Home
Les personnifications métapsychiques

Les personnifications métapsychiques

Dans cet article extrait de la Revue Métapsychique (Juil-Août 1926), issu d’une conférence faite à l’IMI le 14 février 1926, le journaliste René Sudre expose une théorie des Etats Modifiés de Conscience avant la lettre. Marquant bien la différence d’interprétations entre les spirites et les métapsychistes, il présente la démarche scientifique de ces derniers.

La Méthode de Descartes en métapsychique

Les phénomènes de personnification

La prosopopèse comme caractère commun

La nature de la personnification métapsychique

Conclusion

 

La Méthode de Descartes en métapsychique

Quand on aborde une science aussi complexe et aussi troublante que la métapsychique, il est indispensable de s’armer de raison et de logique. Ce sont justement les qualités de l’esprit français et presque tous nos philosophes portent cette marque. Entre tous ces philosophes il en est un qui brille par la raison, c’est lui qui a créé la Méthode, c’est lui le Père de la science moderne, c’est Descartes.
Avant de recevoir l’initiation métapsychique, il est nécessaire de le lire et de le relire ; il faut faire une retraite cartésienne. Je me permettrai de placer cette causerie sous son invocation et de rappeler les préceptes qu’un métapsychiste devrait savoir par cœur, qui devraient être inscrits en lettres d’or dans les laboratoires métapsychiques :
« Le premier, de ne jamais recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle, c’est-à-dire d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute.
« Le second, de diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre.
« La troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés jusqu’à la connaissance des plus composés ; et supputant même de l’ordre entre ceux qui ne précèdent point naturellement les uns les autres.
« Et le dernier de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre. »

Je n’ai pas rappelé ces immortels principes pour faire un exorde d’une haute générosité, mais parce qu’ils vont trouver une application immédiate aux phénomènes que nous allons étudier et qui sont extrêmement importants pour la compréhension de la personnalité humaine.

 

Les phénomènes de personnification

Les phénomènes de personnification, que j’appelle phénomènes de prosopopèse parce qu’une langue scientifique doit être tirée du grec plutôt que du latin, sont des phénomènes psychologiques où apparaît chez le même individu une personnalité nouvelle.
Voici des exemples que nous choisirons en appliquant le troisième principe de la Méthode, « commencer par les objets les plus simples pour monter jusqu’à la connaissance des plus composés » :
1) Ecriture inconsciente (improprement appelée écriture automatique). C’est un phénomène très important et très étudié, la clé de la prosopopèse. Il existe chez les hystériques et chez les sujets sains.
2) Tables parlantes. – On connaît l’explication de Chevreul par les mouvements inconscients. En superposant des cartons sous les doigts, Faraday prouva que nous poussons bien la table sans le savoir. Il y a transmission inconsciente d’une pensée formulée par un des assistants.
3) Télékinésie. – Cas des coups frappés dans les murs, sans contact. Ce sont des coups intelligents. On pose des questions et il y est répondu par une personnalité qui semble bien étrangère aux personnes présentes.
4) Matérialisation. – C’est le phénomène le plus complexe. Cette fois la personnalité étrangère n’est plus invisible, elle s’habille de substance, elle réalise la parole biblique : « Et l’esprit s’est fait chair ».
Voici donc, du simple au complexe, quatre cas de prosopopèse et nous aurions pu citer bien des cas intermédiaires. Tous ces phénomènes ont quelque chose en commun, de caractéristique, l’apparition d’une personnalité nouvelle, liée, bien entendu, à la présence d’un ou plusieurs survivants.

 

La prosopopèse comme caractère commun

Pour étudier ce caractère commun, j’appliquerai le second principe cartésien : Diviser les difficultés. Je ferai abstraction du caractère métapsychique proprement dit, c’est-à-dire de la métagnomie, de la télergie, de la téléplastie. Je ne considérerai que le fait de prosopopèse.
Ai-je le droit de faire cette séparation ? Parfaitement, parce que l’opération que je vais exécuter par la pensée m’est souvent donnée dans la réalité des choses. Le phénomène métapsychique proprement dit existe à l’état pur, sans prosopopèse : on voit le passé ou l’avenir d’un homme, on lit à travers les corps opaques, on découvre des sources cachées, sans que les « esprits » interviennent.
D’autre part, la prosopopèse existe aussi à l’état pur sans accompagnement de phénomènes surnormaux. C’est même cette seule forme que les hypnotiseurs et les psychiatres connaissent. Ils nomment le phénomène division de la personnalité, objectivation des types, etc.
Si maintenant nous combinons les deux ordres de phénomènes, nous avons la personnification avec connaissance surnormale, nous avons le phénomène spirite dans son intégralité.
Je n’entrerai pas dans le détail de cette démonstration qui est en dehors de mon sujet. Je me borne à attirer l’attention sur l’importance de cette découverte pour la théorie métapsychique. Jusqu’au XVIIIe siècle on a cru que l’eau était formée d’oxygène et d’hydrogène. Sa démonstration fut irréfutable parce qu’il fait d’abord l’analyse puis la synthèse. Le métapsychiste moderne n’a qu’à calquer exactement la méthode pour trouver la nature de la personnification métapsychique.

 

La nature de la personnification métapsychique

Je reconnais qu’à première vue, ces phénomènes sont très impressionnants. Quand votre main écrit sans que votre volonté y prenne part et même malgré votre volonté, des choses que vous ne pensez pas et souvent que vous ne connaissez pas, comment ne pas croire que c’est vraiment un autre qui est en vous, qui vous possède et qui sait des choses que vous ne savez pas ?
Eh bien, je reprends ma comparaison de tout à l’heure : Qui dirait au profane que ce sont deux gaz impalpables, impondérables, dont l’un est comburant, l’autre combustible, qui dirait que ces deux gaz vont produire un beau liquide indispensable à la vie universelle qui s’appelle l’eau ?
Le rôle de la science est justement de réagir contre nos impressions premières. Elles sont presque toujours fausses, au moins quand il s’agit de la nature des choses. Nos sens nous disent que le soleil tourne autour de la terre et que sa lumière est une chose simple comme l’eau de tout à l’heure. Or, vous savez que c’est faux. La science rectifie sans cesse notre vision du monde et remplace les apparences par des lois.
La personnification sans caractère métapsychique se rencontre dans divers états psychologiques normaux : somnambulisme, hypnotisme, hystérie, et la psychiatrie la considère comme un trouble plus ou moins grave provenant de la désagrégation de la personnalité.
1° Proposopèse spontanée. – Cas Félida, du Dr Azam . – Cas Louis-V, de Bourru et Burot. – Cas Beauchamp, de Morton Prince. – Cas Doris Fischer, de W.-F. Prince.
2° Prosopopèse provoquée. – Braid avait remarqué que le sommeil nerveux provoqué était identique au sommeil nerveux naturel, c’est dire que l’hypnose est la même chose que le somnambulisme. Elle présente les mêmes altérations de la mémoire.
1° Prosopopèse spontanée dans l’hypnotisme. Cas de Pitres.
2° Prosopopèse provoquée aboutissant à l’« objectivation es types » de Richet. Les sujets incarnent avec une vérité criante tous les types qu’on lui suggère. L’imitation s’étend à l’écriture. Evidemment ce n’était pas des types aussi solides que ceux de Mlle Beauchamp. Les expériences étaient trop courtes pour entraîner la modification du caractère, mais on pouvait donner à ces types de la consistance par la répétition.
Dans les phénomènes spontanés, il existe une cause profonde, peut-être physique, sur laquelle Freud nous a beaucoup éclairés en nous montrant le rôle du refoulement de certains complexes affectifs dans l’inconscient. Sous l’influence d’un sentiment puissant : honte, peur, amour-propre, nous enfouissons en nous certains groupes d’idées qui, ne pouvant faire corps avec notre personnalité consciente, s’isolent et sont l’amorce de personnalités nouvelles. Dans la vie courante nous entendons dire : il y a deux hommes en moi. Il y en a quelquefois plus, trois ou quatre qui correspondent à des tendances incompatibles qui ne s’unifient pas. Les changements de personnalité viennent de là.
En se bornant aux phénomènes de désagrégation psychologique, il y a des groupes qui s’isolent de la conscience et auxquels il suffit un jour donner un nom pour créer une personnalité nouvelle. Un bel exemple est donné par Pierre Janet, dans son Automatisme psychologique. La suggestion est ajoutée à un état de choses naturel, à une division de conscience pour constituer une personnalité qui, psychologiquement, ne demande qu’à vivre. On n’a qu’à l’entretenir.
Un ensemble important de phénomènes va nous montrer encore mieux l’identité profonde de la prosopopèse provoquée et de la prosopopèse spontanée, ce sont les phénomènes de possession.
Tout le monde connaît ces hystériques qui pendant leur crise, blasphémaient, insultaient les prêtres, en se donnant comme un démon, les exorcistes fortifiaient ces personnalités démoniaques en les considérant comme réelles et en s’entretenant avec elles : ils achevaient la prosopopèse par la suggestion.
A côté de ces cas spontanés, il y avait les cas provoqués par imitation. On connaît les nombreuses épidémies qui eurent lui dans les couverts et qui frappèrent jusqu’à des prêtres. Les phénomènes devenaient parfaitement identiques quoique n’ayant pas la même cause initiale.
Personne aujourd’hui, chez les prêtres intelligents comme chez les laïcs, ne croit que c’était un esprit, l’Esprit du mal, qui possédait ces malheureux. La psychologie nous a appris que ces soi-disant Lucifer et Belzébuth représentaient l’allégorie de tendances profondes, psychiques et physiques, refoulées par suite des terribles disciplines religieuses à l’époque. Le diable, c’était l’appétit de la chair, le besoin de jouissances. Le progrès des lumières, l’effritement des croyances a fait disparaître les phénomènes de possession diabolique. Les autres phénomènes de possession s’évanouiront d’eux-mêmes le jour où personne n’y croira plus. Leur nombre sera toujours proportionnel à la force de la croyance. C’est là une vérité psychologique précieuse.
Remarquons en passant le rôle bienfaisant de la science qui a dissipé une illusion néfaste à l’humanité, puisqu’elle a causé la mort de tant de milliers de personnes, qu’on aurait dû soigner comme des malades et guérir au lieu de brûler sauvagement comme des suppôts de l’esprit du mal. Il est toujours bon, non pour certains individus, mais pour le progrès humain, de dissiper les illusions !
3° Prosopopèse métapsychique. – Les phénomènes dont nous venons de parler n’étaient pas accompagnés de phénomènes surnormaux en général, ou plutôt on évitait de voir ceux qui se produisaient spontanément pour ne pas paraître tomber dans la superstition. Je parle des médecins et psychologues de 1880. En niant leur caractère « merveilleux », ils classèrent les faits de spiritisme parmi les phénomènes de désagrégation et de division de la personnalité : Ch. Richet et tous les médecins de l’Ecole de Charcot, comme ceux de l’Ecole de Nancy, furent d’accord sur ce point. Mais c’est peut-être Pierre Janet qui, dans son admirable travail sur l’automatisme psychologique, présenta la démonstration la plus claire et la plus convaincante. Il n’y a pas à en changer une ligne aujourd’hui et aucun fait de connaissance surnormale ne peut justifier l’attribution à des « esprits » des phénomènes de prosopopèse métapsychique. La transe est un sommeil nerveux identique au sommeil des somnambules et également suivi d’oubli au réveil. Elle varie d’ailleurs infiniment selon les sujets, ce qui a pu faire croire à une différence de nature. La structure psychologique des personnalités est aussi la même. Leur production est due à la suggestion, consciente ou inconsciente, ou à l’autosuggestion.
C’est un psychologue éminent, Théodore Flournoy, qui a montré avec une finesse et un humour remarquables, comment et pourquoi se forment les personnifications des médiums. Vous avez tous lu ce chef-d’œuvre d’analyse psychologique qui s’appelle Des Indes à la planète Mars. Flournoy a fait voir quels étaient les complexes affectifs qui soutenaient par l’esprit de la somnambule Hélène Smith, les personnalités romanesques qu’elle incarnait. La reconstitution de ces personnages était d’ailleurs peu véridique et le médium commit bien des anachronismes et des erreurs. Ce n’était pas un sujet métapsychique de première classe comme par exemple Mme Piper.
Quant à celle-ci, je voudrais pouvoir vous démontrer, en étudiant les messages qu’elle donna pendant de longues années, que ses personnifications en général, quel que soit leur caractère métagnomique, sont toujours des manifestations de prosopopèse.
Mme Piper incarne des personnalités nettement fictives, comme Phinuit, médecin français qui ne savait ni un mot de médecine, ni un mot de français. Or, le fait que ces personnalités nettement fictives étaient prises au sérieux par les personnalités qui avaient un caractère plus vraisemblable, démontre bien que ces dernières étaient de même nature. C’est l’opinion de Mme Sidgwick, l’ancienne présidente de la S.P.R. anglaise. Dans son étude remarquable sur Mme Piper, elle a montré l’origine autosuggestive de toutes les personnalités de transe. D’ailleurs, il est arrivé à Mme Piper, par erreur, d’incarner des vivants au lieu d’incarner des morts.
Pour saisir encore mieux le caractère de la personnification métapsychique, il faut lire le rapport profondément intéressant adressé par M.S.G. Soal à la S.P.R. de Londres, il y a quelques mois. On y trouvera l’incarnation d’une personnalité fictive et l’incarnation d’un vivant faites toutes les deux par le sujet, avec la conviction qu’il s’agissait de défunts. Je renvoie à ce rapport ou aux analyses critiques que j’en ai faites dans la Revue Métapsychique (n°1, 1926) et dans le Mercure de France (15 avril 1926).

 

Conclusion

Nous avons commencé cette causerie sous l’invocation de Descartes, nous allons la terminer de même, par une dernière référence à sa Méthode. Son premier commandement dit : « Ne jamais recevoir une chose pour vraie que je ne la connusse évidement être telle, c’est-à-dire éviter soigneusement la précipitation et la prévention. »
Eviter la précipitation, c’est ne pas se fier à son impression première et hâtive, s’instruire surtout chez ceux qui sont plus savants que nous, étudier à fond le sujet avant de se faire une opinion.
Eviter la prévention, c’est ne pas avoir de parti pris, ne pas prendre ses désirs pour des réalités, se défier de ses croyances morales qui ne sont pas forcément justifiées par la Nature.
Avec ce précepte cartésien, non seulement on trouvera la vérité, mais surtout on évitera le fanatisme qui est la chose du monde la plus odieuse. La science n’est point fanatique : il n’y a que certains savants qui le sont. Comment ne pas appeler fanatiques, par exemple, les hommes de science qui persistent à tenir la métapsychique pour un recueil de contes de nourrice ? Mais l’ordre du monde ne dépend pas en bloc de nos préjugés et de nos croyances. Cet ordre du monde c’est à la science seule, la science sereine, impersonnelle, désintéressée qu’il appartient de le découvrir.