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Expériences paranormales et éthique

Expériences paranormales et éthique

par Paul-Louis Rabeyron

Dans cet article, trop court pour un sujet aussi important, je vais essayer d’aborder un certain nombre de questions éthiques ayant trait à l’expérience paranormale. Par « expérience paranormale », j’entends aussi bien l’expérience intime et subjective que l’expérience parapsychologique de laboratoire. Cette dernière, au-delà des données chiffrées, renvoie bien ceux qui y participent, comme ceux qui en lisent les comptes-rendus, à un rapport personnel au paranormal.


Dans tous les cas, la caractéristique commune de ces différents types d’expériences, qu’elles soient spontanées ou provoquées, et au-delà de l’aspect inhabituel et déroutant des phénomènes relatés, tient aux questions qu’ils conduisent à se poser. Ce sont nos représentations habituelles concernant l’espace et le temps ou bien encore l’esprit et la matière qui se trouvent ainsi particulièrement interpellées.

Quelle que soit la manière dont la paranormalité émerge dans la vie d’un sujet (une expérience personnelle, le témoignage d’un ou de plusieurs autres, une lecture, une émission de télévision, etc…), ce dernier est susceptible, dans l’après-coup de cette rencontre, d’en faire quelque chose ou de n’en rien faire de particulier, et donc de rentrer soit dans une logique de nouvelles rencontres soit de conservation de l’expérience pour soi. C’est sur ce mouvement, concernant donc finalement la façon dont, concrètement, chacun va vivre après cette première expérience (probablement très souvent oubliée), que j’aimerais m’attarder.

Pour être sûr d’être bien compris, je peux donner quelques exemples. Mon propos concerne aussi bien un  » expérienceur  » dans le domaine des N.D.E. que  » le couple  » voyant-consultant. Mais je pense également au lecteur assidu de  » Science et Vie  » qui ne se représente le paranormal qu’à la lumière de la grille de lecture que cette revue peut en donner.

Si l’on imagine toute la gamme intermédiaire entre ces différents exemples, ma réflexion concerne finalement tout le monde, puisque personne, d’une manière ou d’une autre, n' » échappe  » à la rencontre avec le paranormal. De la même façon que personne n’échappe à la politique, la religion, l’éducation, etc… Il va s’agir ici d’évaluer les usages et plus particulièrement les mésusages pouvant survenir à la suite des vécus premiers. Cela inclut les convictions et actions secondaires qui en découlent.

Je vais dégager trois catégories de  » risques majeurs  » :

épistémologiques,

psychologiques,

spirituels.

Cette distinction, pouvant parfois paraître artificielle à cause de nombreux recoupements, s’est imposée pour une plus grande clarté de l’exposé.

1° Les risques épistémologiques

Dans le domaine du paranormal, nombreux sont les pièges qui guettent aussi bien le  » sceptique acharné  » que le  » croyant convaincu  » (puisque c’est, malheureusement, encore en ces termes-là, que se présentent les protagonistes du débat).

Si, au premier abord, c’est plutôt à une réflexion autour de la notion d’obstacles épistémologiques, de sociologie des sciences ou d’histoires des idées que nous semblons conviés, la dimension éthique est omniprésente, elle aussi.

C’est bien souvent dans le refus de la confrontation ou dans l’excès d’assurance que les positions individuelles ou collectives s’expriment. C’est donc une forme de  » paresse intellectuelle  » qui, même si elle a des soubassements psychosociologiques complexes que l’on peut à l’occasion analyser, peut aussi être vue comme une forme majeure de défaillance éthique, surtout pour des chercheurs se définissant comme scientifiques et rationnels.

La réduction abusive et le risque d’amalgame :

Cet écueil est bien connu et a été décrit à de nombreuses reprises, sous des formes certes diverses, aussi bien dans les milieux ufologiques que parapsychologiques.

La réduction est une opération nécessaire en science qui permet de passer des faits bruts à leur théorisation. La science  » avance  » grâce à la possibilité qu’elle se donne d’extirper quelques données de la complexité du réel et de les mettre en corrélation. Ainsi naissent les lois à portée générale. La causalité (plus exactement le principe de causalité) occupe, bien entendu, une place particulièrement centrale dans la conception épistémologique normative dominante, à l’heure actuelle. Même si il est de plus en plus souvent question de  » penser la complexité « , de  » différents niveaux d’analyse « , de  » systèmes ouverts  » ou bien encore des limites d’une  » pensée trop unilinéaire « , etc…

Appliquée au paranormal, la réduction devient extrapolation abusive lorsqu’elle consiste à assimiler telle ou telle énigme scientifique à un ou des phénomènes (et donc à une théorie) déjà connus.

Les exemples sont nombreux et bien classiques. Les OVNIs n’existeraient en aucun cas puisque toujours  » réductibles  » à des ballons sondes, des rentrées de satellites, des illusions et des hallucinations ; la télépathie assimilable à un numéro de music-hall, est renvoyée, sans autre forme de procès, aux superstitions les plus archaïques ; les N.D.E. ne seraient que l’effet de mécanismes biochimiques nés d’un cerveau en souffrance ; etc…

La « paresse intellectuelle » ne tient pas tant dans l’expression d’hypothèses, au demeurant tout à fait rationnelles et soutenables, rendant compte à n’en pas douter d’une partie non négligeable des phénomènes, que dans la façon dont l’émetteur de ces  » théories  » méconnaît une large partie du champ concernant l’objet d’étude sur lequel il se prononce.

Bertrand MEHEUST dans son travail récent et remarquable montre bien comment, dans leur grande majorité, les élites ont cru bon de traiter par le mépris des questions concernant la médiumnité. En décidant soit de ne pas s’y intéresser soit de réduire sa complexité à certains de ses aspects (illusion, pathologie, aspects psychosociologiques), la pensée  » dominante  » (comment la dénommer autrement ?) est passée à côté d’un noyau dur qui, du magnétisme à la recherche parapsychologique, interroge régulièrement notre culture.

Ces mouvements réducteurs, qui s’apparentent au déni, pour dire les choses en termes psychologiques, j’ai déjà proposé de les dénommer  » effet d’amalgame « .

La confusion des faits et de leurs interprétations : l' »excès » de théorie :

C’est une autre forme de l’effet d’amalgame, inversée par rapport à la réduction, puisque l’on pourrait plutôt alors parler de  » trop d’extension théorique « .

Le « fait paranormal » est cette fois reconnu. Mais c’est pour être resitué aux milieux d’autres faits, d’autres expériences et par un jeu d’interprétations théoriques en cascade, d’une manière qui finit par laisser peu de place à la rationalité.

De ce genre d’élucubrations, à l’allure parfois très élaborée, naît une littérature exubérante qui se pare de quelques considérations scientifiques de départ (que n’a-t-on fait dire à la physique quantique !). Ce mode de pensée s’envole ensuite, d’assimilations douteuses en nouvelles hypothèses, vers des monstruosités théoriques hybrides.

La confusion des faits et des interprétations et une trop grande tendance à conclure, là où nos connaissances nous laissent bien souvent devant le difficilement explicable, génèrent un  » excès de théorie  » (au sens où l’on peut faire des excès alimentaires jusqu’à l’indigestion !). C’est sans doute l’angoisse de l’inconnaissable qui engendre ce trop plein aux allures savantes.

On aura reconnu quelques-uns des défauts d’une certaine littérature new age. J’imagine aisément qu’au milieu de la profusion puisse naître quelques idées pertinentes, voire révolutionnaires. En ce sens je reprendrais volontiers l’expression de Paul FEYERABEND : « Tout est bon », lorsqu’il plaide pour la prise en compte de toutes les théories, à commencer par les mythes les plus anciens. Mais si je défends le respect que l’on doit à l’expression de toute opinion, je suis, en revanche, ennuyé lorsque l’on glisse d’hypothèses en hypothèses vers une élaboration qui s’affirme, en bout de chaîne, comme péremptoire et définitive.

Plus alors que de paresse intellectuelle (bien qu’il faille toujours en voir l’un des effets dans toute extrapolation abusive), il faudrait plutôt parler de prétention intellectuelle. Il s’agit de vendre plus que ce que l’on a. Cela implique, par exemple, de masquer certaines étapes ou certains points faibles du « raisonnement ».

Je dois avouer ma perplexité devant les tentatives réitérées de réduction de l’écart théorique qui sépare les modélisations de l’esprit et celles de la matière. Le passage de la particule élémentaire à la vie psychique, au prix de grands écarts et de contorsions intellectuelles diverses, me laisse bien perplexe. Si je suis un inconditionnel du maintien d’un fécond dialogue entre sciences humaines et sciences de la matière, je crois qu’il ne faut pas aller trop vite dans des assimilations parfois simplistes de concepts dont la pertinence n’a pas été forgée pour le même niveau d’analyse.

Alan SOKAL et Jean BRICMONT ont bien montré les risques de perversions théoriques que l’on fait courir à des champs différents du savoir, à vouloir trop vite les superposer, les assimiler, les imbriquer sans de grandes précautions et au détriment de la plus élémentaire rigueur.

Si l’on ne peut que mettre en garde contre le refus de voir les faits ou d’écouter les témoignages, il me semble que l’on doit tout autant se protéger de théorisations bancales et floues. Si le désir d’une théorie holistique est noble, la « faute éthique » est dans le colmatage qui masque imparfaitement les zones d’ombre des théories globalisantes.

L’hypothèse de la vie extraterrestre ajoutée à la propulsion MHD ne suffit pas à apporter la preuve que les OVNIS sont habités par des voisins intergalactiques. Les témoignages, parfois très troublants, tendant à prouver la réalité de la réincarnation demandent, avant de conclure, à être rapprochés d’autres phénomènes paranormaux plus « classiques » (de type voyance notamment). Certains phénomènes observés en milieu spirite, aussi sidérants qu’ils puissent être, ne doivent garder la communication avec l’âme des défunts que comme une hypothèse parmi d’autres.

Chaque fois que l’on franchit le pas, on déguise une croyance en théorie. Or, si toute croyance est respectable, elle n’a besoin d’aucune preuve et n’a que faire de raisonnements d’allure rationnelle.

La preuve introduit dans le champ de la science. Reste, bien entendu, à définir ce qui peut faire preuve. C’est là, bien sûr, une autre histoire, inabordable dans le cadre du présent article.

2° Les risques psychologiques

Ces risques me paraissent essentiellement liés à la méconnaissance soit des phénomènes psi, soit du fonctionnement psychique élémentaire de l’être humain.

Méconnaissance du psi :

La méconnaissance des phénomènes dits paranormaux peut générer des sentiments très troublants chez celui qui rencontre ces phénomènes sur sa route sans y être préparé.

On pourrait évoquer ici les expériences de mort imminente et le vécu d’incommunicabilité, voire de désarroi dans lequel ont pu se trouver les expérienceurs avant les premières publications à ce propos. C’est grâce aux travaux de MOODY que Michaël SABOM, cardiologue américain, est devenu l’un des plus grands spécialistes de la recherche sur les N.D.E.. La façon dont il est passé de l’état de  » non connaissant  » (et donc de non entendant) à celui de  » connaissant  » (et d’entendant) des patients ayant vécu une expérience de mort imminente est racontée par Patrice VAN EERSEL. C’est du jour où il a imaginé que ses propres patients avaient pu vivre une N.D.E. et donc après avoir décidé d’interroger des personnes ayant été réanimées qu’il a pu enfin les entendre.

Auparavant, ces mêmes patients ne communiquaient pas ou difficilement leur vécu au corps médical. Lorsqu’ils le faisaient, c’est bien la méconnaissance des soignants qu’ils rencontraient en premier lieu. A l’heure actuelle, on peut espérer que les choses aient un peu changé et pas seulement pour un cardiologue américain !

Dans un autre registre, j’ai eu souvent l’occasion d’entendre des témoignages de personnes vivant régulièrement des phénomènes de voyance (prémonition, clairvoyance, clairaudience, etc…) dans leur vie courante. Lorsqu’elles sont issues de mondes familiaux dans lesquels la culture dominante ne laisse pas de place à de telles manifestations ou les connotent négativement, elles vivent ces effractions paranormales dans leurs vie dans la plus grande des solitudes et des angoisses. Si elles se trouvent à engager un travail psychothérapique ou psychanalytique et que leur thérapeute interprète mal ces vécus, cela ne fait généralement qu’aggraver leur désarroi.

La difficulté psychologique des sujets vivant des phénomènes psi peut comporter une part non négligeable d’embarras, d’interrogations existentielles concernant la place que ces phénomènes peuvent – ou doivent – prendre dans leur vie. Entre vécus de monstruosités et désir de les utiliser à bon escient (sans arriver pour autant à franchir aisément le pas d’une éventuelle installation comme voyant ou comme magnétiseur), la vie quotidienne n’est guère facilitée chez nombre de sujets psi.

Méconnaissance des mécanismes psychologiques et relationnels de base :

A l’opposé des derniers exemples évoqués, d’autres ne se posent pas tant de questions et font plus ou moins rapidement le choix d’une installation. De nombreux parmi eux sont sans doute plein de bonnes intentions.

La formation sur le tas, l’accompagnement par un aîné faisant office de maître participe à une initiation parfois succincte. Celle-ci peut être associée à de graves lacunes dans le maniement d’éléments relationnels pourtant présents dans toute activité interhumaine, particulièrement dans toute relation d’aide.

Comment, par exemple, certains voyants peuvent-ils mettre un point d’honneur à dire  » tout ce qu’ils voient « , alors que les fondements même de leur pratique, loin d’être une science exacte, s’appuient sur des éléments on ne peut plus aléatoires ? L’absence de relativisme dans leur  » prédiction « , surtout si elle suit une brillante démonstration de rétrocognition ou de télépathie, peut conduire à des effets redoutables, éminemment perturbateurs pour certains consultants, déjà bien en difficulté avant même la consultation.

Heureusement, il semble qu’à l’heure actuelle un authentique travail de réflexion s’amorce dans le monde de la voyance, concernant le sens de l’intervention du voyant dans la vie du consultant et les effets des paroles dites.

Dans les cas de phénomènes paranormaux spontanés pouvant concerner des manifestations particulièrement spectaculaires (comme dans les cas de poltergeists), l’angoisse des « victimes » peut atteindre son comble.

La méconnaissance sociale dominante et surtout la cohabitation d’interprétations diverses et souvent terrifiantes (envoûtements, possessions) dans notre contexte culturel éclaté, font apparaître la cause des phénomènes comme une  » attaque  » étrangère à l’histoire de l’individu ou du groupe concerné. Cela n’est pas le cas lorsque les mêmes phénomènes surviennent dans une société traditionnelle qui a les moyens de métaboliser les interprétations d’attaques sorcières.

Le risque est donc non négligeable que les phénomènes soient vécus dans la plus grande des inquiétudes. La rencontre avec tel ou tel intervenant (désorcelleur, pseudoexorciste, etc…) conditionne, outre des ponctions financières parfois très élevées, des devenirs psychiques complexes dans lesquels des problèmes psychopathologiques risquent de s’enkyster si ils ne sont pas analysés en temps utile. Je pense, par exemple, à une famille vue en consultation et que la démarche auprès d’un magnétiseur, pour des problèmes de comportement d’un bébé, avait failli conduire dans un engrenage de désenvoûtement à n’en plus finir (et à un tarif prohibitif !).

3° Les risques spirituels

Ils sont à envisager dans le prolongement direct des réflexions précédentes.

Quelle que soit la définition que l’on donne de la spiritualité, il paraît entendu qu’il s’agit d’une dimension de l’humain qui devrait conduire à plus d’ouverture, de tolérance, de largesse d’esprit, de compassion et de disponibilité envers les autres. Et cela, indépendamment de l’adhésion à une religion quelconque.

Paranormalité et spiritualité se trouvent de nos jours très souvent associées, l’une pouvant venir en quelque sorte en complément quand ce n’est en preuve de l’existence de l’autre.

Les effets de ce qui peut alors devenir une quête de pouvoirs peuvent conduire, paradoxalement, un nombre non négligeable de nos contemporains à vivre une spiritualité qui donne plutôt l’impression de les amener à une sorte de fermeture sur eux-mêmes. Au lieu de les ouvrir sur le monde, elle les coupe alors un peu plus d’une vie de relation et d’échange, tout en rigidifiant certains processus mentaux.

La dérive sectaire :

La secte représente bien sûr la caricature de cette rigidification de la pensée. Le paranormal peut jouer un rôle à différents moments du parcours intrasectaire. Il peut être utilisé dès la première approche, à des fins de séduction et d’emprise, lors du processus d’entrée du futur disciple.

Le Temple Solaire, qui a fait tant de victimes il y a quelques années, s’était constitué autour de plusieurs personnages clefs. Jo Di MAMBRO était l’un d’eux. Plusieurs témoignages l’ont présenté comme un médium authentique, ou du moins réputé tel. Ses capacités ont pu fasciner et jouer le rôle d’appât. On sait aussi comment des cérémonies durant lesquelles des  » apparitions  » paranormales étaient censées se produire n’étaient en fait que des mises en scène utilisant des trucages assez grossiers.

Ce « flirt » avec le paranormal me paraît bien sous-estimé dans les débats très médiatisés autour des sectes. Le discours majoritaire antisecte s’appuyant sur un bon sens rationaliste de base a tendance à considérer comme délirant tous les éléments des discours sectaires. Il néglige l’éventuelle dimension paranormale pouvant être présente à l’origine du mouvement et éventuellement entretenue, grâce à l’usage de certaines pratiques d’états modifiés de conscience. L’adepte est bien souvent victime, en ces domaines, de la même méconnaissance que le sceptique rationaliste. Il et donc d’autant plus facile à abuser que la rencontre parfois réelle, parfois imaginaire (ou promise dans le cadre de la progression dite  » spirituelle « ), avec une expérience comportant des éléments paranormaux trouve alors un sens qu’elle n’avait pas jusqu’alors dans sa vie.

Les groupes sectaires recherchent avec avidité des sujets sensitifs, susceptibles de vivre et de produire du paranormal. L’émergence du merveilleux vient alors comme preuve que c’est bien sur le chemin de la vérité que sont engagés les disciples fascinés.

L’ego flatté : le surhomme et l’initié

Si le passage par la secte reste un extrême, l’ego peut aisément se trouver être flatté par le sentiment de connaissance et de pouvoir que peut donner la fréquentation du paranormal. De là à se penser le maître (ou l’un des maîtres) du monde, il n’y a parfois qu’un pas que les discours dénégatifs cachent mal. Le mythe du surhomme guette en permanence ceux qui viennent à s’intéresser à ce type de phénomènes.

Il est d’ailleurs à noter comment chez les mystiques authentiques (et plus particulièrement, sans doute, chez les mystiques chrétiens) ce type de phénomènes, lorsqu’ils leurs arrivent, les ennuient foncièrement. Ils ne s’en vantent guère et c’est l’hagiographie qui s’en empare malgré eux. Qui n’a entendu parler des lévitations de Sainte Thérèse d’Avila, des bilocations de Padre Pio et des voyances du curé d’Ars ?

Toutes les personnes vivant des phénomènes non ordinaires n’entretiennent malheureusement pas un tel rapport à la sainteté… Dès lors, la place particulière que leurs pratiques et leurs témoignages va venir prendre dans notre société, à la fois si rejetante et si fascinée pour le paranormal, peut contribuer à une forme d' » enflure  » de l’ego, bien peu en adéquation avec les valeurs spirituelles que ces mêmes personnes prétendent mettre en avant.

Du thaumaturge au surhomme, du surhomme au grand initié, l’humilité se perd dans un parcours qui n’a plus de spirituel que le nom. Les vécus paranormaux, mal  » digérés  » spirituellement ne servent plus qu’à venir alimenter un narcissisme et une omnipotence qui cachent mal parfois des sentiments de grande solitude.

Pour conclure positivement

Ce numéro de la revue Ondes se veut consacré aux aspects négatifs de certaines expériences. J’ai tenté, dans cet article, de répondre à cette demande, qui me permettait d’alerter sur quelques risques éthiques en lien avec le paranormal.

Je reste cependant persuadé que ce même paranormal reste un champ d’expérimentation (dans tous les sens du terme) et de recherche passionnant, et qu’il est absolument nécessaire pour ne pas dire urgent de l’investiguer à la lumière de l’ensemble des dispositifs scientifiques qui sont les nôtres.

J’ai simplement souhaité attirer l’attention sur la prudence nécessaire qui doit guider tout un chacun dans la rencontre avec des phénomènes non ordinaires. Comme dans le cadre de toute réflexion éthique, il ne s’agissait pas, pour moi, de dégager une morale définitive applicable à tous, mais simplement d’insister sur un aspect trop souvent méconnu par la réflexion en ces domaines de recherche. J’ai bien conscience de n’avoir pu aborder que les grandes lignes de la question.

Pour terminer, je voudrais apporter trois éléments pouvant contribuer à éviter certains des risques précédemment décrits, de manière à ajouter une touche plus positive à cet exposé :

1 – La nécessité d’un effort pédagogique, qui est de la responsabilité de tous ceux qui s’intéressent à ces questions. Une bonne pédagogie implique de tenir compte de là où en sont ceux qui reçoivent l’information dans notre société. Le niveau de connaissance de base n’est pas très élevé et les discours médiatiques contradictoires et désordonnés se tenant sur ces sujets ne contribuent guère à éclaircir les idées.

2 – La nécessaire pluridisciplinarité dans l’approche du paranormal. Elle est une aide appréciable, encourageant particulièrement à rester humble devant la diversité, mais aussi la pertinence des différents points de vue. Elle évite les emballements théoriques comme les dénis massifs.

3 – L’accueil avec respect de toutes les opinions pouvant s’exprimer sur ces sujets, y compris celles des sceptiques et des critiques. Le souci de pouvoir rester en dialogue, dans la plus grande des courtoisies intellectuelles possible avec ceux qui voient les choses parfois fort différemment de soi, ne peut qu’œuvrer à une meilleure intégration de chacun dans la réflexion. Or, s’il s’agit là de thèmes qui  » travaillent  » l’homme depuis des millénaires, nous n’en sommes sans doute qu’aux balbutiements de leur possible approche rationnelle.