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Les progrès des recherches sur le psi : La chaire Koestler de parapsychologie de l’Université d’Edimbourg

Les progrès des recherches sur le psi : La chaire Koestler de parapsychologie de l’Université d’Edimbourg

Ce document est le résumé d’un article d’Adrian Turpin, intitulé « Scepticbusters » (« les chasseurs de sceptiques »), et publié dans le Financial Times du 1er avril 2005. Il propose un bref aperçu des recherches effectuées à la Koestler Parapsychology Unit d’Edimbourg ainsi que quelques arguments de sceptiques et de parapsychologues concernant l’état actuel des recherches sur le psi.


Contrairement à l’impression que donne la série « Sea of Souls », sur la BBC, la chaire de parapsychologie de l’Université d’Edimbourg, dont s’inspire vaguement l’émission, est composée de parapsychologues universitaires sérieux. Bien qu’ils soient contrariés d’être présentés à tort comme des cinglés chasseurs de fantômes, la publicité dont bénéficie ainsi leur domaine d’étude n’est peut-être pas malvenue. Intégrée dans le département de psychologie de l’Université, la chaire occupe de rares salles dans un bâtiment labyrinthique de George Square. Caroline Watt, la directrice, est une psychologue dont les travaux comptent des études sur l’enfance des personnes qui déclarent vivre des expériences paranormales. Peter Lamont est un ancien magicien professionnel et un expert en histoire de l’illusion. Fiona Steinkamp est une philosophe intéressée par la prédiction de l’avenir. Paul Stevens, physicien, effectue des tests pour déterminer si les gens réagissent à l’état émotionnel d’une personne se trouvant dans une autre pièce et compare ses résultats aux effets produits par des champs magnétiques faibles.

La plupart des travaux réalisés à la chaire Koestler pourraient sans problème avoir leur place au sein d’autres disciplines. Ils appliquent des méthodes scientifiques et se soumettent à des contrôles effectués par des scientifiques indépendants (peer reviews). Pourtant, nombreux sont les sujets étudiés, comme la télépathie, la précognition et la psychokinèse, encore considérés comme une abomination au sein de la science « conventionnelle ». La parapsychologie universitaire se retrouve ainsi dans une situation particulière. Si ces chercheurs réussissent à déterminer comment et pourquoi surviennent des phénomènes manifestement paranormaux et s’ils peuvent les expliquer, ils seront alors considérés comme des pionniers scientifiques. S’ils échouent, il ne leur restera rien de leurs années d’efforts.

Le legs de Koestler

L’histoire de la parapsychologie au Royaume-Uni doit beaucoup à Arthur Koestler, romancier, auteur scientifique, et sioniste. Né en Hongrie en 1895, Koestler devint un communiste engagé. Ce qu’il vécut en Espagne durant la guerre civile puis dans l’Allemagne nazie le conduisirent à s’établir en Grande-Bretagne où il consacra une grande partie de la fin de sa carrière à attaquer le totalitarisme soviétique.

Par la suite, les réalisations de Koestler ont été oblitérées par les controverses dont sa vie a fait l’objet : le suicide de sa troisième femme et le viol présumé de Jill Craigie, l’épouse de Michael Foot. A sa mort, la quasi-intégralité de ses biens qui s’élevait à 1 million de livres sterling fut léguée à une université britannique pour fonder une chaire de parapsychologie. L’origine de la fascination de Koestler pour les phénomènes paranormaux n’est pas claire. Il fut très tôt influencé par les écrits de Jung sur la synchronicité mais c’est après ses désillusions au sujet du matérialisme marxiste que son intérêt pour le paranormal s’accrut – il s’agit là peut-être d’une réaction normale. L’héritage fut fraîchement accueilli. Il semble que les universités d’Oxford, de Cambridge et de Londres aient trouvé tout cela ridicule et considéré le legs comme une source probable de dérision plutôt que d’enrichissement. Sous l’influence du philosophe John Beloff, la chaire Koestler revint finalement à Edimbourg où elle devint et reste la seule chaire de parapsychologie de Grande-Bretagne. Avec cette création, la parapsychologie a fait un pas de plus vers la respectabilité.

Le premier professeur de la chaire Koestler

Robert Morris, un psychologue qui avait travaillé avec J.B. Rhine, lui-même chercheur dans le domaine du paranormal, est devenu le premier professeur de la chaire Koestler en 1985. Parmi les premiers travaux de Morris, certains étaient d’une valeur discutable mais Morris adopta rapidement une approche prudente qui porta ses fruits. Il détourna la chaire des formes les plus extrêmes des recherches sur le paranormal, comme celles concernant les OVNIS. Dans une interview qu’il a donnée au New Scientist en 2002, il déclare: « lorsque je suis arrivé à l’Université d’Edimbourg, j’étais sûr à 85% que nous étudiions quelque chose qui se révélerait aller bien au-delà de ce que la science d’aujourd’hui peut expliquer. Pendant ces années, j’en suis devenu sûr à au moins 90% ». Il avertit par ailleurs que « les chercheurs doivent s’écarter de la question « croyance ou non-croyance ». Les gens ne parlent pas de « croyance » dans les autres domaines de recherche… Il me semble qu’il se passe quelque chose de nouveau mais s’il s’avérait que non, je n’en serais pas pour autant bouleversé. »

Les progrès de la parapsychologie au Royaume-Uni

Il existe maintenant cinq départements de parapsychologie dans les institutions universitaires britanniques, en grande partie grâce à l’approche mesurée adoptée par Morris. En revanche, aux États-Unis où les chercheurs expriment plus volontiers leur croyance dans la réalité des phénomènes paranormaux, la parapsychologie universitaire a pratiquement disparu. De surcroît, tous ces efforts de rigueur n’ont pas conduit à des découvertes définitives. Quel enseignement les chercheurs de la chaire et leurs collègues de la parapsychologie universitaire ont-ils au juste tiré? En parapsychologie, la variable inconnue des phénomènes paranormaux est appelée « psi », divisé par convention entre la perception extrasensorielle (ESP), lorsqu’une information est obtenue sans utiliser un sens humain reconnu, et la psychokinèse (PK), lorsque l’esprit agit directement sur la matière.

Les méthodes de la parapsychologie de laboratoire ont changé. Du temps de J.B. Rhine, on faisait des tests sur la PK en tentant d’influer sur les nombres obtenus lors d’un jeté de dés. L’arrivée des générateurs électroniques de nombres aléatoires a rendu cela obsolète.

Dans la recherche ESP, les expériences faites à partir de cartes qu’il s’agit de deviner ont disparu. L’expérience ESP la plus courante est connue sous le terme allemand de ganzfeld, « champ unifiée ». Dans une procédure ganzfeld typique, le sujet est privé de ses sens. Ceci est obtenu en lui recouvrant les yeux avec des demi-balles de ping-pong et en les éclairant avec une lumière rouge. Simultanément, un bruit blanc est transmis dans des écouteurs. Après une courte période de relaxation, « l’émetteur » qui se trouve dans une pièce située dans une autre partie du bâtiment, se concentre sur une image cible (en général un clip vidéo) dans le but de la transmettre par télépathie au sujet récepteur. A la fin de la séance, on présente à ce dernier quatre images parmi lesquelles il ou elle essaie de trouver la cible.

Le ganzfeld révèle beaucoup de choses sur l’état de la parapsychologie. S’ils le faisaient au hasard, les sujets ganzfeld trouveraient l’image cible 25% du temps. En fait, le taux de succès général souvent cité pour le ganzfeld se situe légèrement au-dessus de 33%.

D’un point de vue statistique, c’est un écart énorme: en tant que tels, les résultats de ganzfeld constituent presque une preuve irréfutable de l’existence du psi. Cependant, rien ne peut être considéré en dehors de son contexte, et le ganzfeld demeure très controversé.

La « preuve » de l’existence du psi

En 1985, le parapsychologue Charles Honorton déclara que le ganzfeld avait apporté la preuve de l’existence du psi. En réponse à cela, le sceptique américain Ray Hyman publia un rapport où il relevait 99 défauts dans les premières expériences. Finalement, Hyman et Honorton publièrent une déclaration commune dans laquelle ils s’accordèrent pour dire que les expériences ganzfeld semblaient montrer qu’il se passait quelque chose que des erreurs statistiques ne pouvaient expliquer. Ils ne furent en revanche pas du même avis pour dire si cet effet constituait une preuve de l’existence du psi.

Ce résultat encouragea les expérimentateurs à rendre leurs procédures plus rigoureuses. Honorton développa une version informatique de l’expérience destinée à éliminer de nombreux défauts signalés par Hyman, en particulier la possibilité que les images cibles choisies par les chercheurs ne soient pas vraiment aléatoires.

Des résultats positifs furent à nouveau avancés. Après six années d’études autoganzfeld, le laboratoire de Honorton annonça un taux de réussite de 34%, une conclusion corroborée par les résultats de la chaire Koestler annoncés dans les années 1990.

Les sceptiques contre-attaquent

En 1999, les parapsychologues britanniques Julie Milton et Richard Wiseman publièrent un tableau statistique d’ensemble de 30 études autoganzfeld de nouvelle génération. Cette méta-analyse affirmait que pris collectivement, les résultats obtenus étaient à peu près équivalents à ceux que le hasard aurait produit. Cette question a fait l’objet d’un débat passionné sans déboucher sur un résultat précis.

Selon Caroline Watt, « il semble qu’il se passe quelque chose mais nous ne sommes pas certains de ce que c’est: s’agit-il de l’existence du psi ou d’un défaut dans la méthodologie? » Il apparaît extraordinaire que des chercheurs du monde entier, après trois décennies de variations autour d’une même expérience, en arrivent seulement à cette conclusion. Même si l’existence du psi était prouvée, il n’y a pas de modèle convaincant sur la manière dont il fonctionne. De nombreux parapsychologues soutiennent que le psi fonctionne indépendamment du temps (et permet ainsi des effets tel que la précognition) et sur des distances que des signaux conventionnels ne pourraient pas couvrir. S’il en est ainsi, les lois physiques qui gouvernent notre univers devront être amendées, et même probablement entièrement réécrites.

Le problème de la reproductibilité

L’impossibilité de reproduire à volonté les expériences « réussies », par manque de moyens financiers, constitue le plus grand obstacle à une prise au sérieux de la recherche sur le psi. La reproductibilité est une caractéristique essentielle de la méthode scientifique. Pourquoi en serait-il autrement en parapsychologie?

Wiseman lui-même ne rejette pas la possibilité de l’existence du psi. Il soutient cependant que les parapsychologues sont passés d’un type d’expérience à un autre sans persévérer jusqu’à parvenir à une conclusion. La méthode de Wiseman consisterait à identifier l’approche la plus prometteuse, de concentrer la recherche sur ce domaine et « de voir ce que l’on obtient ». Si elle débouche sur un échec, il sera peut-être temps de cesser les recherches.

Dean Radin déclare que le problème réside dans le refus des sceptiques de céder face à des preuves probantes. Radin est directeur du Laboratoire de recherche sur la conscience, un département de l’Institut des sciences noétiques qui est lui-même une organisation californienne fondée par Edgar Mitchell, un astronaute de la mission Apollo XIV, afin d’étudier « les potentialités et les pouvoirs de la conscience ». Les références de Radin sont solides. Il a mené des recherches sur le paranormal, pour le compte entre autres du géant des télécoms AT&T et le gouvernement américain. Sa carrière universitaire comprend des séjours à Princeton et à la chaire Koestler où il a travaillé sur des expériences ganzfeld au début des années 1990. La conscience invisible: le paranormal à l’épreuve de la science, l’ouvrage de Radin paru en 1997 – un bestseller scientifique grand public – présentait ce qu’il a appelé la preuve irréfutable de la réalité des phénomènes paranormaux. Radin explique que pour se forger une opinion neutre sur la question, il suffit d’aller voir les conclusions des comités scientifiques officiels. Cinq commissions gouvernementales américaines ont évalué les résultats des recherches en parapsychologie pendant les années 1980 et 1990. « Toutes les cinq ont admis qu’il se passait bien quelque chose. »

Même lorsque la CIA décida de stopper son programme de recherche Stargate sur le paranormal, ce n’était pas faute de résultats mais parce que les applications pratiques de l’effet psi dans le domaine du renseignement étaient limitées.

Tandis que Wiseman soutient que les chercheurs en parapsychologie sont souvent des mystiques déguisés, Radin pense que les sceptiques ne sont pas souvent en phase avec la science moderne. Il affirme en particulier que les progrès de la physique quantique – la branche de la science qui explique les comportements souvent très bizarres des particules subatomiques – signifient que « notre compréhension du monde physique est de plus en plus compatible avec le psi. »

L’appui de la physique quantique

Par exemple, l’un des obstacles les plus importants à la reconnaissance du phénomène psi a toujours été le suivant : il semble impossible de transférer des informations instantanément sans tenir compte de la distance. Cependant, à la fin des années 1990, une équipe de recherche a réussi à transférer une information entre deux particules atomiques « jumelées » exactement de cette manière.

De récentes théories cognitives font penser que les processus quantiques au sein du cerveau sont responsables d’effets curieux comme le libre arbitre et le sentiment du moi, et leurs implications pour la recherche sur le psi sont immenses. Si le psi est un phénomène quantique et la conscience une machine quantique, quoi de plus naturel qu’une manifestation du premier dans le second?

Inutile de préciser que de nombreux biologistes et physiciens ne sont pas d’accord. La parapsychologie entraîne ainsi l’observateur neutre de l’autre côté du miroir, avant de le renvoyer dans le monde « réel », tout étonné mais pas plus instruit pour autant…

Les révolutions prennent du temps

Dans La Structure des révolutions scientifiques (1963), l’historien Thomas Kuhn fait observer que l’histoire est divisée en longues périodes de science « normale » suivies par des vagues plus courtes de science « révolutionnaire ». La science « normale » n’a pas pour objectif de découvrir des nouveautés, ni en matière de théorie, ni en ce qui concerne les faits, et si elle est bien établie, elle n’en découvre aucune. En revanche, en période de science révolutionnaire, les idées scientifiques les plus essentielles sont prêtes à être bouleversées exactement comme lorsque Copernic déclara pour la première fois que la terre tourne autour du soleil.

Kuhn appelle ces passages d’un modèle de monde scientifique à un autre des « changements de paradigmes » et il constate qu’il leur faut souvent une génération pour s’accomplir. Il soutient que la raison seule ne peut jamais contraindre un scientifique à passer d’un paradigme à un autre: quelle que soit la qualité de la preuve, ce changement d’état d’esprit sera toujours en partie un acte de foi.

Pour les chercheurs qui défendent le psi, les idées de Kuhn fournissent du réconfort et des armes. Selon eux, la science subit actuellement un changement de paradigme à l’issue duquel l’acceptation des phénomènes paranormaux deviendra finalement la norme parmi les scientifiques. Entre temps, on ne peut s’attendre qu’à une opposition.

Les potentialités du psi

Si l’utilisation du psi est possible, cela pourrait avoir de nombreuses applications pratiques. La guérison par le paranormal serait très précieuse pour n’importe quel service de soin et des puces réceptives au psi pourraient transformer l’informatique. La puissance de l’esprit pourrait même être utilisée pour stimuler la croissance des récoltes, pour la prospection pétrolière et pour changer les données climatiques. Pour certains chercheurs, des implications sociales plus vastes présentent davantage d’intérêt, par exemple l’idée que des consciences individuelles puissent être réunies pour servir un but collectif.

Les fondations de la parapsychologie, une introduction au sujet co-rédigée par Bob Morris, affirme qu’un monde post-psi porte la promesse « d’une organisation sociétale caractérisée par moins de concurrence et davantage de coopération, par une sensibilité pour l’harmonie dans la société plus forte que les revendications de l’individu, par moins d’éthique du travail et davantage de partage du travail, de jeu et d’apprentissage, par une plus grande tolérance à la différence… »

En attendant, sur le chantier universitaire, les membres de la chaire Koestler poursuivent patiemment leur travail de fourmi. Ils sauront peut-être dans 20 ans si leur discipline est fondée ou non sur une chimère.

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L’article « Scepticbusters » est disponible dans son intégralité à l’adresse suivante : http://news.ft.com/cms/s/a299da3e-a0e3-11d9-95e5-00000e2511c8.html

© Copyright © 2005 by Adrian Turpin

L’IMI remercie le site skepticalinvestigations.org pour son aimable autorisation de traduction et de publication de cet article. (version en anglais disponible à cette adresse : http://www.skepticalinvestigations.org/currentresearch/Koestler_parapsych.htm