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Mort de Robert L. Morris, l’un des pères fondateurs de la parapsychologie

Mort de Robert L. Morris, l’un des pères fondateurs de la parapsychologie

Le 12 août 2004, Robert Morris mourrait subitement d’une crise cardiaque, peu après son retour de la convention annuelle de la Parapsychological Association, qui venait de se dérouler à Vienne. Ses obsèques ont eu lieu le 19 août, et furent l’occasion d’un discours du président de l’université d’Edimbourg. Tous les batiments de l’université avaient dressé un drapeau noir hommage au savant. Le jour même, Pierre Lagrange, sociologue et historien des parasciences, publiait un long article dans le Figaro. Il nous a aimablement autorisé à le reproduire ici.

Mort de Robert L. Morris, l’un des pères fondateurs de la parapsychologie

RECHERCHE A l’université d’Edimbourg, le chercheur américain a été un des premiers à étudier les «anomalies psychiques» de manière scientifique

Robert L. Morris, professeur à l’université d’Edimbourg est décédé brutalement le 12 août. Bob Morris était l’un des porte-paroles les plus prestigieux et respectés de la parapsychologie, l’étude des anomalies de la psychologie humaine comme la télépathie ou la prémonition. Mal connue en France, cette discipline est prise très au sérieux dans d’autres pays, tout particulièrement en Grande-Bretagne, où Bob Morris dirigeait l’Unité Koestler de parapsychololgie, et aux Etats-Unis où la Parapsychological Association, la principale société savante, est membre de l’AAAS (Association américaine pour l’avancement des sciences).

Par Pierre Lagrange
[19 août 2004]

Le public retient souvent de la parapsychologie l’image d’une discipline immergée dans les controverses sur sa scientificité, rejetée hors du domaine des «sciences normales». La carrière de Bob Morris, et l’image
que lui et quelques autres chercheurs ont contribué à donner à la parapsychologie, révèlent une tout autre histoire.

L’aventure de l’Unité Koestler de parapsychologie commence en 1983. Le 2 mars, le grand romancier et essayiste Arthur Koestler, atteint de la maladie de Parkinson, se suicide. Au cours des années précédentes,
Koestler s’était intéressé à la recherche en parapsychologie. Par testament, l’auteur des Somnambules lègue 500 000 £ à une université britannique qui accepterait d’ouvrir une chaire pour l’étude de cette
discipline. L’université d’Edimbourg accepte de relever le défi et, en mai 1985, Robert Morris est nommé à cette fonction.

Né le 9 juillet 1942, ce docteur en psychologie de l’université de Duke (1969), est alors chercheur à l’université de Syracuse aux Etats-Unis et président de la Parapsychological Association. Chercheur connu et
respecté pour sa rigueur et sa compétence, Morris fait alors d’Edimbourg l’un des centres de recherche les plus actifs au monde dans ce domaine, alors en pleine transformation sous l’influence déterminante de Joseph
Banks Rhine, fondateur du premier laboratoire universitaire de parapsychologie à Duke en 1934.

A la tête de la chaire Koestler, Morris publie de très nombreux articles
dans les revues scientifiques et forme de nombreux chercheurs. Le tout
avec un sérieux et un humour qui faisait apprécier chacune de ses
interventions dans les colloques. Son collègue Mario Varvoglis,
président de l’Institut métapsychique international (1), avait revu Bob
Morris au congrès de la PA de Vienne quelques jours avant sa
disparition. En compagnie du Hollandais Dick Bierman, autre figure de ce
milieu, ils avaient évoqué une version européenne de la PA. Le président
de l’IMI se souvient de son ami comme de «l’une des plus grandes figures
de la parapsychologie moderne et certainement comme le parapsychologue
le plus influent en Europe ces vingt dernières années». Une réputation
que Morris devait à sa capacité à «établir un dialogue constructif avec
les sceptiques, à faire reconnaître la parapsychologie parmi les
sciences académiques, ce qui lui avait valu d’être nommé président de la
section de psychologie de l’Association britannique pour l’avancement
des sciences», rappelle Varvoglis.

Sa réputation, Bob Morris la devait aussi à la reprise et la
continuation des recherches sur la télépathie initiées par un autre
grand nom, lui aussi trop tôt disparu, Charles Honorton (1946-1992),
recherches connues sous le terme d’expériences Ganzfeld (champ homogène
en allemand) et dont les résultats ont étonné la communauté scientifique
(lire ci-contre).

Entre l’image populaire de la parapsychologie et la réalité académique,
le travail de chercheurs comme Robert Morris n’aboutit ni plus ni moins
qu’à un complet renversement de perspective. Habituellement, on nous
présente la parapsychologie comme une discipline controversée qui tente
de faire la preuve de sa scientificité face au monde académique
(représenté par les rationalistes) qui refuse de l’inclure parmi les
«sciences normales». Dans la réalité, c’est la parapsychologie qui est
intégrée au sein de l’université, à Edimbourg ou ailleurs, et ce sont
les rationalistes qui la critiquent de l’extérieur de l’institution.

Alors tout est-il pour le mieux au royaume de la parapsychologie ?
Certes non, les questions continuent d’être plus nombreuses que les
réponses. C’est le cas en science de façon générale, l’histoire de
l’hypnose ou même de certains phénomènes physiques illustrant les
difficultés de la démarche scientifique. Mais grâce à des chercheurs
comme Bob Morris, la controverse a pris un tour nouveau. Il ne s’agit
plus d’une de ces guerres des sciences où des «pour» s’opposent bec et
ongles à des «anti», où l’on serait sommé de choisir son camp, où il
faudrait opter entre la «vraie» et la «fausse» science. Les controverses
de la parapsychologie n’opposent plus ces deux camps caricaturaux car,
au moins dans des réseaux comme celui de la PA, ou de l’Unité Koestler,
ces deux camps ont disparu. En faisant réaliser des thèses sur les
techniques de fraude ou en incluant des ma giciens prestigieux au sein
de son équipe, en discutant dans les mêmes termes hypothèses classiques
et extraordinaires, Morris a brisé cette frontière qui permettait à
certains débatteurs de mauvaise volonté d’affirmer l’existence d’une
pensée magique opposée à la pensée scientifique.

La disparition de Robert Morris, scientifique de bonne volonté avant
tout, a privé la recherche d’un de ses plus dignes représentants.

(1) En France la parapsychologie est étudiée dans le cadre d’une
fondation reconnue d’utilité publique, l’Institut métapsychique
international (IMI) dirigé par Mario Varvoglis, ancien président de la
PA. L’IMI a organisé le congrès annuel de la PA à Paris en 2002.  A lire aussi le remarquable essai du
philosophe Bertrand Méheust, Devenez savants: découvrez l es sorciers.
Lettre à George Charpak, Paris, Dervy, 2004.

La télépathie à l’épreuve des tests

Les expériences de télépathie Ganzfeld sont destinées à mettre en
évidence des «anomalies de communication» : est-ce que des informations
peuvent être transmises par d’autres canaux que ceux de la perception
normale ? Voici comment se déroule une telle expérience. Dans une pièce
isolée, un sujet (l’envoyeur) regarde une image. Dans une autre partie
du laboratoire, sans possibilité de communiquer avec le premier, se
trouve un deuxième sujet, le receveur. Placé dans des conditions de
détente et de relaxation (d’où le nom de Ganzfeld), il doit décrire
et/ou dessiner les images qui lui traversent l’esprit. Les
expérimentateurs veulent découvrir si le receveur va «capter» quelque
chose de l’image vue par le premier sujet. On mélange ensuite l’image
vue par l’envoyeur à d’autres, et on demande au receveur (ou à des juges
indépendants) de dire quelle image il pense avoir perçue. Pour
simplifier à l’extrême, s’il a le choix entre quatre images, le hasard
est de un sur quatre. Une analyse statistique doit donc déterminer si le
receveur choisit plus souvent que le hasard ne le voudrait l’image
«envoyée».

Depuis sa mise au point par Honorton, à la fin des années 70,
l’expérience a été répétée des centaines de fois et a donné lieu à des
calculs statistiques selon des méthodes éprouvées dans les sciences
classiques. Or les résultats sont surprenants, bien supérieurs à ce que
donnerait le hasard. Comme le notait en 1993 la psychologue anglaise
Susan Blackmore, membre du CSICOP (le Comité pour l’étude scientifique
des phénomènes réputés paranormaux, un groupe très sceptique), ces
expériences «ne peuvent être rejetées avec légèreté. Elles remplissent
la plupart, à peu de chose près, des exigences posées par les
sceptiques, et les résultats sont hautement significatifs, entraînant la
conviction de beaucoup à l’égard du psi de laboratoire». Déjà en 1986,
dans un communiqué commun, Honorton et le sceptique Ray Hyman (lui aussi
membre du CSICOP) étaient tombés «d’accord sur le fait qu’il existe un
effet général significatif dans ces bases de données qui ne peut pas
être expliqué raisonnablement».