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L’effet « Chèvres du Pentagone »

L’effet « Chèvres du Pentagone »

Le film « Les chèvres du Pentagone », sorti en salle le 10 mars 2010, s’inspire librement de la véritable histoire d’un programme militaire américain connu sous le nom de Stargate et visant à utiliser la « vision à distance » (remote viewing) à des fins d’espionnage.


Les_chevres_du_Pentagone.jpgLe titre du film est repris d’un ouvrage de Jon Ronson (2004) qui présentait une enquête plutôt sérieuse sur ce programme sur lequel le secret-défense a presque entièrement été levé depuis son arrêt officiel en 1995. Autant dire que tous les éléments étaient à disposition pour qui aurait voulu faire un documentaire sur l’une des tentatives d’application militaire de la parapsychologie. Or, non seulement le film tourne en dérision ce sur quoi il s’appuie, mais le réalisateur a pris un malin plaisir à mélanger le vrai et le faux. Ainsi, certains personnages sont donnés pour équivalents de personnes réelles, jusqu’aux noms et prénoms qui sont copiés. Comment faire la part des choses ?
Le programme Stargate a bien existé et a impliqué des travaux scientifiques de grande valeur. Nous avons traduit sur notre site le rapport d’évaluation par la professeure de statistiques Jessica Utts à qui on avait confié la tâche d’estimer les résultats obtenus durant les presque vingt ans du programme. Sa conclusion est qu’il y a bien un phénomène observé dans des conditions rigoureuses mais qui reste difficile à expliquer.
Lire : Evaluation de preuves en faveur du psi
Les chercheurs et les sujets ayant participé au programme Stargate ont publié de nombreux ouvrages décrivant leurs méthodes et leurs résultats. Plusieurs ont poursuivi leurs recherches dans des cadres qui n’ont plus rien de secret. Là encore, cette documentation est laissée de côté dans le film qui donne l’impression que l’intérêt pour la parapsychologie est le fait de quelques fous qui s’obstinent à tenter de traverser les murs ou qui ont trop abusé de substances psychédéliques dans la mouvance New Age des années 1960-1970. Par contraste, nous vous proposons la traduction d’un article de Joe McMoneagle et Edwin C. May sur « le rôle éventuel de l’intention, de l’attention et de l’attente dans la vision à distance », fruit d’une recherche au Laboratoire de recherche fondamentale de Palo Alto et exposé au congrès de la Parapsychological Association à Vienne en 2004.
Lire : Le rôle éventuel de l’intention, de l’attention et de l’attente dans la vision à distance
Loin de nous l’idée d’être dénués d’humour. La vérité historique est déjà comique, comme cette suite de péripéties, réutilisée dans le film, et qui semble avoir conduit au programme militaire américain d’espionnage psi. En pleine Guerre froide, l’érudit excentrique Jacques Bergier, que la rumeur donnait pour véritable espion, publiait le récit d’une expérience de vison à distance réalisée par des Russes entre un militaire sur le continent et un autre dans un sous-marin, le Nautilus. Le succès de cette expérience aurait encouragé les Russes à se lancer dans une recherche d’application militaire de ce mode d’acquisition d’informations qui supplantait les meilleurs radars. Il semble bien que le récit de Bergier fût un faux, mais il fit l’effet d’un vrai autant dans le camp des Etats-Unis que dans celui de l’URSS. Chacune des grandes puissances s’inquiétaient que l’autre ne développe la première une « arme psi », ce qui motiva la mise en place de recherches sérieuses.
Ce n’est donc pas l’art de la comédie qui peut nous ennuyer, mais davantage la prétention à s’inspirer de faits réels tout en les déformant. Ceci n’est qu’une autre manière de désinformer, même si on en conçoit l’utilité dans une société occidentale qui a du mal à intégrer ce type d’héritage. En plus des articles que nous vous avons déjà présentés, voici une interview de Joe McMoneagle, le « viewer 001 », qui fut partie prenante du projet Stargate et analyse le film « Les chèvres du Pentagone » à partir de son expérience.

Interview de Joe McMoneagle

(Réalisée par David A. Maurer et publiée dans The Daily Progress, Charlottesville, Virginia, le 23 novembre 2009)

Adjudant-chef à la retraite, Joe McMoneagle a servi dans le programme top-secret Stargate de 1978 à 1995. « The Men Who Stare at Goats » (« Les chèvres du Pentagone » en France) s’appuie sur cette tentative de l’armée à recueillir des renseignements à distance.

Joe McMoneagle a récemment roulé de sa maison dans le comté de Nelson vers les studios Carmike Cinemas juste au nord de Charlottesville… à la recherche de la vérité. Ou, du moins, à la recherche du fond de vérité contenu dans le film récemment sorti sur nos écrans : « Les chèvres du Pentagone ». Après tout, le film ne s’ouvre-t-il sur la déclaration suivante : « Cette histoire est plus vraie que vous ne sauriez l’imaginer. »
McMoneagle, un militaire à la retraite, est éminemment qualifié pour distinguer ce qu’il y a d’exact dans cette déclaration.
Mais d’abord, quelques mots sur le film.
La comédie tourne autour de Lyn Cassady, interprété par George Clooney. Ce béret vert est devenu membre d’un groupe de soldats voyants invités à suivre un entrainement spécial dans l’espoir de former une avant-garde de soldats « New Age » avec des supers pouvoirs.
Le film est basé sur un livre de Jon Ronson publié en 2004 sous le même titre, se présentant comme un document sérieux sur les programmes et techniques militaires employant le paranormal. Le colonel à la retraite John Alexander est mentionné tout au long du livre. Durant sa carrière militaire, Alexander a servi dans les forces spéciales de l’armée des Etats-Unis (bérets verts) et avait connaissance des programmes auxquels Ronson fait allusion. Dans un récent email, Alexander sépare le fait de la fiction :
« Bien que répertorié comme n’étant pas de la fiction, les faits présentés ont été extrapolés jusqu’à en devenir méconnaissables », a déclaré Alexander au sujet du livre de Ronson. « Alors que certaines unités des forces spéciales testaient diverses techniques, la grande majorité des incidents provenaient d’une ou deux autres sources.
« Des programmes [informels] de parapsychologie ont été menés au département d’intelligence et sécurité de l’armée des Etats-Unis. Il n’y a d’ailleurs qu’un groupe de travail appelé la Task Force Delta.
« Delta était sans doute l’organisation la plus innovatrice dans le monde. Avec le soutien de hauts dirigeants, nous avons consciencieusement employé les fonds dévolus. Il convient de noter que toutes les explorations entreprises étaient justifiées sur des bases rationnelles. »
Le titre du livre et du film fait référence à un incident présumé où l’un des soi-disant soldats New Age aurait causé la mort d’une chèvre en la fixant du regard. McMoneagle dit qu’il n’a jamais eu lieu, car sinon il l’aurait su.
L’homme du comté de Nelson a été un membre actif du projet top secret de l’armée américain connu sous le nom de code « Stargate » durant toute sa durée, c’est-à-dire de 1978 à 1995. C’est de ce projet que le film s’inspire librement.
Le domaine d’expertise de McMoneagle est le remote viewing, ou vision à distance. Il s’agit, dit simplement, d’essayer de décrire ou de dessiner les détails d’un lieu, d’une personne, d’une chose ou d’un événement sans avoir une connaissance préalable de celui-ci.
Comme Cassady, McMoneagle a été parmi les meilleurs remote viewers militaires. Selon lui, lorsque le projet Stargate a débuté en 1978, l’armée a testé des milliers de personnes pour leurs capacités psi, sélectionnant au final une poignée de volontaires.
McMoneagle a été la première personne sélectionnée – et a aussi été le premier et le seul à enregistrer cinq résultats parfaits de remote viewing durant cette phase de test. Depuis sa retraite militaire, il a effectué plus de 100 démonstrations de remote viewing à la télé dans sept pays.
Par exemple, en 1995, McMoneagle a participé à l’émission de télévision ABC « Les fantômes, les médiums et les voyants ». Les producteurs ont eu vent de son talent suite à son livre, paru en 1993, Mind Trek : Exploring Consciousness, Time and Space Through Remote Viewing. Ils ont décidé de le soumettre à des tests en direct à la télévision.
« Leur protocole consistait à engager quelqu’un qui travaillait à trouver des lieux de tournage pour les studios de cinéma, raconte McMoneagle. Il passa deux semaines à dénicher des centaines de sites sur Houston aussi différents l’un de l’autre que possible.
« L’un des sites a été sélectionné au hasard alors que nous étions à l’antenne. Puis ils ont envoyé quelqu’un à cet endroit, et après m’avoir montré une photo de cette personne, ils m’ont demandé une description du lieu où elle se trouvait.
« Il y a un fleuve à Houston avec des quais, des péniches, ce genre de choses. Ce que j’ai dessiné était le lieu exact où se trouvait la personne, près d’une rivière avec une digue et un chaland amarré à côté du lieu où elle se tenait debout.
« Je les ai cloués, et leur réaction fut de l’étonnement. L’exactitude de mes descriptions durant des démonstrations de remote viewing à la télé avoisine les 80 %. »
Durant les 25 dernières années, McMoneagle a aidé des entreprises, mais aussi des agences faisant appliquer la loi, à travers sa compagnie privée Intuitive Intelligence Applications. Il ne dit rien en ce qui concerne ce travail.
« Mon travail reste possible parce que je garantis l’anonymat de mes clients, explique McMoneagle. Je ne parle jamais des sociétés, des gens ou des départements de police pour lesquels je travaille, je ne donne aucun détail sur les missions qui m’ont été confiées et les choses que j’ai faites.
« Mon silence est nécessaire car mes clients savent qu’ils seraient ridiculisés comme j’ai pu l’être. Mais, oui, il se passe beaucoup plus de choses de ce genre que les gens ne se l’imaginent habituellement. »
Alors, que pense-t-il du film?
« C’est une comédie vraiment drôle et je l’ai en grande partie bien appréciée, admet McMoneagle. Mais, n’essayez en aucune façon de l’assimiler à une réalité qui aurait pu exister.
« Il n’y a aucun lien entre ce qu’ils ont présenté dans le film et la réalité. »
La véritable histoire de Stargate est tout aussi intéressante en tant que le chemin de croix de deux gars maladroits dans une Irak en guerre. Bien évidemment, un film sur du personnel militaire assis dans des chambres sans fenêtres et essayant de dessiner des choses comme l’intérieur d’une usine soviétique top-secrète située à des milliers de kilomètres de là, cela n’aura pas réussi à retenir l’attention du public très longtemps.
Et pourtant, pendant deux décennies, ce fut un événement au quotidien. McMoneagle a écrit quelque chose à ce sujet, dans son livre paru en 2002, The Stargate Chronicles: Memoirs of a Psychic Spy. Il a dit que durant le temps de vie du projet, des agences gouvernementales du FBI à la CIA recouraient régulièrement à leurs talents pour recueillir des renseignements.
« Notre projet était très sérieux, a déclaré McMoneagle. Nous avons aidé toutes les agences de renseignements d’Amérique durant 20 ans. Nous avons été certifiés et financés année après année sur la base de nos succès. Nous avons eu des ratés, évidemment, mais notre projet restait tout à fait valide et viable. « Le projet Stargate était contenu dans deux bâtiments de très petites tailles situés à Fort Meade. J’étais là dès le début en octobre 1978 jusqu’en septembre 1984, date à laquelle j’ai pris ma retraite de l’armée.
« Ensuite, j’ai été immédiatement embauché par le Stanford Research Institute International comme associé de recherche afin qu’ils puissent me retenir dans le projet. Le SRI-I était le côté scientifique du projet. En m’embauchant, ils furent capables de continuer à m’utiliser à la fois pour les applications et pour la recherche. »
Stargate a été actif durant la Guerre froide, si bien que bon nombre des cibles pour la vision à distance se trouvaient en Union soviétique. Le projet a également fait beaucoup d’avancées pour comprendre ce qui était en jeu et dans quelle mesure cela pouvait être utilisé.
Une expérience a été menée pour voir si les remote viewers pourraient récolter de l’information sur les équipements militaires en cours de développement. La cible qui leur fut donnée était le char de combat Abrams, alors au stade du prototype.
McMoneagle a dit qu’ils furent en mesure de dessiner en détail le mécanisme de ciblage optique du tank, son mécanisme d’auto-chargement, l’arrangement des sièges à l’intérieur et le type de blindage développé pour lui.
Alors, quelle est la théorie derrière ces gens capables en apparence de réaliser l’impossible ?
« Nous pensons que cette capacité de voyance découle d’un mécanisme de survie, affirme McMoneagle. Dans des temps anciens, vous aviez besoin de savoir des choses sur les dangers qui vous entouraient : par exemple, dans quelle grotte ne pas aller dormir car un ours y reviendrait le soir même.
« Le fonctionnement de la voyance correspond juste à celui d’un autre sens, comme la vue ou l’ouïe. Il a simplement été de moins en moins utilisé au fur et à mesure que s’améliorait notre capacité à recueillir des informations par des moyens directs.
« Mais nous savons par des tests en laboratoire que tout être humain qui passe des tests sur ses capacités de voyance peut montrer que cette capacité est toujours là. Toutefois, c’est aussi lié à un certain talent. Tout le monde peut le faire, mais les joueurs de classe mondiale sont peu nombreux et éloignés les uns des autres. »
Statistiquement, McMoneagle avance le chiffre d’une personne sur 200 qui montrerait des aptitudes excellentes au remote viewing. Cela correspond à environ 300 000 personnes au-dessus de la normale rien qu’aux Etats-Unis.
Alors, qui sont-ils ?
« Ils sont votre meilleur agent de change, propose McMoneagle, votre meilleur chirurgien et souvent le plus intuitif, les meilleurs flics et détectives qui opèrent à partir de leur flair. Ils sont tout autour de nous, et si vous leur demandez pourquoi ils ont fait telle ou telle chose, ils vous répondent : « Mon petit doigt me l’a dit. » Mais si vous affirmez : « Je pense que vous êtes voyant », ils vous prendront pour un fou.
« Il y a beaucoup de choses négatives associées au mot ‘voyant’. Tout le monde pense à ceux qui lisent dans le marc de café, les lignes de la main thé ou ce genre de chose. Mais en fait, c’est une capacité normale de l’être humain. »