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L’extraordinaire Swedenborg

L’extraordinaire Swedenborg

Pour évaluer l’extraordinaire figure de Swedenborg, il ne faut pas dissocier le savant du visionnaire et du voyant, comme on le fait aujourd’hui.


Né le 29 janvier 1688 à Stockholm, Emanuel Swedberg – plus connu sous le nom de Swedenborg qu’il portera après son ennoblissement – fut un génie universel qui porta sa marque dans plusieurs domaines du savoir. Polyglotte, il maîtrise une dizaine de langues, dont l’hébreu et l’araméen. Physicien, il préfigure l’atomisme et la théorie ondulatoire de la lumière; astronome, il imagine un modèle de la formation du système solaire; ingénieur, il dessine une machine propulsée par la vapeur, un engin volant propulsé par hélice, un sous-marin, un nouveau type d’écluse, un fusil à air comprimé… il entreprend également une oeuvre écrite qui couvre aussi bien les sciences que la philosophie. Mais cette activité débordante cohabite chez lui avec une sensibilité mystique qui va s’amplifier au cours des années.

Vers 1736, il est saisi par des états de ravissement spontanés dans lesquels des anges lui apparaissent. Cela ne l’empêche pas de continuer des travaux de géologie, et d’élaborer une théorie de l’esprit dans laquelle il pressent le rôle du cortex. En 1741, il est élu à l’Académie Royale des sciences de Stockholm. En 1743, il a – comme Blaise Pascal un siècle plus tôt – une illumination qui va réorienter sa vie. A partir de cette date, il développe la capacité de communiquer avec le monde des esprits, et conjointement, des dons de voyance.

La seconde vue présente encore chez lui un double sens: elle est d’abord vision du monde spirituel, des hiérarchies angéliques; mais elle se traduit aussi par la capacité d’obtenir des informations factuelles sur des réalités triviales normalement cachées à nos sens. C’est ainsi que, le 19 juillet 1759, alors qu’il se trouve à Göteborg, il décrit devant un témoin l’incendie qui, au moment même, est en train de ravager Stockholm. Un peu plus tard, devant un autre témoin, il prévoit le jour de sa propre mort. En 1761, consulté par la princesse Louise-Ulrique, il révèle à cette dernière des informations d’ordre privé dont il ne pouvait avoir connaissance. Mais cette capacité de voyance stricto sensu lui est comme donnée de surcroît; elle n’est pas encore cultivée pour elle même, comme elle le sera un siècle plus tard par le somnambule Alexis Didier, elle n’est pas dissociée de la dimension spirituelle. Comme l’écrit Balzac dans Séraphîta, « l’état de vision dans lequel Swedenborg se mettait à son gré, relativement aux choses de la terre, et qui étonna tous ceux qui l’approchèrent, par des effets merveilleux, n’était qu’une faible application de sa faculté de voir les cieux ».

Au milieu du XVIII° siècle, on ne songe pas encore à recueillir méthodiquement les faits de voyance et à enquêter sur les conditions de leur production, comme on commencera à le faire un siècle plus tard. Il n’est donc pas facile de séparer, dans les prodiges attribués à Swedenborg, ce qui relève du fait, et ce qui appartient à la légende. Kant ne s’y trompera pas. Quand il s’en prendra au visionnaire et au voyant suédois, il ne manquera pas d’insinuer la faiblesse de l’attestation. Faut-il pour autant s’en tenir au verdict du philosophe? Il faudrait entreprendre une réenquête systématique des voyances attribuées à Swedenborg. Ce point est important, car on n’aura jamais assez de travaux bien documentés sur l’exercice de la voyance. Mais ce n’est pas, concernant Swedenborg, le plus important. L’essentiel est le type humain que campe le voyant suédois, à l’orée du monde moderne – une icône qui a eu une immense influence sur la littérature contemporaine, sur Balzac, Cazotte ou Baudelaire. L’essentiel est cette figure où fusionnent, avant de se séparer, la science et la mystique, le visionnaire, le voyant et le savant.

Cet article est un extrait du livre de Bertrand Meheust : « 100 mots pour comprendre la voyance« .