pauli. Meier (1992), lettre n°71, p.153.]]

Cependant Jung a remarqué dans de notes en bas de page de son article La synchronicité comme un principe de relations acausales :

« Je dois cependant souligner à nouveau la possibilité que le rapport entre le corps et l’âme puisse être compris comme une relation synchronistique. Ceci est uniquement une supposition mais, si elle se confirme, alors ma conception actuelle qui considère la synchronicité comme un phénomène rare devrait être corrigée. »[[Jung (1952a), p.85-86, note en bas de page n°7 (reproduite dans Jung (1971b), Oeuvres complètes, tome 8, parag.928, note en bas de page 125).]]

« Etant donné que la synchronicité n’est pas uniquement un phénomène psychophysique, mais qu’il peut également se produire sans intervention de la psyché humaine, je voudrais mentionner ici que dans ce cas on devrait parler d’une identité ou d’une conformité, plutôt que d’une signification ».[[Jung (1952a), p.87, note en bas de page n°1 (reproduite en Jung (1971b), Oeuvres complètes, tome 8, parag.932, note en bas de page n°126).]]

La proposition de considérer la possibilité de corrélations holistiques dans le rapport entre le physique et le psychique a bien entendu besoin d’une mise au point plus précise. Par exemple, la question de savoir s’il est possible (et alors, de quelle manière ?) de produire et de détruire des corrélations psychophysiques, reste entièrement sans réponse. Pour éviter des malentendus, je souligne que les corrélations holistiques discutées ici sont peut-être génériques mais sûrement pas universelles. En effet, il existe en tout cas des états non-corrélés. Pour cette raison, les corrélations psychophysiques holistiques n’impliquent nullement que la réalité soit animée sans interruption.

12. Annexe

Se référer à l’article original.

13. Remerciements

Je voudrais remercier Harald Atmanspacher pour sa lecture critique de l’ébauche de cet article et ses suggestions sagaces.

14. Bibliographie

Aspect, A., Dalibard, J., et Roger, G. (1982). Experimental test of Bell’s inequalities using time-varying analyzers. Phys. Rev. Lett., 49, 1804-1807.

Aspect, A., et Grangier, P. (1984). Experiments on Einstein-Podolsky-Rosentype correlations with pairs of visible photons. In Foundations of Quantum Mechanics in the Light of New Technology, ed. by S. Kamefuchi. Tokyo : Physical Society of Japan, pp.214-224.

Aspect, A., Grangier, P., and Roger, G. (1982). Experimental realiszation of Einstein-Podolsky-Rosen-Bohm Gedankenexperiment. A new violation of Bell’s inequalities. Phys. Rev. Lett., 49, 91-94.

Atmanspacher, H., Primas, H., et Wertenschlag-Birkhäuser, E., dir. (1995). Der Pauli-Jung-Dialog und seine Bedeutung für die moderne Wissenschaft. Berlin : Springer.

Audretsch, J. (1990). Eine andere Wirklichkeit. Zur Struktur der Quantenmechanik und ihrer Interpretation. In Wieviele Leben hat Schrödingers Katze ?, dir. par J. Audretsch et K. Mainzer. Mannheim : Bibliographisches Institut, p.15-61.

Ballentine, L.E., ed. (1988). Foundations of Quantum Mechanics since the Bell Inequalities. Selected Reprints. College Park : American Association of Physics Teachers.

Bell, J. (1964). On the Einstein Podolsky Rosen paradox. Physics (Long Island City, N.Y.), 1, 195-200.

Born, M. (1969). Albert Einstein, Hedwig und Max Born, Briefwechsel 1916-1955. Kommentiert von Max Born. München : Nymphenburger Verlagshandlung.

Carnap, R. (1945). The two concepts of probability. Philos. And Phenomenol. Res., 5, 513-532.

Clauser, J.F., et Shimony, A. (1978). Bell’s theorem : experimental tests and implications. Rep. Progr. Phys., 41, 1881-1927.

Cournot, A.A. (1843). Exposition de la théorie des chances et des probabilités. Paris.

Crick, F. (1983). Das Leben selbst. München : Piper.

Duncan, A.J., et Kleinpoppen, H. (1988). The experimental investigation of the Einstein-Podolsky-Rosen question and Bell’s inequality. In Quantum Mechanics Versus Local Realism. The Einstein-Podolsky-Rosen Paradox, ed. par F. Selleri. New York : Plenum Press, pp.175-218.

Eigen, M. (1987). Stufen zum Leben. Die frühe Evolution im Visier der Molekularbiologie. München : Piper.

Einstein, A. (1948). Quanten-Mechanik und Wirklichkeit. Dialectica, 2, 320-324.

Einstein, A., Podolsky, B., et Rosen, N. (1935). Can quantum-mechanical description of physical reality be considered complete ? Phys. Rev., 47, 777-780.

Elsasser, W.M. (1958). The Physical Foundation of Biology. London : Pergamon Press.

Elsasser, W.M. (1966). Atom and Organism. A New Approach to Theoretical Biology. Princeton : Princeton University Press.

Enz, C.P. (1985). Wolfgang Pauli, physicist and philosopher. In Symposium on the Foundations of Modern Physics. 50 Years of the Einstein-Podolsky-Rosen Gedankenexperiment, ed. par P. Lahti et P. Mittelstaedt. Singapore : World Scientific, pp.241-255.

Feller, W. (1950). An Introduction to Probability Theory and its Applications. Volume One. New York : Wiley.

Fierz, M. (1975). Die Bedeutung der Jungschen Psychologie für die exakten Wissenschaften. Olten : Walter-Verlag, p.88-103.

Fierz, M. (1988). Naturerklärung und Psyche. Ein Kommentar zu dem Buch von C.G. Jung und W. Pauli (1979). In Naturwissenschaft und Geschichte. Vortäge und Aufsätze, dir. von M. Fierz. Basel : Birkhäuser.

Howard, D. (1985). Einstein on locality and separability. Stud. Hist. Phil. Sci., 16, 171-201.

Howard, D. (1990). « Nicht sein kann was nicht sein darf », or the prehistory of EPR, 1909-1935 : Einstein’s early worries about the quantum mechanics of composite systems. In Sixty-Two Years of Uncertainty : Historical, Philosophical and Physical Inquiries into the Foundations of Quantum Mechanics, ed. par A.I. Miller. New York : Plenum, pp.61-111.

Jung, C.G. (1935). Über die Archetypen des kollektiven Unbewussten. In Eranos-Jahrbuch 1934, Band II, dir. par O. Fröbe-Kapteyn. Zürich : Rhein-Verlag, p.179-229.

Jung, C.G. (1936). Traumsymbole des Individuationsprozesses. In Eranos-Jahrbuch 1935, Band III, dir. par O. Fröbe-Kapteyn. Zürich : Rhein-Verlag, p.13-133.

Jung, C.G. (1947). Der Geist der Psychologie. In Eranos-Jahrbuch 1946, Band XIV, dir. par O. Fröbe-Kapteyn. Zürich : Rhein-Verlag, p.385-490.

Jung, C.G. (1952a). Synchronizität als ein Prinzip akausaler Zusammenhänge. In Naturerklärung und Psyche, dir par C.G. Jung et W. Pauli. Zürich : Rascher Verlag, p.1-107.

Jung, C.G. (1952b). Psychologie und Alchemie. Zürich : Rascher Verlag, 2. Auflage.

Jung, C.G. (1961). Ein Brief zur Frage der Synchronizität. Z. für Parapsychologie und Grenzgebiete der Psychologie, 5, 1-9.

Jung, C.G. (1963). Gesammelte Werke. Elfter Band. Zur Parapsychologie westlicher und östlicher Religion. Zürich : Rascher Verlag.

Jung, C.G. (1968). Gesammelte Werke. Vierzehnter Band. Mysterium Conjunctionis. Untersuchung über die Trennung und Zusammensetzung der seelischen Gegensätze in der Alchemie. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1971a). Gesammelte Werke. Erster Band. Psychiatrische Studien. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1971b). Gesammelte Werke. Achter Band. Die Dynamik des Umbewussten. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1971c). Gesammelte Werke. Fünfzehnter Band. Über das Phänomen des Geistes in Kunst und Wissenschaft. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1972a). Gesammelte Werke. Zwölfter Band. Psychologie und Alchemie. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1972b). Briefe. Zweiter Band. 1946-1955. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1973). Briefe. Dritter Band. 1956-1961. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1976). Gesammelte Werke. Neunter Band. Erster Halbband. Die Archetypen und das kollektive Unbewusste. Olten : Walter-Verlag.

Jung, C.G. (1977). The Collected Works of C.G.Jung. Volume 18. The Symbolic Life. London : Routledge and Kegan Paul.

Jung. C.G. (1981). Gesammelte Werke. Achtzehnter Band. Das symbolische Leben. Verschiedene Schriften. In zwei Halbbänden. Olten : Walter-Verlag.

Kamefuchi, S., ed. (1984). Foundations of Quantum Mechanics in the Light of New Technology. Tokyo : Physical Society of Japan.

Kolmogoroff, A.N. (1933). Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung. Berlin : Springer.

Kolmogoroff, A.N. (1963). On tables of random numbers. Sankhya, Indian J. of Statistics A, 25, 369-376.

Kolmogoroff, A.N. (1968). Three approaches to the quantitative definition of information. Int. J. of Computer Mathematics. 2, 157-168. Russian original in : Problemy Peredachy Informatsii, 1, 3-11 (1965).

Landau, L.J. (1987). Experimental tests of general quantum theories. Letters in Mathematical Physics, 14, 33-40.

Laurikainen, K.V. (1988). Beyond the Atom. The Philosophical Thought of Wolgang Pauli. Berlin : Springre.

Mayr, E. (1979). Evolution und die Vielfalt des Lebens. Berlin : Springer.

Meier, C.A., dir. (1992). Wolfang Pauli und C.G. Jung. Ein Briefwechsel 1932-1958. Berlin : Springer.

Meyenn, K. von (1985). Wolfang Pauli. Wissenschaftlicher Briefwechsel, Band II : 1930-1939. Berlin : Springer.

Meyenn, K. von (1993). Wolfang Pauli. Wissenschaftlicher Briefwechsel, Band III : 1940-1949. Berlin : Springer.

Monod, J. (1970). Le Hasard et la Nécessité. Paris : Editions du Seuil.

Moser, F. (1950). Spuk. Irrglaube oder Wahrglaube ? 1. Band : Materialsammlung. Baden bei Zürich : Gyr-Verlag.

Namiki, M., ed. (1987). Foundations of Quantum Mechanics in the Light of New Technology. Tokyo : Physical Society of Japan.

Pauli, W. (1952). Der Einfluss archetypischer Vorstellungen auf die Bildung naturwissenschaftlicher Theorien bei Kepler. In Naturerklärung und Psyche, dir par C.G. Jung et W. Pauli. Zürich : Rascher Verlag, p.109-194.

Pauli, W. (1954a). Wahrscheinlichkeit und Physik. Dialectica, 8, 112-124.

Pauli, W. (1954b). Naturwissenschaftliche und erkenntnistheoretische Aspekte der Ideen vom Unbewussten. Dialectica, 8, 283-301.

Pauli, W. (1956). Die Wissenschaft und das abendländische Denken. In Europa – Erbe und Aufgabe. Internationaler Gelhrtenkongress. Mainz 1955, dir. par M. Göhring. Wiesbaden : Steiner, p.71-79.

Schnorr, C.P. (1971). Zufälligkeit und Wahrscheinlichkeit. Eine Algorithmsiche Begründung der Wahrscheinlichkeitstheorie. Lecture Notes in Mathematics, Vol. 218.

Schrödinger, E. (1935a). Die gegenwärtige Situation in der Quantenmechanik. Naturwiss., 23, 807-812, 823-828, 844-849.

Schrödinger, E. (1935b). Discussion of probability relations between separated systems. Proc. Cambr. Phil. Soc., 31, 555-563.

Schrödinger, E. (1936). Probability relations between separated systems. Proc. Cambr. Phil. Soc. 34, 29-33.

Venn, J. (1866). The Logic of Chance. London. An unaltered reprint of the third edition of 1888 has been published by Chelsea, New York 1962.

Whittaker, E.T. (1943). Chance, freewill and necessity in the scientific conception of the universe. Proc. Phys. Soc., 55, 459-471.


Summary

Synchronicity and Chance. – Synchronistic phenomena in the sense of Carl Gustav Jung are characterized by a coincidence of an objective physcal process and a meaningful psychic event without any apparent mechanistic causal connection. Jung’s recently published correspondence with the theoretical physicist Wolfgang Pauli reveals that Pauli’s proposals were of vital importance for the later development of Jung’s concept of synchronicity. Some problems related to causality, repeatability, chance, probability, and biological evolution are discussed briefly.
Pauli’s ideas about a conceivable complementarity between matte rand psyche are reconsidered form the viewpoint of modern quantum theory. Since quantum theory adequately describes the material part of the unus mundus to a large extent, it is tempting to speculate whether the most basic structures of quantum theory are applicable even veyond the material domain. Under this presumption it is demonstrated that holistic correlations between matte rand psyche are feasible if and only if incompatible properties exist within both the material and the psychic domain.


Article original :
« Synchronizität und Zufall », H. Primäs, Zeitschrift für Parapsychologie und Grenzgebiete der Psychologie, 38, n° 1/2, 1996, p.61-91.

L’IMI remercie Hans Primäs pour son aimable autorisation.

Traduit par Joaquin Vonhoff.