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Analyse d’une controverse

Analyse d’une controverse

Voici un extrait de l’ouvrage de Mario Varvoglis,
La rationalité de l’irrationnel :
Une introduction à la parapsychologie scientifique

(InterEditions : Paris 1992). Il traite des controverses en parapsychologie jusque dans les années 1990, surtout d’un point de vue anglo-saxon. Dans cet extrait, certains mécanismes pouvant conduire au pseudo-scepticisme sont analysés.


Trois facteurs – l’universalité des expériences spontanées, l’accumulation des données au travers d’approches scientifiques rigoureuses et l’émergence de théories et de modèles — semblent persuader peu à peu l’establishment scientifique de prêter attention à la réalité du psi. Il ressort de plusieurs enquêtes que la plupart des scientifiques acceptent généralement que la parapsychologie soit un domaine valable d’investigation scientifique. L’une, bien que menée par un rationaliste aux Etats Unis, dénombra que 67% des scientifiques jugeaient le psi comme un fait établi et que 88% reconnaissaient la recherche dans ce domaine comme une activité scientifique légitime et importante (Evans,1977). L’intégration de la Parapsychological Association dans la prestigieuse American Association for the Advancement of Science (AAAS) en 1969 signifie aussi que la parapsychologie est nationalement reconnue comme un champ d’investigation scientifique.

LA DETRACTION: ACTIVITE SCIENTIFIQUE OU STRATEGIQUE?

Pourtant, en dépit de ces différents éléments, la reconnaissance du psi dans la société occidentale progresse extrêment lentement. Bien que la plupart des scientifiques ne nient plus aujourd’hui la légitimité de la recherche psi, un petit — mais puissant — groupe d’écrivains, de scientifiques et de prestidigitateurs professionnels, ont créé des organisations d’opposants à la recherche psi et en sabotent systématiquement le travail. Ces rationalistes bruyants et militants utilisent des tactiques qui s’écartent largement de ce que devrait être un examen critique normal, impartial et objectif des résultats. En fait, la plupart d’entre eux ne sont nullement intéressés par une recherche expérimentale qui pourrait prouver ou infirmer rigoureusement l’existence du psi, ni même par l’évaluation systématique des forces et des faiblesses des données scientifiques existantes: ils
préfèrent s’engager dans ce qu’ils appellent la « démystification », en mélangeant arguments logiques et opinions a priori, menaces et ridiculisation, et autres tactiques de manipulation du grand public.

Ils se présentent comme les défenseurs de la raison contre une recrudescence de la superstition et de la religion dans nos sociétés modernes, avec pour mission de protéger l’Occident contre un retour aux modes de pensée pré-scientifiques et irrationnels. En effet, une bonne partie de leur croisade consiste à opposer à une vision du monde scientifique les croyances occultes et l’acceptation sans esprit critique de manifestations surnaturelles, les illusions de tout acabit et les fausses conceptions populaires. Néanmoins, dans leur excès de zèle, ces « démystificateurs » en viennent à dénigrer tout ce qui n’est pas, selon eux, scientifiquement acceptable.

Face à la parapsychologie, ils utilisent une rhétorique exagérée, des distorsions de faits, des dénigrements, et un éclairage sélectif de certaines données en oubliant de mentionner, cela va sans dire, tout résultat contradictoire à leur thèse. Plutôt que d’examiner les résultats substantiels obtenus par les chercheurs, certains utilisent des expressions toutes faites dont l’apparence de raisonnement scientifique dissimule leur fanatisme quasi religieux.

Voici quelques-unes des tactiques les plus communément utilisées:

 1. Noyer la recherche psi scientifique dans un amalgame de revendications occultes populaires telles que le triangle des Bermudes, le pouvoir de la Pyramide, la magie, le mystère de l’Atlantide, etc.

 2. Abuser de la caution d’une autorité scientifique ou faire appel à des arguments dépassés sur les lois de la physique afin d’affirmer que le psi est impossible, et de ce fait, que toute preuve en sa faveur est par définition non valable.

 3. Se concentrer principalement sur des cas isolés d’incompétence et de fraude, vrais ou imaginés.

 4. Ne pas mentionner l’envergure des recherches et passer sous silence les lignes de recherche les plus fructueuses.

Malheureusement, il n’est pas toujours facile, pour une personne extérieure à la recherche, de dépasser cette façade rationaliste. La nature profondément tendancieuse et dogmatique de ces activités n’est évidente que pour ceux qui sont déjà familiarisés avec les différents aspects de cette controverse, et nombre de ceux qui lisent les livres ou les articles des rationalistes pour la première fois peuvent trouver leurs arguments persuasifs et puissants.

Pour ceux qui souhaitent s’armer d’arguments prétendument rationnels contre la parapsychologie, il y a un grand nombre de présentations déformées disponibles sur le marché. La plus récente et la plus raffinée d’entre toutes est un rapport concocté par le National Research Council (NRC: Conseil de la Recherche Nationale) commandé par l’armée américaine (Druckman & Swets, 1988). Après avoir passé en revue quelques-uns des domaines les plus prometteurs de la recherche, les auteurs concluent que tous les travaux effectués sur une période de 130 années ne montrent aucune justification scientifique prouvant l’existence des phénomènes psi. En se fondant sur cet important compte rendu et sur cette seule conclusion — qui fait autorité — le public, les scientifiques et les agences d’allocation de fonds pour la recherche pourraient être persuadés qu’il n’y a aucune raison de s’intéresser à la parapsychologie.

Comme il est impossible de présenter une critique détaillée du volumineux rapport du NRC (cela demanderait du lecteur une grande familiarité avec ce rapport et les domaines qu’il décrit), je résumerai donc quelques points majeurs, sélectionnés dans la réponse de 27 pages donnée par la Parapsychological Association (Palmer, Honorton & Utts, 1988). Ces points sont indispensables pour évaluer objectivement ce dernier, et ils sont peut-être plus importants que les erreurs, les omissions et les déformations particulières que l’on peut y trouver.

Ray HymanLes principales têtes pensantes de ce comité étaient Ray Hyman et James Alcock. Tous deux se sont engagés depuis fort longtemps dans une action publique notoire d’opposition radicale envers la parapsychologie, et tous deux font partie du conseil exécutif de l’organisation de prétendue démystification rationaliste la plus importante des Etats-Unis, le CSICOP, que nous étudierons en détail plus loin. A contrario, aucun parapsychologue ne fut invité à présenter les recherches ou, tout au moins, à défendre les découvertes de la parapsychologie. De même, des scientifiques connus pour leur impartialité et leur neutralité dans cette controverse ne furent pas admis dans le comité. En d’autres termes, non seulement le comité n’a tenu aucun compte des connaissances de ceux qui étaient normalement considérés comme les mieux informés ou scientifiquement impliqués dans ce domaine de recherche mais il a été exclusivement composé de personnalités dont on savait qu’elles étaient déjà hostiles à ce domaine.James Alcock

Comme l’affirme Peter Sturrock — un astronome bien connu — s’il se fut agi de tout autre champ scientifique, un rapport produit par des profanes aurait éveillé la plus profonde méfiance (Sturrock, 1988). Bien sûr, Hyman et Alcock prétendaient qu’en tant que scientifiques, ils étaient capables de transcender leurs a priori et d’évaluer objectivement et impartialement la parapsychologie. Cette présomption devient caduque devant les trop nombreuses erreurs contenues dans ce rapport, analysées dans la réponse de la Parapsychological Association et qui, toutes, tendent à sévèrement juguler l’évidence apportée par les expérimentations positives.

Un article rédigé à la demande du comité et qui devait être inclus au rapport ne fut jamais publié: il s’agissait d’une présentation générale du champ entier de la parapsychologie, par Robert Rosenthal, un psychologue d’Harvard de renom international, qui n’est pas lui-même impliqué dans la recherche psi. Cette présentation se révélant éminemment favorable à la parapsychologie, le président du comité alla jusqu’à demander à Rosenthal de retirer de son travail ses conclusions accréditant la recherche psi! Rosenthal évidemment refusa, et son texte fut alors simplement supprimé du rapport général.

La déclaration la plus forte du rapport du comité est sa conclusion: après 130 ans de recherche, il n’y aurait, selon eux, « pas de preuves scientifiques » démontrant la réalité des phénomènes psi. Mais cette affirmation est en contradiction avec ce que les auteurs attestent à l’intérieur du rapport lui-même: malgré leurs motivations et leurs efforts extrêmes pour présenter la recherche parapsychologique de la façon la plus négative possible, ils ont été obligés d’avouer qu’ils ne pouvaient pas expliquer les résultats de quelques-unes des recherches les plus abouties. En d’autres termes, ils ont reconnu qu’il existait certaines anomalies démontrées expérimentalement et qu’ils ne pouvaient pas offrir une autre explication plausible, face au concept de psi, pour en rendre compte. Etant donnée l’importance potentielle de telles anomalies statistiques, il est étonnant que les auteurs aient pu conclure leur rapport dans des termes aussi radicalement négatifs, au lieu d’admettre qu’une investigation plus poussée serait nécessaire. On peut se demander si leur conclusion a vraiment été le résultat d’un travail consciencieux ou si elle reflète simplement une décision prise bien longtemps avant que le travail n’ait été entrepris.

LA SECURITE DE L’A PRIORI

En tant que mouvement organisé, la détraction est assez récente; la première organisation se consacrant explicitement à cette activité a été créée il y a une vingtaine d’années. Cependant cette attitude de dénigrement a vu le jour bien plus tôt, dès les premiers efforts systématiques déployés pour explorer le psi. Helmholtz, un psychologue et physiologiste bien connu qui a voué sa vie à l’étude de la perception, ne pouvait pas admettre la possibilité d’un transfert d’information non sensoriel. Faisant allusion aux découvertes du premier organisme occidental qui ait sérieusement examiné les phénomènes psi, il déclara fièrement:

Ni le témoignage de tous les membres de la Royal Society, ni l’évidence de mes propres sens, ne me conduiraient à croire à la transmission de pensée entre une personne et une autre, indépendamment des canaux sensoriels connus (cité dans Bowles & Hynds, 1978).

Donald Hebb, un psychologue spécialisé dans les phénomènes de perception et de motivation a eu une réaction semblable, mais cette fois-ci face aux conclusions du « père » de la parapsychologie américaine, J. B. Rhine:

Pourquoi n’acceptons-nous pas l’ESP comme un fait psychologique? Rhine a donné des preuves qui nous convaincraient largement s’il s’agissait de n’importe quel domaine nous permettant de deviner la mécanique du processus dont il est question. Personnellement, je n’accepte pas un instant l’ESP parce que cela n’a aucun sens. Je ne sais pas sur quelles bases s’appuient mes collègues pour rejeter l’ESP, mais mon propre refus de l’optique de Rhine est, au sens littéral, basé sur des préjugés. (Hebb, 1951)

Helmholtz et Hebb ont tous deux exprimé une opinion qui devait devenir bientôt la réaction la plus commune — explicite ou implicite — face à la recherche psi: puisque les données sont en contradiction avec la vision du monde dominante, c’est-à-dire avec les croyances de l’époque sur la nature des choses, ces données ne peuvent pas être valides.

Cette attitude fut publiquement exprimée en premier par Price (1955). Il concéda que

« …ceux qui croient aux phénomènes parapsychologiques paraissent avoir gagné une victoire décisive et avoir pratiquement fait taire l’opposition… Cette victoire est le résultat d’une quantité impressionnante d’expérimentations sérieuses et d’une argumentation intelligente. Contre cette évidence, la seule défense du scientifique rationaliste est l’ignorance des travaux eux-mêmes et de leurs implications ».

Mais ensuite, Price utilisa les arguments dont s’étaient servis Hume, un philosophe du XIXe siècle, pour rejeter les miracles afin de refuser la réalité du psi: étant donné notre compréhension moderne du monde, argumentait Hume, nous devons considérer toute revendication concernant les miracles comme mensonge. Price affirma de même que, puisque l’ESP est « incompatible avec la théorie scientifique actuelle », le seul recours rationnel est de supposer que les parapsychologues sont des dérangés mentaux, ou bien qu’ils ont recours à la fraude pour obtenir leurs résultats. Chose curieuse, Price revint plus tard sur sa position et, dans son article « Apology to Rhine and Soal », posa que la recherche en parapsychologie ne pouvait être rejetée sur la simple mise en doute de l’éthique ou de la santé mentale des chercheurs impliqués (Price,1972).

C.E.M. HanselCependant, à ce moment-là, C.E.M. Hansel, un contempteur bien plus déterminé, créa sa propre version de l’argument de Hume. Dans son ouvrage « ESP: A scientific évaluation » (1966) — destiné à devenir la bible des rationalistes — Hansel commença en posant que nous savons, a priori, que le psi est impossible dans la pratique. Il affirme:

… compte-tenu des arguments a priori contre (l’ESP), nous savons à l’avance que la télépathie (etc…) ne peut se produire (…). Les arguments a priori (…) peuvent même nous épargner le temps et l’effort d’analyser les expérimentations d’ESP.

En d’autres termes, selon Hansel, avec des suppositions a priori en main, nous avons seulement besoin, pour rejeter ces recherches, de définir quelles erreurs pourraient avoir été faites.

Ainsi, ajoute-t-il, une expérience d’ESP peut être analysée à peu près de la même façon que si l’on essayait de découvrir comment un prestidigitateur exécute un tour de magie.

La stratégie de Hansel consiste à isoler quelques-unes des expériences d’ESP classiques les plus connues des années quarante et d’essayer de prouver que leurs résultats auraient pu provenir de fraudes. Il considère toutes les possibilités imaginables par lesquelles une tricherie – de la part du sujet ou de l’expérimentateur – aurait pu donner de tels résultats. Après un examen minutieux, dont l’exposition tient en 250 pages, il conclut que la fraude aurait pu survenir dans chacune des études! Hansel affirme alors qu’il importe peu que la fraude se soit produite ou non en réalité:

« Si le résultat a pu provenir d’une tricherie, l’expérience doit être considérée comme une preuve insuffisante d’ESP, que l’on décide finalement ou non qu’une telle tricherie ait été utilisée. »

Il semble même qu’il importait peu à Hansel que cette interprétation alternative par la fraude fut plausible. Après la publication de son livre, beaucoup de parapsychologues signalèrent certaines erreurs magistrales qu’il avait commises sur l’énoncé de certains faits précis. Pour ne prendre qu’un exemple, le « complot frauduleux » qu’il dénonçait quant à l’expérimentation exceptionnellement positive de Pearce et Pratt, était basé sur un plan architectural grossièrement inexact, que lui-même avait dessiné, du bâtiment dans lequel l’expérience ESP avait été menée. Puisque le complot en question reposait sur la disposition des pièces, on aurait pu s’attendre à ce qu’il rectifiât ses descriptions dans l’édition suivante de son livre. Pourtant, dans sa version « mise à jour », Hansel (1980) conserva son plan erronné… Et tout en réitérant sa critique des mêmes expériences, il alla jusqu’à affirmer « qu’il n’y avait aucune raison de changer ce qui avait déjà été écrit ».

Dans cette nouvelle édition, Hansel prétendit aussi examiner « toutes les expériences » de la parapsychologie, mais il garda les mêmes tactiques, qui consistaient à se focaliser sur des expériences isolées et à essayer de « chercher le truc », la tricherie, au lieu de vérifier la validité de ses scénarios à la lumière des nombreuses expériences qui produisirent des résultats similaires. Présentant la recherche en général, il déforma de façon grossière la situation véritable, en ne prêtant pratiquement aucune attention à ses tendances les plus importantes, souvent couronnées de succès, comme celles qui rattachent le psi aux états modifiés de conscience. En cherchant à critiquer les études automatisées de Helmut Schmidt avec le GNA il alla jusqu’à affirmer qu’il n’existait pas de réplications indépendantes de ces travaux et qu’il fallait donc en déduire que l’expérimentateur était un fraudeur…. Pourtant, à l’époque de cette critique, il y avait déjà 35 investigations indépendantes ayant utilisé l’approche de Schmidt, dont plus de la moitié étaient statistiquement significatives… et plusieurs de celles-ci avaient été présentées à une convention scientifique à laquelle Hansel avait assisté! De même, il ignora ou dénatura toutes les études qui rattachaient les effets psi aux différents facteurs de personnalité et qui permettaient justement de prévoir statistiquement la réussite ou l’échec aux tests. Il déforma ainsi des résultats majeurs de la recherche, qui établissaient une relation positive entre le succès aux tests psi et des dispositions psychologiques telles que la confiance en soi, ou la croyance au psi des sujets (l’effet mouton-chèvre), en les présentant comme non prouvés et non répliqués.

Très commode, l’approche d’Hansel a inspiré d’autres détracteurs du psi. En passant sous silence la masse d’analyses ayant montré qu’il existait une certaine systématicité et des constances dans le fonctionnement du psi, et en isolant quelques expériences pour dévoiler de soi-disant « complots frauduleux », les rationalistes pensent présenter ce champ de recherche comme l’activité désordonnée de quelques pseudo-scientifiques suspects, ce qui leur permet de n’avoir pas à changer leur vision du monde. De plus, comme l’hypothèse de la fraude peut toujours être émise a priori, elle peut être utilisée pour attaquer n’importe quel expérimentateur qui obtient des résultats positifs.

L’une des instances de démagogie les plus flagrantes de cette croisade anti-psi a été mise en évidence en 1979, lors du congrès de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS), au cours d’une table ronde de haut niveau sur « Le rôle de la conscience dans le monde de la physique ». Le débat était présidé par Robert Jahn, le doyen du département d’ingénierie de l’université de Princeton qui, à cette époque, avait commencé l’étude des phénomènes psi dans son laboratoire. Il avait réuni autour de lui les physiciens John Wheeler et Eugene Wigner, Charles Honorton, directeur du PRL, et les physiciens et parapsychologues Edwin May, Hal Puthoff et Russel Targ du SRI. Les chercheurs impliqués dans la parapsychologie présentèrent leurs résultats obtenus lors d’études rigoureuses de laboratoire. Comme cela était prévu, Wheeler fit un discours sur la physique puis dévia sur une attaque de la parapsychologie. Il se prétendit choqué de se trouver à une table ronde aux côtés de parapsychologues. Cependant, il n’avait pas apparemment été pris au dépourvu car il avait préparé deux compléments polémiques à sa communication officielle. Le deuxième, intitulé « Chase the pseudos out of the workshop of science » (Chassez les pseudos hors de l’atelier de la science) exigeait, au milieu de sa rhétorique délibérément accusatrice, que l’AAAS expulse les parapsychologues de son sein et qu’elle les déclare « pseudo-scientifiques »…

Le nombre de faiblesses logiques et d’erreurs contenues dans ce court discours historique est pour le moins étonnant; Wheeler alla jusqu’à prétendre posséder des preuves que le père de la parapsychologie, J. B. Rhine lui-même, avait fraudé au début de sa carrière, en 1927.

Absent à cette rencontre, Rhine demanda par la suite des comptes à Wheeler. Le physicien fut obligé de se rétracter. Dans une lettre qu’il adressa à Science (la revue officielle de l’AAAS), il avoua que sa déclaration était basée sur une ancienne rumeur dont il se souvenait mal! Le président de l’AAAS, embarrassé par cet incident, affirma publiquement que « les données de la parapsychologie ne peuvent pas simplement être écartées d’emblée ».

Bien sûr, il a certes existé divers cas d’incompétence et de fraude dans ce domaine. Mais ceci n’est pas une particularité de la parapsychologie: pratiquement tous les domaines scientifiques ont connu des erreurs théoriques et méthodologiques. De plus, comme dans les autres disciplines, les spécialistes se sont révélés être les personnes les plus compétentes pour sauvegarder l’intégrité et l’éthique de leur propre domaine de recherche. Dans les deux occasions connues où la fraude d’un expérimentateur fut mise à jour (au cours de 50 ans de travaux), ce furent des chercheurs en parapsychologie qui découvrirent le pot aux roses et l’exposèrent, et qui prirent ensuite les mesures nécessaires pour discréditer les chercheurs et infirmer leurs résultats.

Le plus récent et le plus médiatisé de ces deux cas s’est produit au milieu des années soixante-dix: Walter J. Levy menait alors une étude sur le psi chez les animaux. Plusieurs de ses co-équipiers qui travaillaient sur cette expérimentation commencèrent à avoir des soupçons sur ses résultats et son comportement. Ils lui tendirent alors certains pièges grâce auxquels ils obtinrent une preuve indéniable de ses activités frauduleuses. Ils présentèrent alors leurs conclusions à Rhine qui avait placé beaucoup d’espoirs dans ce jeune chercheur. Face à cette escroquerie patente, il prit les dispositions nécessaires pour renvoyer Levy du laboratoire, et refusa d’accorder une quelconque validité à tous ses travaux antérieurs. Rhine, qui envoya une lettre circulaire aux chercheurs, avait émis un jugement très clair et sans appel, en proclamant:

« D’abord, tous les rapports expérimentaux de monsieur Levy publiés ou non publiés, dont il est l’auteur, seul ou conjointement avec d’autres, doivent être considérés comme irrecevables, même s’il n’y a eu qu’un seul cas reconnu de falsification. (Rhine, 1974). »

Bien sûr les anti-psi se réjouirent et, ne perdant aucune occasion pour dénigrer la parapsychologie, ont cherché à amplifier l' »affaire Levy » et à la presenter sous la plus mauvaise lumière possible. Hansel (1980) transforma l’épisode en affirmant que les individus qui coincèrent Levy étaient extérieurs à la recherche. Il avance que

« …les remerciements doivent aller aux techniciens du laboratoire, qui ont manifesté une attitude critique manquant singulièrement aux parapsychologues impliqués dans la recherche ». »

A qui fait-il allusion? Car ces « techniciens » étaient précisément les collègues de Levy, des camarades parapsychologues qui avaient co-signé les précèdents articles avec lui, et qui étaient co-expérimentateurs pour les études sur les animaux. A l’encontre de ce que laissent entendre malhonnêtement Hansel et certains rationalistes francais — à savoir que les parapsychologues sont des naïfs, aisément induits en erreur — l’affaire Levy a clairement illustré la capacité des parapsychologues à respecter leur standard de rigueur et d’éthique, et à se se contrôler entre eux de façon critique d’une manière beaucoup plus efficace que ne pourrait le faire un critique extérieur.

COMMENT DEVENIR UN RATIONALISTE PROFESSIONNEL

Les tactiques que nous avons examinées jusqu’ici sont tout à fait représentatives d’une tendance croissante chez les prétendus démystificateurs du psi à s’orienter vers une contestation bruyante et médiatisée. Nombre d’entre eux appartiennent à une organisation nommée Comittee for the Scientific Investigation of Claims of the Paranormal (CSISOP, Comité pour l’Investigation Scientifique des Revendications du Paranormal), dont l’existence est uniquement consacrée à exorciser le paranormal de la science et de la société. La démystification est devenue une institution.

Paul Kurtz Le CSICOP a été créé en 1976 par Paul Kurtz, un philosophe connu pour son plaidoyer en faveur des philosophies antithéistes. Faisant aussi campagne contre l’astrologie, Kurtz a écrit un document appelé « Objections to astrology » et, tout en collectionnant les signatures d’un certain nombre de scientifiques, il donna une large couverture médiatique à sa croisade. Cet événement servit de point de départ à la formation du comité. Le but qu’il s’était fixé était d’enquêter « sans préjugés » sur toutes les revendications du paranormal, de créer un lieu de rencontre rationnel pour l’évaluation objective et scientifique des phénomènes « occultes ». The Zetetic, un journal dont le rédacteur en chef était Marcello Truzzi, un sociologue, devint l’organe de presse officiel du comité.

Cependant, le CSICOP s’écarta très rapidement de cette mission, et il devint évident qu’une certaine outrance fanatique prenait le pas sur l’optique vraiment rationaliste. Selon Denis Rawlins, un astronome qui se retira plus tard du comité, plusieurs membres du conseil ont reconnu en privé que le terme « scientifique » n’aurait pas dû figurer dans son appellation. En effet, la vraie nature du CSICOP fut révélée dans l’affaire « Starbaby », un scandale qui impliqua la plupart de ses membres centraux. Bien que touchant l’astrologie, et non la parapsychologie, ce scandale met en lumière le caractère fondamentalement non scientifique du CSICOP, et mérite ainsi d’être mentionné.

Comme élément de leur campagne anti-astrologique, Kurtz et quelques autres avaient entrepris de contester les travaux du scientifique français Michel Gauquelin, qui avait mis en lumière une relation entre certaines positions planétaires et les réalisations professionnelles (Gauquelin, 1973). Ils conçurent une étude basée sur une hypothèse spécifique qui, si elle était confirmée, démontrerait que l’effet Gauquelin était un artefact, et non une réalité. Comme l’affirme Denis Rawlins (1981) ceux d’entre eux qui entreprirent cette étude obtinrent en fait des résultats confirmant l’hypothèse de Gauquelin, au lieu de l’invalider! Paniqués, les responsables du comité décidèrent de dissimuler ce résultat malencontreux. Rawlins s’opposa à cette manoeuvre malhonnête. Ils commencèrent alors une autre étude avec une approche différente, sur une population américaine. Cette fois-ci, les résultats jouaient en leur faveur, et ils proclamèrent n’avoir trouvé aucun résultat qui puisse appuyer les revendications de l’astrologie. Irrité par la suppression des données positives, Rawlins essaya de forcer le conseil directeur à assumer la responsabilité des premiers résultats. Il fut alors exclu du comité.

Quand, finalement, il alla trouver la presse avec son histoire, il fit des descriptions assez révélatrices des « rouages internes » du comité. D’après lui, il était clair que le CSICOP ne portait aucun intérêt à la publication de résultats expérimentaux qui contredisaient ses a priori de base, que son but était de porter le discrédit sur la recherche, par tous les moyens, et non de se lancer dans une recherche vraiment scientifique.

A peine un an après sa création, la position engagée du CSICOP était devenue si évidente que certains de ses membres rationalistes dans le bon sens – comme Marcello Truzzi – démissionnèrent. C’est alors que le « Zetetic » devint le « Skeptical Inquirer« , et que l’intention originelle (qui était de faire une revue érudite), fut complètement abandonnée.

George Hansen (1988), un parapsychologue ayant écrit un compte rendu méticuleux de l’histoire du CSICOP, ses buts et ses tactiques, pense qu’une stratégie d’attaque agressive s’est maintenant substituée à une démarche intellectuelle plus impartiale, probablement du fait de la présence de nombreux prestidigitateurs dans le comité. Ainsi, parmi les six membres de la première équipe de rédaction, cinq avaient des activités reliées à la prestidigitation. L’un d’entre eux, James Randi, un illusionniste professionnel ne possèdant aucun titre universitaire, a non seulement bâti sa renommée sur ses activités de démystification, mais en a fait fortune.

Comme le signale le sociologue Collins (1983), la vision du monde des prestidigitateurs est tout à fait différente de celle des scientifiques. Leur univers gravite autour de la publicité, des médias, et de la capacité à persuader les gens avec leurs illusions. Si l’objectif n’est pas d’examiner impartialement les faits, mais de persuader, alors toute tactique peut-être considérée comme acceptable.

Nommé « Projet Alpha », l’un des « coups » les plus largement médiatisés contre la parapsychologie ressemble d’ailleurs purement et simplement à un sabotage:
James Randi (1928-)
Randi, l’instigateur de ce plan, prit pour cible l’un des quelques laboratoires américains de parapsychologie bien subventionnés, et qui venait juste d’être créé. Il envoya deux prestidigitateurs se faire passer pour des sujets psi. Profitant de la naïveté des jeunes chercheurs qui débutaient dans ce domaine, les illusionnistes produisirent frauduleusement des effets PK apparents. L’équipe de recherche, enthousiasmée par de tels résultats, se heurta d’abord à la désapprobation générale de leurs autres collègues quand ils passèrent un film sur leurs travaux à la convention annuelle de parapsychologie (Randi y passa d’ailleurs un film sur les tours de magie). Par la suite, ces chercheurs renforcèrent les contrôles expérimentaux et ils n’obtinrent plus aucun effet. Ils cessèrent donc toute recherche avec les deux sujets. Mais, quelques mois plus tard, Randi donna une conférence de presse et, exultant, dévoila qu’il avait trompé les parapsychologues en leur faisant croire que ses comparses avaient provoqué un phénomène PK. Randi et le CSICOP s’assurèrent que les médias exagèrent et déforment cet épisode, en le présentant dans un journal comme typique de ce champ de recherche. Peu après, ceux qui subventionnaient le laboratoire, embarrassés, le fermèrent…

Comme le montre de manière assez frappante Georges Hansen, le CSICOP est devenu « l’institution la plus visible publiquement qui soit engagée dans le débat sur le paranormal », sa plus haute priorité étant d’influencer négativement l’opinion publique envers le paranormal. Ce comité est conscient de l’influence des médias, non seulement sur le public, mais aussi sur l’élite scientifique: nombre d’entre eux forgent leurs opinions sur les domaines hors de leur spécialité d’après les journaux, et non à travers les revues spécialisées. Ainsi, le comité s’est organisé en une machine médiatique hautement efficace, exerçant sa pression à la télévision et dans les journaux: Kurtz apparaît à lui seul cinq à dix fois à la télévision ou à la radio chaque semaine…

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Mais, bien au-delà de la médiatisation, le CSICOP est devenu, toujours comme l’indique Hansen, un phénomène social qui, manifestement, grandit. Il s’est constitué comme une sorte de centre organisant l’activité de groupes locaux. Il donne même à ces groupes un manuel regroupant un ensemble de directives pour « s’occuper » du paranormal. Dix-sept pages sont consacrées à « la manipulation des médias » et aux « relations publiques », alors que trois pages seulement se rapportent à « l’investigation scientifique »…

Il semble que l’on se soit passé le mot aussi en Europe. En France, les idéaux des rationalistes sont promus, non seulement par des livres typiques de démystificateurs fortement partiaux (Henri Broch, Michel de Pracontal) mais aussi au travers du Minitel (un service organisé par Henri Broch et Majax, l’illusionniste professionnel.) Ce service, tout comme le livre de Broch, utilise les tactiques bien connues de leurs homologues américains, y compris le dénigrement, les présentations de personnes et d’expériences extrêmement partiales ou déformées, la glorification des ruses comme le « Projet Alpha », et une suppression totale de l’information sur le nombre et la qualité des travaux parapsychologiques. La bibliographie est, en elle-même, un cours de propagande: elle dresse la liste de presque tous les ouvrages « rationalistes » qui aient vu le jour (le livre de Broch en premier), mais ne cite pratiquement aucun livre de référence de parapsychologie, aucune des études publiées, aucune réponse aux critiques, et évidemment aucun document signé par des gens de l’extérieur respectés qui désapprouvent ces méthodes …

A QUI LA DEMYSTIFICATION PROFITE-T-ELLE ?

Il est peu probable que des clubs tels que le CSICOP puissent, d’une quelconque façon, rendre service à la société. Notre époque fourmille, il est vrai, de groupes occultes, de revendications pseudo-scientifiques et d’une foule de systèmes de croyances et de credos extrêmement douteux et il est certes nécessaire que la dynamique sociale soit capable de contrebalancer les illusions diverses de certaines personnes totalement dénuées d’esprit critique. Mais des efforts militants aussi partiaux visant prétenduement à « endiguer la marée de l’irrationnel » peuvent même arriver à ne pas servir ce but. De telles tactiques ne persuadent que ceux qui étaient déjà convaincus. En fait, la raison elle-même devient le théâtre d’un débat quand elle est confrontée avec un « rationalisme irrationnel »! L’astronome Carl Sagan, commentant le document anti-astrologie de Kurtz, posa le problème très clairement:

Je me trouve dans l’impossibilité d’approuver la formulation des « Objections to astrology »… non pas parce que j’estime que l’astrologie ait une quelconque validité, mais parce que j’ai ressenti, et que je ressens encore, que le ton des formulations est autoritariste…. Or, des assertions qui contredisent une science frontière populaire, ou une pseudo-science, et qui présentent un ton autoritariste peuvent faire plus de mal que de bien. Elles ne convainquent jamais ceux qui flirtent avec une pseudo-science, mais peuvent simplement les conforter dans leur impression que les scientifiques ont l’esprit rigide et fermé. A mon avis, on ne peut aborder ce genre de sujets que d’une manière approfondie. (cité dans Rockwell, Rockwell & Rockwell, 1978)

Certains croient que, tôt ou tard, la raison triomphera de ce « rationalisme irrationnel ». J’avoue cependant qu’à cet égard je suis tout à fait sceptique. Ce que nous pouvons, au mieux, espérer, j’en ai bien peur, c’est qu’un jour les démystificateurs — ces fondamentalistes de la science, comme les appelle Richard Broughton — paraîtront aussi stupides que des tenants retardés de la théorie de la terre plate, et n’obtenant plus de bénéfice de cette profession, quitteront la scène.