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Livre : Twin telepathy : the psychic connection

Livre : Twin telepathy : the psychic connection

Revue du livre G. Lyon-Playfair, Twin Telepathy, The
Psychic Connection
, Vega, London, 2002.
160 pages ; par Bertrand Méheust.Twin_telepathy.jpg


La scène se passe en 1863, dans l’Est
de la France. À 3 heures du matin, un
certain François, employé du chemin de
fer de son état, est réveillé par un rêve
d’une grande intensité. Il saute de son
lit et crie: « J’ai attrapé le voleur ». En
proie à une grande excitation, il se met
à sauter et à danser dans la pièce
comme s’il avait la danse de Saint-Guy.
Au même moment, à 8 kilomètres de là,
son frère jumeau Martin a le même rêve,
s’éveille exactement au même moment,
pousse le même cri et se met à danser de la
même manière dans la pièce. Pour
l’intelligence de l’histoire, il faut savoir que
les deux frères venaient de se faire voler le
coffret dans lequel ils mettaient leurs
économies; ils en étaient très affectés, et
l’on peut présumer que le rêve en question
répercute cet incident. En outre Martin était
psychologiquement fragile et avait semble-t-il
des pulsions suicidaires. Peu après Martin,
dans un état d’excitation extrême, sort de
son domicile et se jette dans la rivière.
Heureusement, l’un de ses fils, qui l’a suivi,
parvient à le sauver de la noyade. L’homme
est connu pour avoir des problèmes
psychologiques et il est tellement excité que
les gendarmes le mènent à l’asile local, où le
docteur Beaume l’examine et recueille son
histoire. Au moment d’entrer à l’asile, Martin
se débat violemment avec les gendarmes.
Or, au même moment, on le saura par ses
proches, François, à huit
kilomètres de là,
« voit » l’échauffourée, mais il
l’interprète de travers, il en déduit que son
frère a été arrêté à la place du voleur. Cela
le plonge dans le désespoir. Il sort de chez
lui, se jette dans la rivière et s’y noie. Grâce
au témoignage des proches, le docteur
Beaume parviendra à reconstituer le détail
des événements. À partir d’une même cause
objective, les deux frères ont développé une
crise de folie parallèle, ont eu le même rêve
au même moment, se sont réveillés
exactement à la même heure, ont utilisé les
mêmes termes, se sont agités de la même
manière, et, pour finir, se sont jetés dans la
rivière au même endroit. Seul leur sort a
divergé, puisque François s’est noyé, tandis
que Martin est mort quelques jours plus tard
à l’asile, n’ayant pu survivre au décès de son
frère.

Ce récit du XIX° siècle dormait dans la
poussière des archives et il a fallu
l’intervention d’un chercheur anglais pour
qu’il soit porté à notre connaissance. C’est
un médecin Français, le docteur Beaume,
qui en a fait la minutieuse recension en 1864
dans une grande revue de médecine. Et
c’est Guy Lyon-Playfair, un chercheur de la
SPR, connu chez nos voisins pour la rigueur
de ses enquêtes, qui l’a récemment exhumé
et qui en a proposé l’analyse dans le cadre
d’un livre consacré à la télépathie chez les
jumeaux. L’auteur a voulu savoir s’il y avait
un fondement objectif dans les affirmations
qui circulent souvent sur les pouvoirs
paranormaux que l’on prête aux jumeaux. Il
en ressort un livre bien documenté, vivant
et précis, sans doute le meilleur que l’on ait
écrit sur ce thème.

L’idée de chercher à prouver la réalité
d’un lien télépathique entre les jumeaux
remonte aux commencements de la
recherche psychique. On pourrait même la
faire remonter plus loin dans le passé,
jusqu’au marquis de Puységur, et aux
premières réflexions sur le « lien
magnétique ». Et cette idée possède une
telle résonance que l’on s’attend à trouver
sur ce thème un courant soutenu de
recherches. Et pourtant il n’en est rien. On
est même surpris, à lire le livre de Guy Lyon-
Playfair, de la relative rareté des études
consacrées aux jumeaux.

Comme on pouvait le prévoir,
l’hypothèse de la « gémellité télépathique »
a rencontré le scepticisme de la psychologie
académique. Ainsi, Peter Watson, qui a
conduit à l’université du Minnesota un
programme de recherche sur les jumeaux,
affirme : « Il n’y a pas le moindre élément
permettant d’étayer l’idée qu’ une forme
quelconque de phénomènes paranormaux (incluant la télépathie) serait impliquée dans
le lien gémellaire. » Et pour Nancy Segal,
co-directrice de ce programme de
recherche, aucun élément me permet
d’affirmer qu’il existe de la télépathie chez
les jumeaux, et les phénomènes allégués en
faveur de cette hypothèse relèvent sans
doute d’une explication génétique. Ces exemples, que l’on pourrait multiplier, nous
placent dans le schéma classique : d’un
côté, des experts, qui soutiennent une thèse
« épistémologiquement correcte ». Et de
l’autre une expérience millénaire, soutenue
par un ensemble de documents, qui semble
contredire ce verdict. « Les experts peuvent-ils
rejeter quelque chose que tant de gens
tiennent pour acquis ? » se demande Lyon-
Playfair (p. 14). Dans la voie ouverte par
Sheldrake, le chercheur britannique va
aboutir à valider la vox populi.

Si l’on n’ est pas étonné de voir les
universitaires précités rejeter l’hypothèse
d’un lien télépathique chez les jumeaux, on
est davantage surpris de voir certains
parapsychologues partager jusqu’à un
certain point cette opinion. Guy Lyon-
Playfair consacre la première partie de son
livre à effectuer le bilan des travaux
consacrés aux jumeaux par des
parapsychologues. Les premières
recherches ont donné des résultats
prometteurs, et pourtant elles ont assez vite
été abandonnées. Et il semble bien que la
responsabilité en incombe à Rhine et à son
courant. Rhine lui-même affirmait n’avoir
trouvé aucun élément tangible dans les
études qu’il a conduites sur les jumeaux,
mais l’enquête soigneuse de Lyon-Playfair
montre que Rhine et son équipe n’ont étudié
que huit paires de jumeaux. (p.33) De sorte
que finalement les résultats négatifs
allégués par les psychiatres sceptiques ou
par les parapsychologues dubitatifs reposent
sur des études qui n’ont pas été menées, ou
qui l’ont été avec des présupposés
inappropriés. Quant à la question de savoir
les raisons pour lesquelles Rhine n’ a pas
cherché à explorer davantage l’hypothèse
de la télépathie chez les jumeaux, cela nous
renvoie à un aspect significatif de l’histoire
de la parapsychologie. À lire Twin telepathy,
on gagne l’impression que, par sa teneur
hautement qualitative et par sa dimension
mythologique et populaire, ce thème de
recherche dérangeait une parapsychologie
déterminée à se faire reconnaître comme
une science de laboratoire à part entière.

Mais cette réserve de la parapsychologie
de laboratoire n’a pas empêché certains
chercheurs de commencer à explorer les
expériences des jumeaux. La plus
intéressante fut menée à Toronto par une
équipe de psychologues conduite par Robert
Sommer, Humphrey Osmond et Lucille
Pancyr, sur quatorze paires de jumeaux
véritables, et elle aboutit à des conclusions
que tous les travaux menés depuis semblent
avoir confirmé – à savoir qu’il existe bien un
lien télépathique chez les jumeaux, mais
que ce lien n’apparaît pas chez tous les
sujets et dans toutes les circonstances. La
condition fondamentale qui doit être
respectée est que l’on ait affaire à des
jumeaux véritables (homozygotes) . Il y
aurait donc bien un ancrage biologique du
lien télépathique chez les jumeaux ; mais
cette condition, si elle est semble
nécessaire, n’est pas suffisante : il faut aussi
que les sujets concernés s’éprouvent
comme une personne unique
, soient visités
par les mêmes pensées, éprouvent les
mêmes émotions. Enfin, certains traits de
personnalité semblent favoriser les
expériences télépathiques : les sujets
doivent être ouverts à l’idée de la télépathie,
à sa possibilité, et être extravertis. Lorsque
l’on réunit toutes ces données, on doit
choisir entre les cas de figure suivants :
1) Les jumeaux n’ont pas plus de capacités
télépathiques que les autres : ils s’imaginent
qu’il en est ainsi à la suite de coïncidences
qu’ils interprètent.
2) Certains jumeaux ont
une tendance plus forte que la moyenne à
développer un lien télépathique ; cela
concerne entre 30 et 40 % d’entre eux ; mais
dans des conditions très particulières,
comme les situations de crise, et un petit
pourcentage sont des sujets exceptionnels,
comme les deux jumeaux français étudiés
par le docteur Beaume.
3) Les chercheurs
qui n’ont pas repéré ce lien n’ont pas conduit
les bonnes expériences : ils ont choisi les
mauvais sujets et leur ont imposé de
mauvaises conditions. (p. 51)

Tout bien
pesé, c’est pour une combinaison des deux
dernières hypothèses qu’opte Lyon-Playfair.
On peut effectivement mettre en évidence
un lien télépathique chez les jumeaux, mais
à condition de choisir les bons sujets et de
les placer dans les circonstances
appropriées
. Il y a là un pari, mais ce qui le
légitime aux yeux de notre enquêteur, c’est
le sentiment que les enquêtes disponibles
n’ont fait qu’effleurer un immense sujet, et
que la littérature disponible excède
totalement le domaine que les enquêtes ont
jusqu’à présent circonscrit.

L’auteur a consacré la dernière partie de
son livre à examiner la documentation qui
témoigne de cet excès. À titre d’exemple, je
terminerai par l’histoire tragique de deux
jumeaux roumains, Romulus et Remus
Cozma, qui dépasse tout ce que les
métapsychistes les plus aguerris sont
susceptibles d’accepter sans renâcler.
D’après le témoignage de leur mère, ces
deux frères bien nommés, nés en 1962, se
signalaient depuis leur petite enfance par
leur aptitude à vivre dans une fusion
presque totale : tout ce qui se passait dans
l’esprit de l’un semblait se répercuter dans
l’esprit de l’autre. Lorsque l’un d’entre eux se
blessait par exemple en jouant au football,
l’autre affirmait au même moment ressentir
une douleur, alors même qu’il ignorait ce qui
venait d’arriver à son frère. Les deux
jumeaux se sont trouvés séparés, l’un est
parti vivre à Cluj et l’autre à Constanta. Un
jour, Romulus tombe en faisant de
l’escalade et se brise la jambe droite. Au
même moment, son jumeau chute dans les
escaliers et se brise également la jambe
droite.
En 1987, les deux frères tombent en
même temps amoureux de deux jeunes filles
nommées Monica. Remus épouse sa
Monica, mais pas son frère. Le mariage du
premier n’est pas heureux, les disputes sont
fréquentes. Un soir, Remus rentre ivre et
essaie d’embrasser son épouse. Cette
dernière s’empare d’un couteau de cuisine
et essaie de le frapper. Remus le lui arrache
des mains et la frappe à 12 reprises, puis il
va au commissariat avouer son crime. La
police contacte alors sa mère, qui appelle
Romulus – pour apprendre que, la veille au
soir, ce dernier a également assassiné sa
compagne dans d’étranges circonstances.
Après être allé au cinéma, le couple s’est
assis sur un banc public. Romulus a alors
voulu embrasser la jeune femme. Une
irrésistible impulsion de meurtre s’est alors
emparée de lui, et il l’a étranglée. Il affirmera
plus tard aux policiers ne pas comprendre
ce geste, que rien ne motivait, et qui s’est
imposé à lui. L’enquête de la police
montrera que le meurtre de Romulus a
probablement été commis peu de temps
avant celui de Remus…

Amplification mythologique ? Cela ne va
pas de soi. Ce récit – comme le cas
français, avec lequel il entre en résonance –
est pourtant bien documenté, et les faits
sont attestés ; et il est difficile de croire
qu’une telle suite d’événements puisse
s’expliquer par le hasard ou par la
« programmation génétique » des deux
frères. On ne peut pas ne pas songer, en
réfléchissant à ces faits énigmatiques, aux
réflexions que les anciens magnétiseurs
avaient développées sur le « lien
magnétique », et aux phénomènes de
sympathies des douleurs sur lesquels ils s’appuyaient. Tout se passe comme si le lien
magnétique était la recréation artificielle de
ce que la nature produit parfois
spontanément chez les jumeaux
. C’est la
profondeur de cette problématique qui
contribue à donner toute sa dimension à
l’enquête de Guy Lyon-Playfair.