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Où Breton puisa son inspiration

Où Breton puisa son inspiration

Des commentateurs bien intentionnés ont voulu trouver chez Freud l’origine de l’écriture automatique des surréalistes, mais cette interprétation résiste mal à l’examen. C’est bien évidemment chez les médiums spirites qu’André Breton est allé puiser sa première inspiration. A sa manière subreptice. C’est-à-dire, pour reprendre la belle formule de Michel Thévoz, en leur « faisant les poches avant de les fusiller ».


« Ridicules et touchants », coupables d’avoir régressé vers des croyances archaïques en proclamant « l’exogénéïté du principe dictant », ils ne peuvent trouver grâce à ses yeux. Une décennie plus tard, Breton, entraîné par sa surenchère subversive, se détache de l’automatisme spirite et propose un autre modèle de la transe créatrice: au lieu de plonger dans un état d’inconcience comme le médium spirite, le surréaliste devra rester conscient et s’efforcer d’établir une synergie entre la pensée subliminale et le moi conscient. Pour reprendre la distinction opérée par Platon dans le Timée, il devra se faire à la fois devin et prophète. Breton nous présente sa « transe surréaliste » comme une forme de présence à inventer.

Ce qu’il ne dit pas, ce que le lecteur de 2004 peut difficilement deviner, c’est que la transe en question est cultivée depuis un siècle et demi par les magnétiseurs, et que vers 1920 elle est couramment produite et observée par les métapsychistes chez des sujets métagnomes comme Pascal Forthuny. Chez ce dernier, par exemple, la lucidité se manifeste par l’irruption, sur fond d’une conscience et d’une volonté inaltérées, d’automatismes visuels, moteurs et verbo-auditifs constamment reconnus comme tels et analysés par le voyant, qui est entraîné à les décrypter à mesure qu’ils surgissent. Il est donc probable que Breton a pris appui sur ces observations pour dépasser l’automatisme spirite et fournir à ses disciples le modèle d’une nouvelle transe créatrice. C’est même plus que probable, puisque l’Institut Métapsychique possède le script d’une séance donnée dans ses murs à laquelle André Breton en personne a assisté. C’était le 7 janvier 1927. Breton avait la chaise n° 65. Le voyant qui officiait ce jour là était Pascal Forthuny en personne, et celui sur lequel porta la voyance n’était autre que Breton lui-même.

L’auteur de Nadja savait donc ce qu’il faisait ; il n’a pas seulement fait les poches des spirites, il a aussi visité celles des métapsychistes ; mais si le premier larcin est désormais connu, le second est passé inaperçu, l’auteur s’étant gardé de le porter à la connaissance de ses lecteurs. Ce point acquis, on peut jeter un autre regard sur son oeuvre (dont je ne discute pas ici la valeur poétique, mais seulement la signification socio-culturelle, comme l’a fait récemment Jean Clair). Plusieurs thèmes fondamentaux du surréalisme s’éclairent quand on les met en perspective avec la tradition du magnétisme animal et de la métapsychique. Le mépris professé par l’auteur du Manifeste du surréalisme à l’égard des spirites, à cause de leur croyance en des esprits extérieurs à l’homme ; l’affirmation constamment réitérée que la source qui s’exprime pendant les transes dévoile des potentialités de la conscience humaine ; le refus d’admettre que la médiumnité soit un don surnaturel, et la proclamation de l’égalité de tous les êtres humains devant le message subliminal, affirmation qui serait « le propre du surréalisme; » la dénonciation des abus de pouvoir de la psychiatrie, dont l’initiative reviendrait à Breton et à ses amis; la référence à une « faculté originelle » d’où auraient émergé, par dissociation, la représentation et la perception, le sommeil et le rêve: tous ces topoi sont en réalité d’anciens thèmes du magnétisme animal repris par la métapsychique des années vingt, et réintégrés à la subversion surréaliste.

Il n’est jusqu’au fameux BRS (Bureau de recherches surréalistes), qui n’ait été démarqué de l’Institut métapsychique. Nous retrouvons donc chez le fondateur du surréalisme le mouvement paradoxal de déni et de réappropriation qui caractérise l’attitude de l’institution médicale à l’égard du magnétisme depuis un siècle et demi. Le cas de Breton est certes exemplaire; mais il illustre un phénomène général, dont ce livre donne de nombreux aperçus. Dans les premières décennies du XX° siècle, la lucidité magnétique, la clairvoyance, refoulées de la science, hantent la littérature, mais en général sous des formes gommées, euphémisées et retravaillées.

Cet article est un extrait du livre de Bertrand Meheust : « 100 mots pour comprendre la voyance« .